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Bernard Dagnies

Bernard Dagnies

Fondé en 1995 par le compositeur, guitariste et leader spirituel, Tom Cullinan et le bassiste, Sean Newsham, Quickspace a perdu en chemin son Supersport, puis tous les autres musiciens. Qu'ils ont remplacé assez facilement, il faut le souligner, mais sans que la musique ne souffre de ces changements de line up. Sean est, en outre, propriétaire du label Kitty Kitty Corps. Un atout supplémentaire pour ce toujours quintette londonien, qui mériterait un autre statut que celui de culte underground. Et leur dernier album, " Precious falling ", sorti l'an dernier, en est la plus belle illustration. Tom et Sean à l'interview, c'était donc plus qu'un choix, mais une nécessité…

Pourquoi Quickspace a-t-il perdu son épithète Supersport, en 1996 ?

S : Parce qu'il était grand temps de l'éliminer. De toutes manières, les journalistes l'auraient fait, un jour, à notre place. Les gens ont une tendance naturelle à raccourcir un nom dès qu'il leur semble un peu trop long…

T : Au sein du groupe, on devisait rarement de Quickspace Supersport, mais plus simplement de Quickspace. En fait, cette épithète ne servait rien. Le nom était trop élaboré. Mais ce que je n'ai jamais trop bien compris, c'est pourquoi le public ne l'a pas laissé tomber avant nous…

Qu'est-ce qui a fondamentalement évolué au sein du groupe, depuis deux ans ?

S : Notre âge. Nous avons deux ans de plus. Mais nous avons aussi enregistré le remplacement de quelques musiciens, ce qui a inévitablement entraîné une évolution de notre style musical.

T : Le premier line up a donné tout ce qu'il avait dans le ventre. Nous affichions des attitudes différentes, notamment au niveau des besoins et des ambitions. Aujourd'hui, nous sommes passés au chapitre suivant. Au départ, on a imaginé Quickspace comme un ensemble solidement défini, par une structure de base, autour de laquelle des tas d'invités pourraient se joindre, au gré des circonstances. Un peu comme un groupe à géométrie variable. Finalement, ce projet a toujours été plus solide que nous ne le pensions. Mais ces changements de line up ne sont pas toujours faciles à gérer, même s'ils se révèlent, au bout du compte, plutôt enrichissants pour permettre à une formation d'évoluer…

S : Nous avons eu de la chance, car ces perturbations ont été très bénéfiques ; surtout à l'esprit d'équipe…

The Faith'n Healers était le groupe précédent de Tom, un groupe à vocation plus métallique, plus heavy, à la limite du grunge. Avec le recul, comment évalues-tu cette période ?

T : On s'amusait beaucoup, rien qu'à brancher une guitare et à en tirer le meilleur parti possible. On faisait tout ce qu'on voulait. Enfin, presque. Le plus possible, quoi. Mais au bout d'un certain temps, on doit pouvoir s'arrêter et se remettre en question. Sans quoi on tombe dans la routine…

Comment réagissez-vous face aux fréquentes comparaisons, effectuées dans la presse, entre la musique de Quickspace et celle de Stereolab ?

S : Ce sont les élucubrations de journalistes stupides…

T : C'est vrai qu'on en a marre de toutes ces comparaisons primaires. Je suppose que c'est par fainéantise que les journalistes cultivent ce type de comparaison. Et nos copains de Stereolab partagent certainement notre avis, à ce sujet… Il s'établit souvent une certaine sympathie entre les groupes qui appartiennent au même label. Autrefois, nous les rencontrions régulièrement. Mais aujourd'hui, nous ne nous voyons presque plus. Nous sommes cependant toujours en bons termes avec eux. Mais en général, lorsqu'ils sont en studio, nous sommes en tournée, et vice versa…

Peut-on dire que la musique de Quickspace est à la fois psychédélique, cosmique et visionnaire ?

T : Ca fait beaucoup de choses à la fois ! Je ne pense pas qu'elle soit visionnaire, même si je reconnais qu'on y voit beaucoup de choses (rires)…

Lesquelles ?

S : En fait, nos observations sont plus hallucinatoires que visionnaires. Nous ne sommes pas des prophètes. C'est un exercice difficile, parce qu'il exige un travail à la limite du monde au sein duquel on vit. Visionnaire veut dire voir quelque chose, à moins que quelqu'un d'autre devine ce que vous pressentez. Je sais ce que je veux dire, mais je parviens difficilement à l'exprimer. En fait, c'est un sentiment qui vous tombe dessus sans crier gare, et lorsque vous vous en apercevez, vous en faites ce que bon vous semble. Finalement, c'est un peu l'antithèse de la perspective visionnaire. Nous avançons à tâtons, en espérant qu'une idée émerge. Et lorsqu'elle n'est pas bonne, nous l'écartons et remettons notre métier sur notre ouvrage…

Apparemment, vos textes n'ont qu'un rôle secondaire au sein de vos chansons. Une explication ?

T : C'est exact ! Pour nous, ils doivent simplement enrichir les mélodies, pas les supplanter. Si on met trop l'accent sur les paroles, ils volent la vedette à la mélodie. Ce qui est judicieux pour Bob Dylan, Léonard Cohen, et ce type de chanteur, ce n'est pas notre truc. Ce qui nous intéresse le plus, c'est le son des instruments dans leur ensemble. L'orchestration si tu préfères. Ni les paroles, ni l'instrumentation ne peuvent devenir envahissantes. Nous recherchons la complémentarité de toutes les composantes de notre musique, y compris les parties vocales…

Quelle place réservez-vous à l'improvisation dans votre musique ? Live ? Et en studio ?

T : L'improvisation est une technique merveilleuse. Mais en général, nous n'y avons recours que " live ". En fait, lorsque nous improvisons en studio, c'est pour écrire de nouvelles chansons. Mais en public, nous apportons un plus à la chanson, plutôt que de la transformer. Pour être honnêtes, nous ne sommes pas des experts dans ce domaine. Nous avons besoin de structures ; l'impro se résume à donner la répartie instrumentale. Mais en général, nos standards, sont assez figés.

S : Disons que nous improvisons endéans certains paramètres bien définis…

Pourquoi y a-t-il deux versions différentes de " Quickspace happy song ", sur votre dernier album ? Est-ce un exercice de style ?

