Lors de cette deuxième journée de festival, la météo est plus clémente. Il y a bien quelques nuages, mais le soleil est bien plus généreux. D’ailleurs, tout au long de cette journée, le tee-shirt est de rigueur. Résultat des courses, pour la première fois en huit années d’existence, le FestiNeuch affiche complet. Bien sûr, le temps n’est pas la seule explication de cette réussite. La programmation y est sans doute aussi pour quelque chose.
Dès 16h30, Regard du Nord donne le coup d’envoi. Une prestation essentiellement acoustique d’une soixantaine de minutes. Les compositions sont entraînantes et les lyrics plutôt surprenants. Les textes traitent ainsi de la vie des humains et même des animaux. Les musiciens invitent les spectateurs à les accompagner au chant, tandis que le bassiste se charge des bruitages et des onomatopées (‘cocorico’ du coq, aboiements de chien, etc.) Le public apprécie le spectacle. Et les spectateurs qui ne se prélassent pas dans l’herbe fraîche plantée autour de La Rive, manifestent leur enthousiasme.
Alors que Fleuve Congo (NDR : un ensemble suisse de ska festif) entame son set sur la Lacustre, de nombreux festivaliers se dirigent déjà vers le Chapiteau afin de se réserver une place de choix pour la suite du programme. C'est-à-dire Feist. Prévu à 18 heures 15, le spectacle commence avec une demi-heure de retard (NDR : les stars se font toujours attendre). Elle monte sur le podium affublée de lunettes de soleil peu discrètes. C’est le moins qu’on puisse dire. Elle est armée de sa guitare. Le début du concert est un peu mou. Et pour cause, elle interprète d’abord ses compos les plus paisibles. Puis le set va monter en puissance. Flanquée de son groupe, la Canadienne attaque alors son répertoire plus pop et plus dansant. Plus connu aussi. Enchantée, la foule lui réserve un accueil chaleureux. Sur les titres comme « 1 2 3 4 » et « I Feel It All », la communion est totale. Malheureusement, le concert a commencé en retard. Il n’y aura pas de rappel. Nous sommes en Suisse, pays de l’horlogerie ; donc on ne badine pas avec les horaires.
Il est déjà 19h30 et un choix s’impose. Se coltiner le reggae dub ska electro acoustique d’Open Season ou le country blues trash de Watchmaking Metropolis Orchestra, brass band gipsy particulièrement excitant. C’est vers ce dernier que le choix s’est posé. A La Rive. Le chanteur entame son show en solo. Il aligne quelques morceaux relativement calmes, pendant que les sept autres musiciens, bière à la main et clope au bout des doigts, assistent, mêlés à la foule, à sa prestation. Tiens serait-ce une émeute ? Ah non, le reste du combo a décidé de rejoindre son leader par le chemin le plus court, en escaladant la scène. Basse, batterie, saxophone, trombone, cor et j’en passe, l’orchestre est au complet. Et la fête commence réellement. Difficile de décrire leur musique, tant le mélange de styles est ample. Mais pour mettre de l’ambiance, il faut reconnaître que le collectif sait y faire. L’orchestre communique sa bonne humeur. Les vocaux sont interprétés dans un anglais incompréhensible (NDLR : du yaourt ?) ; à moins que ce ne soit de l’espagnol (?!?!?) Après quelques titres, la pluie opère son retour. Mais, ô surprise, au lieu de faire fuir les spectateurs, elle les aimante vers le podium. Pour aussi profiter de l’abri d’une petite aubette destinée à protéger les installations. Mais pas question d’arrêter de danser pour quelques gouttes ! Et The Watchmaking Metropolis Orchestra ira jusqu’au bout de son set pour le plus grand bonheur des spectateurs, conquis par leur combinaison détonante d’instruments à vent, de basse, de guitare et de percussions. Et tant pis si ce n’était pas une tête d’affiche ; l’important c’est que prestation ait plu ; d’ailleurs, c’est ce type de groupe qui tire son épingle du jeu lors des festivals.
Direction Chapiteau pour retrouver un artiste certes local, mais dont la célébrité est reconnue dans le monde entier : Stephan Eicher. En particulier grâce à ses hits “Déjeuner en paix” ou encore “Combien de temps”. L’artiste n’est plus tout jeune. Pour son set, il est uniquement épaulé par un drummer et un pianiste. Invitation au recueillement et aux murmures, son nouvel album, “Eldorado”, baigne au sein d’une quiétude certaine. C’est donc en douceur que l’homme commence son show. Il alterne la langue française, anglaise, mais également allemande. Minimaliste, le line up impressionne et en impose. Certains spectateurs en sont même bouche bée. D’autres reprennent les chansons en chœur. Malgré les rides qui sculptent son visage, Stephan Eicher n’a pas vieilli. Mûri bien sûr, mais vieilli, non. Lors de son spectacle, il retourne sa guitare blanche et chante à l’intérieur. Il se penche aussi sur son vieux modulateur –d’après les échos recueillis, il l’accompagne depuis ses débuts ; c’est-à-dire depuis plus de vingt ans, époque à laquelle il s’en servait dans la cave de ses parents. Le drummer participe également au spectacle. Et change de batterie au beau milieu de la chanson. Il doit même courir d’un bout à l’autre de la grande scène. Inévitablement, Eicher interprétera les deux grands succès de son répertoire. Qui ne laisseront bien sûr, personne indifférent. Même pas les enfants, pourtant alors –et c’est étonnant– nombreux sous le Chapiteau. Un set ponctué par une longue salve d’applaudissements amplement méritée. Et pourtant, malgré sa notoriété, la star est demeurée simple. C’est sans doute aussi ce qui lui permet de thésauriser un tel capital sympathie. Assurément un des meilleurs moments du festival.
