Samedi 16 mars 2013. Jason Molina s’en est allé sans bruit. Presque sur la pointe des pieds. Il avait 39 ans. Pas de fracas, pas de tapage médiatique. Juste quelques lignes presque confidentielles dans des revues spécialisées. Décidément, la nouvelle tarde à parvenir au pavillon de nos oreilles mais, une fois captée, on ne cesse plus de l’entendre.
Oui, Jason, ta présence discrète, ta voix mystérieuse qui déchirait la nuit, ton incomparable faculté de transmuer le plomb noir de ton incurable mal de vivre en un or musical de poignante beauté, tous ces riens qui sont tout pour ceux qui se cramponnent à l’essentiel, sont à jamais gravés dans le cœur de tes fans. Tu faisais réellement partie de leur famille, ils ont perdu un être cher. Tu t’es battu longtemps contre un ennemi invisible et sournois. Une lutte sans merci qui te laissait seul, sonné, avec la gueule de bois. Le combat était inégal. L’alcool t’a tué. Le 16 mars, tu trébuches, tu défailles sur le fil tranchant de l’existence, tu as atteint le last point absolu, tu t’endors pour toujours sur ce versant trop sombre, trop plombé pour tes pauvres forces, tu t’éveilles apaisé de l’autre côté d’être. Les fans ne se leurrent jamais, Jason, tu n’étais pas seulement un artiste d’un immense talent, mais également un être d’une rare qualité humaine. Il leur reste ta musique, ta voix énigmatique à nulle autre pareille et un grand nœud dans la gorge qui peu à peu s’estompera.
Pourtant, Jason Molina était devenu la pierre angulaire du jeune label Secretly Canadian qui, tombé littéralement sous le charme du compositeur-interprète de Soul, s’était trouvé une voix.
En 1995, il avait fondé le collectif Songs : Ohia, dont il demeurait le seul pilier inamovible. Les autres musiciens variaient, se succédaient au gré des besoins de ses inspirations plus ou moins folk, plus ou moins country, plus ou moins dépouillés… Le chef-d’œuvre de cette époque reste incontestablement « Ghost tropic ». Tout laisse présager qu’un autre disque de cette insoutenable intensité aurait fait voler en éclat le musicien lui-même.
« Ghost tropic » 2000, ou la musique comme une arme chargée, non de futur, mais de néant !
« Ghost tropic » pourrait anéantir n’importe qui, avait-il confié lors d’une interview, surtout son propre auteur. Un acte de rédemption émotionnelle absolue. Certains l’affirment sans ambages, cette œuvre contient les minutes les plus dévastatrices de la musique récente. Une carte maîtresse, qui, au-delà des balises des genres musicaux purement conventionnels, partage plus d’un trait avec Joy Division ou Codeine. Ni plus ni moins que l’un des derniers grands disques du XXe siècle mourant, où Molina chante un crépuscule sur une île du Pacifique.
Trois ans plus tard, l’album Magnolia Electric Co., titre éponyme du nouveau collectif, plus directement rock et révélateur de la fascination du chanteur pour la musique de Neil Young, achèvera d’asseoir Jason Molina parmi les figures à qui les amateurs du genre auraient confié leurs oreilles pour l’éternité.
La discographie des dix années suivantes est plus difficile à cerner, souvent inclassable, Molina signant des disques sous son nom comme sous Songs : Ohia et Magnolia Electric Co. Néanmoins, le recueil de titres inachevés « Autumn Bird Songs », sorti en 2011, nous rappelle que l’encre qui fluait de ses mains pouvait créer de la beauté, une beauté évidente et accessible, jusqu’à son dernier souffle. Ayant interrompu sa carrière en 2009 pour mener le dernier assaut contre l’ennemi impitoyable (son addiction sévère à l’alcool), il s’était adressé lui-même à ses fans sur son site internet en mai 2012 pour les remercier de leur soutien. Il leur disait qu’il était encore en convalescence mais prêt à repartir ‘à petits pas’. C’est sur la pointe des pieds qu’il aura regagné l’autre rivage… Une belle carrière tronquée dans la force de l’âge.
Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver ( René Char, La Parole en Archipel).
Nous vous laissons ici quelques traces de son passage :
http://www.obscuresound.com/2013/03/jason-molina-dead-at-39/