S : Non, non, ce ne sont pas deux versions différentes d'une chanson. Ce sont deux chansons différentes !

Pourquoi le mot " mountain " revient régulièrement dans le titre de vos chansons ?

T : Parce qu'il s'agit de la même chanson interprétée différemment. Que ce soit " The precious mountain ", " The mountains wolves " ou " Goodbye mountain ". La mélodie est identique. La première composition est la version originale. Plus lente, la deuxième se déroule comme une bande son, avec des cordes superposées aux claviers. La troisième est une adaptation folk un peu loufoque, que Shaun et moi même avons agrémentée de petits gadgets insolites, et notamment des clochettes…

Est-ce que la deuxième version de " Precious mountain ", enregistrée en 1997, est un hommage à Enio Morricone ?

T : Oui, on aime beaucoup la bande sonore cinématographique, et en particulier celle d'Enio Morricone.

Pas encore eu l'idée d'en composer ?

S : Si, mais jusqu'à ce jour, nous n'avons pas eu de proposition concrète pour y être associée.

Vous avez participé à l'émission de John Peel en octobre 98. Une bonne expérience ?

T : Pour être honnête, pas vraiment ! Nous adorons John Peel, c'est quelqu'un de formidable, mais cette aventure fut loin d'être une réussite.

Pourquoi ?

S : En fait, nous souhaitions réaliser quelque chose de nouveau. Mais nous sommes beaucoup trop habitués à évoluer dans notre studio. Aussi, lorsque nous ne sommes plus dans nos meubles, nous avons d'énormes difficultés à tenir la rampe…

On ne doit donc pas espérer de " Peel session " consacrée à Quickspace ?

S : Non, le résultat était nettement insuffisant, et puis surtout le son était trop terne. Cette expérience reste pour nous un échec…

Les illustrations de la pochette de votre album sont exclusivement consacrées à des arbres. Vous avez un message écologiste à faire passer ?

T : C'est assez long à expliquer. En fait, tous les membres du groupe rêvent d'un monde plus clean. Mais paradoxalement, nous continuons à utiliser des camions, camionnettes ou empruntons des avions pour nous déplacer. On aggrave, en quelque sorte, la pollution. Nous sommes des consommateurs, et par conséquent nous serions hypocrites de nous proclamer de purs écologistes. Evidemment, nous souhaitons, au plus profond de nous même, que le monde soit moins pollué. Mais pour atteindre cet objectif, il faudrait que les gens au pouvoir se préoccupent sérieusement du problème. A notre niveau, nous n'avons aucun pouvoir. Nous aimons les arbres et la nature. Quickspace est en quelque sorte un mélange de nature et de consumérisme…

Sean tu es le propriétaire du label Kitty Kitty Corps. Tu le réserves uniquement à Quickspace ?

S : Non, non. Novak et Ligament viennent d'ailleurs d'enregistrer un nouvel album en nos studios. Des disques qui devraient sortir début 99. Tout comme celui de Penthouse, d'ailleurs, un groupe qui après avoir transité par quelques labels est finalement atterri chez Kitty Kitty Corps. Au départ, la raison d'être de ce label était de soutenir Quickspace; mais au fil du temps, nous avons changé notre fusil d'épaule, en y adjoignant d'autres formations, en leur permettant de travailler dans nos studios, en enregistrant leur création, en sortant leurs disques, en faisant leur promotion, en leur donnant des conseils, et en assurant le suivi. Tout ce que nous pouvons faire pour les aider. De manière à ce qu'ils puissent réaliser leur objectif. C'est une réelle satisfaction pour nous de pouvoir aider d'autres artistes. Parce que chaque disque a sa valeur intrinsèque, ses propres mérites. Et j'en suis très heureux.

Pas trop difficile de cumuler les fonctions de manager, de production et de musicien ?

S : Ce job est full time, et on a absolument intérêt à bien gérer son temps. Heureusement que je peux compter sur Tom. Lorsque je me consacre à un groupe qui travaille en studio, Tom vaque à d'autres occupations, comme par exemple celle de préparer la sortie de l'album. On se relaie constamment en apportant mutuellement notre propre expérience. Une anecdote ? Lors de l'enregistrement de l'album de Novak, il se tapait la cuisine…

Quelques réactions bien tranchées :

Tortoise ? Bon, jazzy.

Labradford ? Connais pas !

Mogwai ? Dynamique.

Spacemen 3 ? Une réelle source d'inspiration !

Sonic Youth ? De la merde, pardon, de l'art rock !

La new age ? De la musique pour néo hippies !

Neu, Can, Faust et le " krautrock " en général ? Germanique !

Merci à Vincent Devos

(Version originale de l'interview parue dans le n° 71- mars 1999 - de Mofo)

 

vendredi, 30 avril 1999 05:00

Une combinaison à quatre secrets...

Après avoir lu tout ce qu'on a pu raconter sur ses prestations scéniques, il était assez facile d'imaginer que ce quatuor écossais cultivait une image de groupe punk pur et dur. Dans l'esprit de Manic Street Preachers circa " Generation terrorists ". Après avoir écouté leur deuxième album, " Hope is important ", et surtout rencontré le guitariste, Rod Jones, puis le chanteur lyriciste, Roddy Wooble, il a fallu revoir, ce qui n'était finalement qu'une accumulation de préjugés. Rod et Roddy, pourtant méchamment grippés, se sont d'ailleurs relayés pour chasser de notre esprit, tout ce qui aurait pu encore nous permettre d'en douter…

Idlewild symbolise-t-il, quelque part, le futur du punk ?

Rod : Je ne pense pas que nous soyons un groupe punk. Mais plutôt pop. Noisy pop, pour être pus précis. Enfin, pour l'instant. Parce que nous sommes toujours aussi incapables de prédire l'avenir. Faudrait voir comment nous allons évoluer et surtout à quoi ressemblera notre prochain album…

Franchement, j'ai du mal à voir Idlewild dans la peau de My Bloody Valentine ou de Jesus & Mary Chain !

Rod : A nos débuts, nous véhiculions l'image d'un groupe dévastateur, incapable de jouer sur plus de trois cordes. Je crois que c'était un peu exagéré. Il est exact que nous ne faisions pas dans la dentelle, mais nous avons toujours accordé beaucoup d'importance au sens mélodique. La mélodie, pour nous, a toujours été primordiale, même lorsqu'elle est sculptée dans le bruit. Car il est excessivement rare de composer une bonne chanson, si au départ, on ne dispose pas d'une bonne mélodie…

Roddy est le responsable des lyrics ; mais qui s'occupe de la musique, au sein du groupe ?

