« In ear park » est un petit miracle issu de l’improbable. Un baiser volé. Arraché au quotidien. Né des heures perdues, des temps morts grappillés ça et là au cœur de l’affairement new-yorkais. Daniel Rossen (guitare et chant), tête pensante de Grizzly Bear, œuvre dans les interstices laissés entre la sortie de « Yellow House » et les tournées internationales. Fred Nicolaus (beats et samples) fugue de ses horaires de bureau pour de courtes escapades au studio. « In ear park » est l’histoire de quatre ans d’enregistrements hâtifs, d’école buissonnière, de virées nocturnes et de correspondances animées pour maintenir le fil entre les deux potes de fac ; petite flamme entretenue par la patience et la détermination, forgée par la maturité. Tendre l’oreille quelques secondes suffisent pour en caresser les formes généreuses.
Des univers toujours en évolution s’ouvrant sur l’émotion d’un folk décharné soudainement débridé par un piano-cabaret (« In Ear Park ») ; touchés à vif, il n’y a plus qu’à cueillir la suite le plus simplement du monde. « No One Does It » emporte instantanément par sa mélodie martelée avec nonchalance, façon Beatles. Un instant de répit en forme de ballade introspective hantée (« Phantom Other ») et de clin d’œil baroque (« Teenagers »), avant que le coup de grâce ne soit asséné par « Around the Bay ». Troublant de justesse. La suite se poursuit à la hauteur des cimes. Des crescendos puissants, des chœurs psychédéliques, des envolées cinématiques, des ‘handclaps’ vintage. Et, sans faiblir, le doux psychédélisme de « Floating on the Lehigh » vient à point aérer l’album.
« In ear park » scelle cette juxtaposition d’ambiances évasives, mises bout à bout, mais toujours subtilement soupesées. Fini l’éclatement passionnant mais instable du précédent « Cold Nose » (2005). Ici, le fil ne rompt jamais, tendu par un l’équilibre parfait entre la nonchalance des Fab Four, la mélancolie de Midlake, les vocalises habitées du « Shepherd’s dog » d’Iron and Wine et la densité façon Menomena, émiettée dans un parfait éclectisme. Sans aucun doute, un disque précieux pour l’imprévisible label Melodic comme pour les mélomanes à fleur de peau. Un opus profondément émouvant, légèrement décousu, habilement éclectique, lascif à souhait.