Pour le public qui n’apprécie pas trop la variété française, la Lacustre accueille le groupe de hip hop français La Caution. En special guest Mouloud (Canal+) et Cuizinier (TTC). Le public est alors bien plus jeune. A l’aide de leurs beats hip hop bien marqués, mais aussi leurs lyrics intelligents (NDR : de nombreux congénères y accordent beaucoup moins d’importance) les rappeurs atypiques français sont parvenus à mettre le souk. Flanqués de leur DJ, les deux chanteurs entament le spectacle. Ils seront bientôt remplacés par leurs invités avant de revenir pour participer à la grosse fiesta sur scène ; l’équipe au grand complet s’impliquant lors des dernières chansons.
Alors que la foule se dissipe à la Lacustre, elle se densifie sous le Chapiteau. Antonin, un des organisateurs, annonce, la larme à l’œil, le premier sold out de FestiNeuch. Puis il présente l’artiste événement de la soirée : le rappeur britannique Mike Skinner alias The Streets. Il est épaulé par toute une troupe de musiciens. Dès qu’il débarque sur les planches, il déchaîne les passions dans la foule. L’ambassadeur du rap britannique entame son set par quelques chansons bien enlevées. Et le public n’a qu’une seule envie : ‘jumper’. D’ailleurs, l’artiste montre l’exemple. Tout comme son compère, Mike remue, bondit, court, arpente toute la largeur de la scène, exploitant tous ses recoins, même les rehaussements prévus peut-être à cet effet, mais essentiellement utilisés par les cameramen. Ils sont probablement branchés sur des piles Duracell (NDR : Mike et son pote, bien sûr !) Après un départ percutant, le spectacle va perdre en intensité. En cause –enfin, ceci est une question de goût– un recours trop systématique aux clichés claqués sur un style flairant le déjà vu, et surtout entendu. Un hip hop plus racoleur, mélancolique, uniquement destiné aux mecs qui ont envie d’embrasser leur copine. Dommage, toutes les conditions étaient réunies au départ pour vivre un concert unique.
Alors que DJ Luciano et MC Jiggy Jones chauffent le public pour Rahzel à la Lacustre, La Rive accueille Fantazio. Champion de l’endurance, ce contrebassiste français est entouré de ses musiciens. Le frontman stimule un public, avouons-le, un peu moins nombreux, mais tout autant motivé. Son secret ? Un mélange de styles bien dosé, dynamisé par des rythmes jazzyfiants. Il agrège ainsi culture issue des pays de l’Est, rock, punk et garage pour concevoir une musique finalement populaire. Et puis consomme une énergie folle dispensée sans le moindre temps mort. Les membres de la formation dégoulinent de sueur et n’hésitent pas à se décarcasser pour le plaisir de cinq ou six motivés, proche de la scène, qui –comme hypnotisés– danseront sans relâche, pendant une heure…
Du côté de la Lacustre, DJ Luciano, MC Jiggy Jones et leur compère sont toujours d’attaque. Rahzel, la star de la soirée programmée sur cette scène, est en retard. Aussi le trio suisse est invité à combler le vide, et surtout à faire patienter la foule. Pari réussi, même si d’humeur festive, le public y mettra aussi du sien.
Le roi du ‘beat box’ monte sur le podium. Il accuse un quart d’heure de retard. Il est accompagné par son dj, DJ JS-1. D’entrée de jeu, l’Américain s’excuse : il a mal à la gorge. Ce qui ne va pas l’empêcher d’étaler toutes les facettes de son talent et surtout d’émerveiller l’audience. Pendant la première partie du concert, son dj et complice diffuse quelques secondes d’un titre connu. Mais Rahzel coupe le souffle à tout le monde. Il reproduit musique et paroles en utilisant uniquement ses cordes vocales. Malgré ce début quelque peu chaotique –l’artiste passe allègrement d’un titre à l’autre–, le public est réceptif. Revisitant et remixant bon nombre de hits dans un style hip hop, le concert va se poursuivre sous cette forme pendant une bonne trentaine de minutes. On pensait avoir tout vu, mais la machine à son humaine décide alors de relancer l’intrigue. Il apporte sur scène un vase rempli de roses rouges. ‘Où sont les filles ?’ lance-t-il ? Il ne faudra pas plus de deux secondes pour que le public se déchaîne. Les filles montent sur le dos de leur copain, d’un ami voire même du premier voisin consentant. Objectif ? Recevoir une de ces roses. Tout au long de cette vague de furie fanatique, le chanteur s’offre une tranche de romantisme en dédiant quelques morceaux aux ‘Misses’ de l’audience. Les premières roses sont rapidement distribuées. Mais Rahzel tient une jolie blonde en haleine pendant près de cinq minutes, feignant lui donner la der des ders, mais se ravisant à chaque fois. Finalement, sa patience sera récompensée, deux titres avant la fin du set. Et pour finir en beauté, l’inventeur du beatbox prendra une photo souvenir du public. A cet instant, la foule est en délire. On pardonnera donc facilement le petit retard de Rahzel ; parce qu’il n’a pas déçu. Au contraire. Il a même impressionné, à la fois par ses capacités vocales, sa présence sur les planches et ses aptitudes à chauffer le public.
Les concerts officiels sont désormais terminés ; mais pour les plus motivés, il reste l’after. Et aujourd’hui place à Etienne de Crécy. Le casino de la Rotonde est entièrement balayé d’effets lumineux. La musique dispensée par le Français –il programme ses propres tubes, mais pas seulement, tout en prenant soin de conserver sa ‘french touch’– est puissante. Le maître de cette nuit garantira l’homogénéité de son spectacle jusque 4 heures du matin, dans une salle presque comble.