Rod : Pour l'enregistrement de cet album, je me suis pointé avec les mélodies échafaudées à la guitare, et Roddy y a mis les mots. Bob a ajouté les parties de basse et Colin les drums. Chacun joue en quelque sorte sa propre partition. Ou plus exactement, nous fonctionnons comme une combinaison à quatre secrets. C'est ainsi que nous élaborons nos chansons. Faut dire que nous avons tous des sensibilités musicales différentes. A l'origine, nos influences gravitaient autour de quatre axes. Sonic Youth, dEUS, Nirvana et Pavement. Mais comme elles ont évolué, notre musique a également évolué. Parce que nous apportons tous notre propre contribution au processus d'écriture. C'est peut-être également la raison pour laquelle, nous ne sonnons pas nécessairement comme un autre groupe. Si nous écoutions tous les mêmes artistes, il est probable que nous leur ressemblerions

Pourtant, dans un magazine britannique, j'ai lu dernièrement que votre musique était très proche de celle d'un Fugazi qui aurait mangé de la viande. Je suppose que vous n'êtes pas végétariens ?

Rod : Non, pas du tout !

Que penses-tu de cette allusion ?

Rod : Rien ! Je trouve à la fois bizarre, mais en même temps flatteur d'être comparé à de bons groupes. Surtout, lorsque nous les apprécions tout particulièrement. Mais sincèrement, je ne vois pas du tout l'utilité de ce type de comparaisons.

Qui est ce 'captain', régulièrement évoqué dans vos chansons ?

Rod : Notre producteur…C'est son surnom !

Etes-vous angoissé par l'incertitude du futur, comme le sous-entend la chanson " A film for the future " ?

Rod : Nous sommes plutôt en prise avec le temps présent. Si tu es perpétuellement tracassé par tout ce qui peut t'arriver, tu risques de devenir fou. Le futur n'est pas, pour nous, une obsession. Personnellement, je me concentre sur le quotidien. A chaque jour suffit sa peine…

En intitulant votre album " Hope is important ", vous accordez quand même de l'importance à l'espérance, donc à l'avenir. Mais qu'attendez-vous réellement du futur ?

Rod : Nous souhaitons enregistrer de bons albums. Et j'espère que le prochain sera meilleur que celui-ci. Mais j'aspire surtout que nous progressions, afin que notre aventure, en tant que groupe, puisse se poursuivre le plus longtemps possible…

Et si on parlait un peu de Roddy (NDR : d'autant plus qu'il n'est pas encore arrivé, et que le stock de questions commence à s'épuiser…) En écrivant " Paint nothing ", pensait-il nostalgiquement aux copains qu'il avait fréquentés à l'école des beaux-arts ?

Rod : Oui, je le crois. Roddy a notamment composé plusieurs chansons sur cet album, consacrées à des aventures qui sont arrivées à des personnes qu'il côtoyait. Il tient cependant à rester le plus vague possible dans ce domaine, de manière à permettre à chacun de pouvoir en avoir sa propre interprétation.

Pourquoi une chanson est un mensonge magnifique (NDR : par référence à la chanson " A song is beautiful lie ") ?

Rod : Je n'en sais rien, il vaut mieux écarter cette question… (NDR : heureusement Roddy Wooble arrive. Juste le temps des présentations d'usage, de reformuler la question, et l'entretien peut se poursuivre…)

Roddy : Il s'agit simplement d'une locution, comme en trouve des tas dans nos chansons. " I am a message " en est une autre. Et tu as certainement dû également te poser le même type de question, à son sujet. En fait, chacun est libre d'en retirer sa propre signification. La plupart des lyricistes imaginent souvent que ce qu'ils disent a valeur d'évangile. Pour nous, pourvu que nous puisions faire passer un feeling, une émotion, peu importe que nos textes aient une signification différente chez l'auditeur.

Roddy, est-ce que ton journal intime est une source d'inspiration pour tes lyrics ?

Roddy : Non, il s'agit plutôt d'un aide-mémoire. Je ne m'en sers pas pour écrire les chansons. Enfin, pas directement. En fait, ce journal ne sert qu'à consigner mes observations personnelles sur tout ce qui se passe autour de moi. Tu penses qu'il serait intéressant de plaquer de telles annotations sur des accords ?

Tu es également attiré par l'art en général. La photographie et le dessin en particulier. Considères-tu la musique comme un tremplin pour ces activités artistiques ?

Roddy : Lorsque tu fais partie d'un groupe, tu as l'occasion de te frotter à tout ce qui touche à l'art. Aussi bien en dessinant une pochette qu'en prenant des photos, en réalisant une vidéo, en écrivant des lyrics ou en composant de la musique. C'est ce qui m'intéresse. Parce que lorsque tu écris un bouquin, tu ne vois pas la réaction des gens. Tandis que lorsque tu sors un disque, celle des auditeurs est immédiate…

Au cours de ta jeunesse, tu as vécu successivement en Amérique et puis en France. Est-il exact que tu refusais de fréquenter l'école ?

Roddy : En fait, à l'époque, j'étais très jeune. Et le système de scolarisation ne me convenait pas. Et c'est ma mère, qui était prof, qui s'est alors chargée de me dispenser les cours…

Ce séjour aux States explique-t-il ta passion pour la musique country ; et en particulier pour des groupes ou des artistes tels que Tom Waits, Gram Parsons, Smog ou Will Oldham ?

Roddy : Pas vraiment. Lorsque j'ai vécu aux Etats-Unis, je ne prêtais pas tellement attention à la musique. A la limite à l'une ou l'autre chanson populaire. En tout cas, cela n'a pas trop dû me marquer. J'aime la musique country parce que je la ressens au plus profond de moi-même. Plus tu écoutes cette musique, plus tu te sens capable de séparer le grain de l'ivraie ; et lorsque tu parviens à en faire le tri, tu cherches à te l'approprier…

En tant que grand fan de REM, que penses-tu de leur dernier album ?

Roddy : J'aime beaucoup REM. En plus de 20 années d'existence, il a toujours fait preuve d'une qualité constante. Le dernier album est différent, c'est vrai. Mais je l'aime autant que les autres. Parce qu'il est avant-gardiste et exige une certaine tournure d'esprit pour véritablement être apprécié. Une faculté d'adaptation pas toujours évidente à acquérir…

Merci à Vincent Devos.

(Version originale de l'interview parue dans le n°72 - avril 1999 - de Mofo)

 

 

lundi, 31 mai 1999 05:00

Un éloge de la joie dans la mort?

Michaël John Sheehy, Andrew Park et Laurence Ash sont des personnages à la fois ouverts, cultivés et intarissables. Ils viennent, en outre, de sortir leur deuxième album, " In the cold light of morning ". Un disque fort intéressant, dont l'éclectisme peut pourtant se révéler dérangeant. Dream City Film Club ? C'était également le nom d'un cinéma pornographique de Londres, qui a brûlé, voici déjà quelques années. Mais pourquoi avoir opté pour un nom pareil ?

Michaël : Ce n'était pas à Soho, mais à Smithfield, dans le vieux Londres, près de Saint Paul et de la London City des banques. Une ancienne halle aux viandes de l'époque Henry II et de l'église St Bartholomé qui abritait un cinéma et un club porno, exclusivement réservés aux hommes. Probablement un truc gay. Il a été incendié par un type qui s'était fait jeter dehors. Et pour se venger, il est revenu balancer un cocktail Molotov sur l'immeuble. Tout a cramé, et personne n'a pu échapper au brasier… pas même ceux qui ont essayé d'éteindre les flammes… la queue en main… Cette tragédie a inspiré le choix du nom de notre groupe. D'abord, parce qu'en exerçant une sorte de fascination X, il collait bien aux chansons de notre premier album. Ensuite, parce que notre musique épouse un profil cinématographique qui pourrait convenir à la musique d'un film. Enfin, parce que Dream City Film Club est un enchaînement de mots, qui dans notre esprit, définissait le mieux la nature du groupe : les rêves, la ville, les films et les clubs.

Andrew : As-tu déjà entendu parler de l'écrivain Italo Calvino. Tu lui ressembles (NDR : ah bon !). Il est l'auteur des " Villes invisibles " (NDR : un bouquin publié en en 1972). Dream City Film Club compose des nouvelles assez brèves, qu'il aurait pu écrire

Le booklet de notre nouvel album est illustré par des photographies d'animaux morts, probablement empaillés. Y a-t-il un message symbolique derrière ces images ?

M. : Oui, celle des dinosaures du rock'n roll dont le regard mélancolique est resté figé… Le lapin, le chevreau ou le vison ont tous la même expression dans le faciès… Comme si c'était des natures mortes. Et nous pensons qu'elles sont belles.

Lawrence : C'est un peu comme s'il elles avaient rencontré la béatitude. Une célébration, une fête, un éloge de la joie dans la mort…

Le line up du combo me semble un peu élastique. Vous étiez quatre à vos débuts, trois lors de l'enregistrement d' " In the cold light of morning ", et de nouveau quatre pour accomplir cette tournée. Y a-t-il une explication à cette géométrie variable ?

A. : A l'origine, nous étions quatre, dont un deuxième guitariste. Mais il n'était pas très bon, et nous l'avons remercié. Bien que nous ayons fait appel à un violoniste, un saxophoniste et aussi à des choristes, le deuxième album de Dream City Film est à mettre au crédit du trio. Et l'excellent soliste que tu as pu voir ce soir est un musicien de studio que nous avons choisi pour accomplir cette tournée…

Votre nouvel opus est partagé entre compositions métalliques, presque punk, dans l'esprit de l'urban rock du Detroit de la fin des sixties, une ligne de conduite que vous semblez d'ailleurs privilégier " live ", et d'autres beaucoup plus atmosphériques, comme hantées par la musique country. Pourquoi une telle variété de styles pour un seul groupe ?

M. : Ces formations qui coulent invariablement leurs chansons dans un même moule à la con, me font chier. Tout comme les médias britanniques qui n'accordent pas aux groupes le droit de changer de style. Parvenir à élargir ton champ de vision, en te montrant plus éclectique, c'est quand même plus excitant, non ?

A. : Il est exact qu'on se reconnaît dans le son de Detroit. Mais ce n'est pas restrictif. Disons avec du noir et blanc dans les cheveux, qu'on secoue… (rires)

Le NME déclarait récemment que les comparaisons établies entre le DCFC et Joy Division ou Nick Cave étaient évidentes, mais pas nécessaires. Que pensez-vous de cette réflexion ?

M. : Je connais très mal Joy Division. J'ai peut-être eu l'occasion d'entendre deux ou trois de leurs chansons. Mais je ne vois vraiment pas ce qui nous rapproche de ce groupe. Par contre Nick Cave a certainement eu, quelque part, une influence sur notre musique. Il a puisé au sein de styles différents, et notamment dans la country, le gospel, le blues et le jazz, pour créer quelque chose de personnel, et surtout susceptible d'évoluer. Nous partageons cette manière de voir les choses. Iggy Pop est également quelqu'un d'important pour nous, parce que c'est un blanc qui s'est toujours exprimé à travers une musique noire. Enfin presque. Il est plus agréable d'être comparé à des artistes de cette trempe, plutôt qu'à Stereophonics, ou des groupes de cet acabit. Chez DCFC, nous voulons aller au delà de cette dimension, en y apportant notre touche personnelle. Nous avons choisi un style. Une façon de véhiculer ce style. Une façon de le concevoir. Et une manière de l'exprimer. Propre à nous trois. Parce que nous sommes nous-mêmes.

En écrivant " Stooge ", vous vouliez donc rendre un hommage à Iggy Pop, lorsqu'il était encore flanqué des frères Asheton ?

M. : Oui, c'est exact. Mais aussi parce que nous avions envie de prendre notre pied, en studio. Malheureusement, cet épisode a déclenché un flot de critiques. En fait, on nous a reproché de vouloir piller le passé d'Iggy Pop. N'importe quoi ! Nous l'avons fait pour le fun. Alors, je n'arrive pas à comprendre pourquoi on a fait un plat de toute cette affaire ?

A. : D'autant plus que d'autres avaient déjà opéré le même exercice dans le passé. Mais parce que c'était DCFC, ce n'était pas bien. Ces réactions nous ont vraiment foutu les boules…

Les rythmes tribaux d'Iggy et de ses Stooges, doivent vous toucher au plus profond de vous même, et en particulier Laurence, le drummer ?

L. : Ouais ! Notre musique flaire le sexe. La baise, quoi. En fait, copuler est un des instincts basiques de l'être humain. C'est pour cela que notre musique recèle des aspects tribaux. Elle te prend en dessous de la ceinture. Notre musique est à la fois une affaire de cul et de cœur. Et de tout ce qui se trame entre les deux. N'importe quel bon musicien ou bon artiste est déchiré par ce combat perpétuel entre le haut et le bas (NDR : traduction littéraire : entre le corps et l'esprit). Et la façon dont il l'exprime. C'est cet esprit que nous essayons de préserver. Celui qui nie cette évidence contribue à l'extinction de la race humaine. Or nous voulons qu'elle survive…

A. : Et ce n'est pas l'apogée des ordinateurs qui y changera quelque chose. Car, un jour, ils seront dépassés, à leur tour. Mieux, ils péricliteront. Tant qu'à faire, il vaut mieux empoigner une gratte sèche, s'asseoir derrière des drums et dénicher l'un ou l'autre instrument acoustique, quitte à jouer 'à l'arraché'…

L. : Nous n'avons recours aux amplis que par nécessité…

M. : Il y a des gens qui pensent que l'électronique a une âme. Nous pas. Il n'y a rien d'humain dans une machine. Ce qui ne veut pas dire que nous n'y avons pas recours. Mais avec circonspection. En fait, lorsqu'un effet technologique ne contient pas suffisamment d'âme, nous l'éliminons. Nous sommes des gens qui privilégions l'émotion. Il y a des groupes qui peuvent compter sur de très bons musiciens, mais qui travaillent en pure perte. Lorsqu'on monte sur scène, c'est pour faire passer quelque chose, un feeling au public. Je crois qu'il est surtout important de rencontrer les bonnes sensations. C'est à quoi nous voulons arriver. Avec ce deuxième album, nous sommes parvenus à atteindre de nouvelles émotions, une certaine grandeur d'âme, alors que sur le premier opus, on n'était nulle part. Et c'est en reconstruisant sur notre merde qu'on est parvenu à un résultat…

Lorsque vous avez écrit " Billy chic ", vous vouliez faire une ode à la cocaïne ?

M. : Non, pas du tout. La cocaïne n'est pas une drogue créative. Elle permet simplement aux mecs d'avoir l'illusion d'être Dieu, lorsqu'ils sont sur scène. Ce n'est pas du tout un produit que j'ai envie d'essayer. Parce que si j'atteins un jour la spiritualité ultime, ce ne sera pas avec de la came. En fait, celui qui en prend n'est pas bien dans sa peau. N'a guère confiance en lui. Estime qu'il est piètre chanteur ou mauvais musicien. J'ai un bien meilleur opinion de moi-même. Ce qui explique pourquoi je pense pouvoir arriver à cet état d'élévation de l'âme, sans avoir recours à ces artifices. " Billy chic " n'a rien à voir avec un quelconque éloge de la drogue, et de la cocaïne, en particulier. Il s'agit en fait, d'un état des lieux des médias en Angleterre. La cocaïne, est un voyage très onéreux destiné à te réduire à l'état d'épave. C'est de la merde, de toutes façons. Et une épave est incapable de créer, tombe dans la dèche, n'est plus qu'un pauvre type sans talent, dont on a même oublié l'existence. Et cela, c'est la pire des choses qui pourraient m'arriver.

Qu'est ce qui est gothique chez Dream City Film Club ?

A. : Rien ! Et si tu penses que nous sommes gothiques, alors on va se chamailler !

M. : Ce matin, nous nous sommes réveillés à Gand. Une ville dont l'architecture est gothique. Leurs architectes bâtisseurs étaient gothiques. Les artistes des années 80, qui jouaient du phaser, en ajoutant un peu de reverb derrière, n'avaient rien de gothique. Nous ne croyons que dans le gothique d'il y a 800 ans. Donc, quand tu me parles de gothique, c'est à cet art que je pense…

Pourtant, DCFC a une tendance à explorer la face la plus sombre, la plus pessimiste de la nature humaine ?

M. : Oui, mais c'était dans le passé ; et en particulier sur le premier album. Notre volonté est de se débarrasser le plus rapidement possible de cette image ténébreuse. En fait, il est plus facile d'écrire au sujet de choses tristes. C'est comme un trou noir qui vous aspire. Notre prochain album sera plus éthéré, davantage enclin à une forme d'élévation de l'âme…

Vous préférez sans doute troquer cette image noire contre de l'humour noir, je suppose ?

M. : Evidemment, parce que les gens prennent tout trop au sérieux. Ils sont horrifiés par ce qu'on raconte, car ils prennent tout au premier degré. Et cette situation nous amuse…

Merci à Vincent Devos.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 73 - mai 1999 - de Mofo)

C'est vrai qu'il est complètement casse-cou d'aller réaliser l'interview d'un groupe sans avoir pu, préalablement, écouter leur dernier album. Mais connaissant l'histoire du groupe, ayant décortiqué les articles de presse qui lui étaient consacrés depuis ses débuts ; et puis surtout, ayant assisté à leur concert, juste avant de rencontrer leur porte-parole, nous étions en droit d'espérer ne pas nous planter. Heureusement, l'entrevue avec Steven Drozd, guitariste, batteur, claviériste, fut particulièrement riche et intéressante ; ce qui a pu nous permettre de mieux comprendre la nouvelle philosophie musicale des Flaming Lips. N'empêche, on ne nous y reprendra plus à travailler dans de telles conditions. Qu'on se le dise ! Ah oui, si vous voyez l'album, faites nous signe…

Existe-t-il un symbole derrière la marionnette articulée par Wayne, live ?

Les spectateurs essaient toujours de trouver une signification à la présence de cette marionnette qui mime le chant de Wayne. Elle n'incarne aucun symbole particulier. Elle est simplement là pour qu'on se marre. Pour passer un bon moment. Elle ne sert qu'à amuser le public. Le but est strictement visuel. Maintenant, si quelqu'un veut en tirer une signification quelconque, tant mieux pour lui.

Ce show, c'est un peu du théâtre ?

En quelque sorte. Quelque chose que le public peut voir, regarder, susceptible d'attirer son attention. Je ne sais pas si le terme théâtre est approprié, mais il existe effectivement une composante dramatique sur scène…

Un peu comme lorsque vous projetez des films vidéo sur grand écran ?

En fait, c'est Wayne qui réalise le montage de la vidéo. Et ces images ne servent que de support au son. Lorsque vous voyez la bombe atomique qui explose, vous entendez en même temps une détonation. Elle rend la musique plus poignante qu'elle ne l'est en réalité. Amplifie sa portée. Mais, il n'y a pas davantage de message à comprendre. Il faut savoir que très souvent, les gens ramènent tout à leurs propre univers. Et lorsque nous disons que la guerre, ce n'est pas bien, l'image ne sert qu'à amplifier cette réflexion. Or, les gens ont envie d'y voir un message. Mais pour nous, il n'existe pas de message profond. Nos fans sont apparemment très créatifs, puisqu'ils fabriquent eux-mêmes le message…

A propos de cette vidéo, n'est-il pas trop difficile de synchroniser l'image avec la batterie ?

Non, non, pas du tout. Cette technique est toute simple. On a capté le son et l'image en une seule prise. Il suffit donc de placer la bande dans le magnéto et de la laisser jouer. La partition va dans la table de mixage et sort pat les haut-parleurs, alors que l'image est dirigée vers le projecteur vidéo qui la reproduit sur grand écran. J'ai assuré les parties de batterie qui sont filmées, alors que Wayne s'est chargé des samples. Nous les avons enregistrées à l'aide d'un caméscope. Puis on a transféré la bande vidéo vers un programme informatique. Lorsque vous voyez l'image, vous entendez le son en même temps. C'est logique. Mais quoiqu'il y ait sur la bande ou quoique il y aura, on la joue de toutes façons en direct. Par exemple, si la batterie et le piano figurent sur la bande, la guitare, la basse et le chant sont joués 'live'. Cette technique est assez facile à appliquer. Beaucoup plus facile qu'on pourrait l'imaginer. Ai-je répondu à la question ?

Absolument !… Vote style est en évolution constante. Mais aujourd'hui, nous avons l'impression qu'il s'inspire de plus en plus de la musique symphonique. Exact ?

Effectivement, notre style a évolué. En fait, le groupe a très longtemps fonctionné avec un guitariste. Le dernier nous a quittés en 1996. Aussi, lorsqu'il est parti, nous nous sommes demandé comment nous allions nous débrouiller pour en dénicher un autre de sa valeur. Mais en même temps, nous commencions à en avoir marre de toutes ces parties de guitares. En fait, nous avions envie d'avoir recours aux sonorités symphoniques. Telles que sections de cuivres, de cordes… Et à l'époque, nous écoutions des tas de choses différentes, tout en essayant de nous extirper de la routine guitare. Et les samples nous ont aidés à créer ces sonorités symphoniques composées de cuivres, de flûtes, de cordes, de timpanis, de gongs, et j'en passe. Or, en studio, nous sommes capables de reproduire tous ces instruments à l'aide d'un clavier. Et le plus frappant, c'est qu'on croirait vraiment que nous sommes accompagnés par un grand orchestre. On s'est alors décidé de supprimer les parties de guitare. Et on a vraiment plus envie d'y revenir. Car ce que nous avons réussi à l'aide des samples est très beau. Chargé d'émotion. Dans le futur, nous allons essayer d'atteindre un niveau plus structuré, plus sophistiqué et plus simple à la fois. Cette réflexion peut vous paraître singulière. A vous et à moi. A nos épouses. Même à ma mère. Mais même ma mère apprécierait. Nous souhaiterions que notre musique passe à la radio. Ce qui explique pourquoi nous nous libérons progressivement de la guitare en la remplaçant par davantage de piano et de claviers…

Est-il exact que les Flaming Lips sont capables de sonner comme neuf groupes différents, en même temps ? Et lesquels ?

Cette idée me séduit. En fait, comme tout le monde, nous écoutons les autres, empruntons aux autres et puisons des influences tous azimuts. Ce qui explique sans doute pourquoi, parfois on sonne comme Led Zeppelin, Frank Sinatra, Pink Floyd, Sonic Youth ou quelques autres… Il y a tellement de choses qu'on a écoutées, qu'on aime, et dont on voudrait s'inspirer. Dernièrement, nous sommes tombés sur un spot publicitaire diffusé sur MTV. Il projetait des extraits de concerts de Led Zeppelin mélangés à d'autres de Frank Sinatra. Le message était clair. Leurs musiques ne collaient pas ensemble. Mais à cette époque, nous travaillions sur un morceau que nous voulions sis aux confins de Led Zeppelin et de Frank Sinatra. Couplant des batteries jouées très haut et des sections de cordes. Merde alors, s'est-on dit, c'est justement ce qu'on essaie de réaliser…

Y-a-t-il des artistes ou des groupes que tu aimes plus particulièrement ?

Il en existe tellement qu'il m'est impossible de tous les citer. J'aime un peu tous les styles. Depuis la soul au rock classique, en passant par le jazz, le classique, l'indie rock, la bande son de film… (le concert de Silverchair couvre de plus en plus nos voix, et Steven s'arrête quelques instants en tendant l'oreille…) Pas ce genre de musique par exemple…

Est-il cependant possible d'apprécier les Dead Kennedys et Diana Ross en même temps ?

Je crois que beaucoup de gens manquent d'ouverture d'esprit. Tu vois, nous concoctons des compiles pour écouter sur la route. Des chansons ou des musiques que nous aimons. Mais nous veillons à mette sur la bande Neil Diamond auprès de Chrome, les Stooges à côté de Roberta Flack. Et lorsqu'on écoute toutes ces choses, on a l'impression que les uns sont les réponses des autres. Lorsqu'on prête l'oreille à quelque chose de mélodieux, puis de plus dingue, ce qui est plus fou, te paraît encore plus cinglé qu'en réalité. Et en même temps, si tu écoutes quelque chose de cinglé avant quelque chose de doux, la douceur  te paraîtra encore plus moelleuse. C'est ce qu'on essaie de traduire à travers notre musique. On la rend jolie, puis vilaine… 

Pourquoi les meilleures chansons des Lips ont toujours dégagé une tristesse désespérée, négative ?

Parce que c'est la vérité. Un point final. Et tant pis, si c'est négatif !

Penses-tu vraiment que l'être humain peut vivre seulement dans ses rêves ?

En vérité, je ne suis pas encore mort dans un rêve. Si vous pensez mourir dans un rêve, vous mourrez. J'ai presque déjà vécu cette sensation. Tu parles probablement d'une de nos chansons qui évoque la vie après la mort. Mais existe-t-il une question plus profonde que celle de l'existence après la mort ? Vous comprenez ce que je raconte ? Mais lorsque tu atteins 120 ans, à un certain moment, tu te dis, laissez moi mourir en paix ! Cela me paraît, somme toute, sensé…   

Est-il exact que les longs titres de vos chansons émanent d'influences surréalistes puisées chez Salvatore Dali ?

C'est Wayne qui écrit les textes. Il est passionné par l'œuvre de Salvatore Dali. Nous sommes allés visiter son musée en Floride. Wayne adore toute son imagerie. Il aime également d'autres peintres et artistes. Tels que Klimt. En fait, il écrit les lyrics de ses chansons comme s'il utilisait des mots pour peindre. Dali, c'est un monument…

Peut-on affirmer que les Flaming Lips créent de la musique tridimensionnelle pour un monde unidimensionnel ?

C'est comme si tu te trouvais dans une pièce grise et que tu te demandais s'il serait judicieux de mettre un peu de couleur sur les murs. Dans la musique rock si tout le monde jouait dans la même catégorie, elle deviendrait ennuyeuse. Nous, nous voulons nous faire plaisir en tentant de communiquer ce sentiment à d'autres. Nous essayons de mettre le plus de couleurs possible sur les murs de cette pièce grise…

Que penses-tu de ce que fait aujourd'hui, votre premier guitariste, Jonathan Donahue, chez Mercury Rev ?

Ils sont devenus aujourd'hui très populaires. Je les aime bien en tant qu'êtres humains. Ils sont vraiment hyper sympas. Mais je n'ai pas tellement apprécié leur dernier album. Je trouve qu'ils font toujours la même chose. Mais ne mentionnez pas ce que je viens de dire au sujet de leur disque, dans cette interview ! Nous avons tourné deux semaines ensemble en Angleterre et en Ecosse. Nous assurions leur première partie.

Merci à Vincent Devos.

mardi, 30 juin 1998 05:00

La vision panoramique de Gomez

Ils sont jeunes. Très jeunes, même. Et nous viennent du Nord de Liverpool. De Southport, très exactement. Un quintette qui compte, à son actif, quatre singles, dont le remarquable " 78 stone wobble ", et puis un premier album, " Bring it on ", qui a été très bien reçu dans toute la presse spécialisée. Excellents musiciens, les membres de Gomez ne sont cependant pas très loquaces, surtout lorsqu'ils doivent assurer une interview, préférant, soit éluder les questions, soit les tourner en dérision…

La pochette.

Le graphisme du booklet interpelle immédiatement. Des gravures très réussies, mais aux coloris ténébreux et aux motifs torturés qui vous flanquent instantanément une impression troublante de claustrophobie, de désenchantement. Une impression qui pourrait facilement s'expliquer par la situation économique du Merseyside, en proie à un taux de chômage effrayant. Et puis, par l'attitude du multi-instrumentiste, Tom Gray, le moins taciturne des cinq. Il a, en effet, participé aux marches organisées en faveur des mineurs en Angleterre. Maintenant, lorsqu'on lui rappelle cet épisode, il imagine qu'on le charrie. Et si on lui demande si Billy Bragg, régulièrement impliqué dans ce type de manifestation, est pour lui un modèle, il nous rétorque être davantage sensible à l'engagement social et politique de Woodie Guthrie. Mais revenons au graphisme du booklet. En couverture, un homme se pince le nez. Pourquoi ? Paul Blackburn, le bassiste, mais également le responsable de ces fresques n'aime pas trop voir analyser son art pictural. Ses répliques cinglantes corroborent ce point de vue. " Qu'est ce qui pue ? C'est l'haleine de Tom ! "  Et Tom d'en remettre une couche : " Oui, oui, c'est vrai, elle est tout à fait toxique ! "  En ouvrant le dernier feuillet, on découvre un bâtiment lugubre, blafard, jouxtant un autre tableau aussi sinistre, illustré par un visage en détresse, qui contemple cinq traits verticaux biffés d'une ligne horizontale. Est-ce le symbole d'un camp de concentration ? Le cri de détresse d'un détenu qui compte les jours qui lui restent à passer à l'ombre. Paul se défend de véhiculer de semblables desseins. " La tronche du personnage ne transpire pas le bonheur, c'est vrai ; mais le bâtiment n'est ni une prison, ni un camp de concentration ; c'est une usine. J'ai simplement voulu faire passer un message. Celui de l'allergie au travail. C'est tout ! "  (NDR : si on veut bien !)

Le style.

Difficile de comprendre comment de si jeunes musiciens, dont la moyenne d'âge est de vingt-deux ans, ont pu assimiler des styles aussi peu contemporains que le blues, le rythm'n blues, de l'école " Stax " en particulier, le psychédélisme de la fin des sixties ou la country ; et reconnaître pour influences majeures des artistes tels qu'Isaac Hayes, Curtis Mayfield, Marvin Gaye, Canned Heat, les Doors, le Floyd, Flying Burrito Brothers, Robert Johnson et même Ornette Coleman. Leur éducation musicale a-t-elle été tracée par leurs parents ? Tom réagit instantanément. " Pas du tout ! Nos parents n'écoutaient certainement pas Marvin Gaye ou Otis Redding. Un style beaucoup trop sensuel, lubrique pour eux (rires). Ils préféraient se brancher sur une musique plus douce, plus décente. Si nous reconnaissons ces influences, c'est parce que ce sont les disques que nous écoutons depuis notre plus tendre enfance. En fait, nous fréquentions régulièrement les disquaires. De vrais accros. Et dès qu'un vinyle était à notre goût, nous l'achetions. Ce qui explique pourquoi nous possédons une vision aussi panoramique de la musique. Il y a beaucoup d'espace et de volume dans ce que nous faisons. Nous nous intéressons à tous les courants musicaux, pourvu qu'ils correspondent à notre sensibilité. Nous ne nous limitons pas à parcourir un seul style, à adopter une seule formule. Nous élargissons notre paysage sonore, en mélangeant les sonorités les plus diverses. Cela nous permet d'accomplir notre propre voyage sonique, d'affirmer notre propre identité…" Une philosophie partagée par des artistes américains et surtout contemporains tels que Fun Lovin' Criminals, Cake et surtout Beck. Ben Ottewell, chanteur ou plus exactement crooner au timbre vocal aussi rocailleux que Tom Waits concède : " Cake est un très bon groupe. Leur dernier album n'est peut être pas très consistant, mais il recèle d'excellents morceaux. Cependant, je dois admettre ne pas suffisamment connaître ce groupe, pour pouvoir me prononcer à leur sujet. " Tom revient à la charge : " Les comparaisons, on s'en fout. Il faut bien que les médias trouvent matière à disserter. M'enfin, il vaut mieux être comparé à Suede qu'à Slade ! "  (NDR : on voit pas le rapport !) " Je ne vais quand même pas en faire une maladie parce que le groupe est bombardé de références. A priori, elles ne nous dérangent pas, mais il y en a tellement, qu'il faudrait un camion pour pouvoir les transporter ". Intervention soudaine de Ian Ball, le guitariste/harmoniciste : " Je n'aimerais pas que nous soyons comparés à Barbara Streisand ou à quelque chose dans le genre… " Finalement, il est à se demander si Gomez n'incarne pas la réponse britannique au funk post moderniste yankee des Fun Lovin' Criminals, et surtout de Beck. Encore que, côté groove, Gomez semble plutôt marcher sur les plates-bandes de Primal Scream. Et c'est loin d'être une critique négative. Ce qui n'empêche pas Ben de réagir : " Primal Scream ? Ils ont presque tout piqué aux Stones. Même le feeling de 'Gimme Shelter'. Enfin, nous ne sommes pas contre, surtout lorsque c'est bien fait. Leur dernier album m'a, en tout cas, beaucoup plu… " Et nous aussi !

L'identité.

Gomez est un nom qui colle bien à la formation. Parce qu'intrinsèquement, dans sa musique, on y ressent des influences latines, comme la bossa nova. Pourtant, aucun des musiciens n'a d'ancêtre espagnol, brésilien ou mexicain. En fait, Gomez est tout simplement le nom de famille d'un de leurs potes. Jason. Asiatique de surcroît. Mais alors, pourquoi diable, cette sensibilité latino ? Ben confesse : " Il n'y a rien de secret là-dessous. En fait, le rythme a beaucoup d'importance dans la structure de nos compositions ; et lorsque nous interprétons une chanson, un feeling latin domine instinctivement, naturellement, le tempo. Ce n'est pas le fruit du hasard. Ce sont des effets que nous recherchons. Et si c'est un hasard, c'est un hasard heureux. "

Une flopée de labels souhaitait signer le combo. Mais c'est finalement Hut, dont le catalogue épingle notamment Smashing Pumpkins, Verve et Placebo, qui a coiffé tous ses concurrents sur la ligne. (NDR : avec ou sans doping ?). Tom conteste l'idée reçue que le groupe aurait choisi cette firme de disques, en fonction de la notoriété de son catalogue : " Non, non, nous n'y avions pas pensé. Nous avons simplement signé ce contrat, parce que les gens qui travaillent dans cette boîte son sympas. Tout comme le boss, Dave Boyd, d'ailleurs. Et puis, nous sommes libres d'être aussi fous que nous le souhaitons, et aussi pop que nous le désirons… "

Merci à Vincent Devos.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 65 - Août 1998 - de Mofo)

 

Du line up initial, fondé en 1982, il ne reste plus que Marc Robbie, mieux connu sous son pseudonyme Stephen Pastel. Prophète effacé de la noisy, ce groupe glasgowégien a influencé une pléiade de formations. Entre autres, Jesus & Mary Chain, Wedding Present, Primal Scream, Vaselines et bien d'autres. Pourtant, malgré ses 16 années d'existence, un soutien inconditionnel de la presse spécialisée britannique, mais surtout un style aussi rafraîchissant qu'agréable, les Pastels continuent de végéter dans la zone crépusculaire de l'underground. Nous avons essayé de comprendre cette situation, pour le moins paradoxale, en compagnie de Stephen…

Les Pastels incarnent-ils l'antithèse du rock'n roll ?

Nous avons toujours refusé d'être complices d'un système, de nous conformer à des règles, à des traditions. Nous avons essayé de modifier la conscience du rock'n roll, en la dotant d'un nouveau vocabulaire, en suscitant de nouvelles idées ; parce que nous pensons qu'il a trop longtemps abusé de clichés, qu'il s'est évertué à faire l'apologie du business en érigeant un mur entre les artistes et le public. Les Pastels ont toujours voulu rester proches de leur public, en partageant des attitudes, en entretenant une certaine confidentialité…

Tout comme Aztec Camera, Orange Juice, voire James, les Pastels appartenaient, au cours des eighties, au mouvement " Postcard ". Par la suite, on vous a même affublé du sobriquet " anorak ". Pourquoi toutes ces étiquettes ?

A départ, nous étions influencés par Orange Juice. Personnellement, j'estime que c'était le meilleur groupe issu de la scène de Glasgow. Une formation réellement novatrice. Il faut croire que certaines personnes ont décelé certaines affinités entre eux et nous, car, lorsque les Pastels ont débuté, le mouvement " Postcard " s'était déjà éteint. Le terme " anorak " visait notre tenue vestimentaire de l'époque. Mais au fil du temps, il est devenu une insulte…

Vous ne les avez pas portés longtemps, alors ?

Pendant quelques années ; puis je m'en suis débarrassé, car les gens riaient de moi ? Aujourd'hui, il me viendrait plus à l'idée de me fringuer de la sorte…

Pourquoi avoir adopté une perspective féminine dans vos compositions ?

Probablement parce qu'au sein du line up, on y retrouve deux femmes. En fait leur concours tempère mes excès et permet un meilleur équilibre des morceaux…

Crois-tu que la musique permet de conserver la jeunesse éternelle de l'esprit ?

Absolument ! A chaque concert, à chaque enregistrement, nous sommes transportés par l'enthousiasme ; comme si c'était la première expérience. Nous recherchons constamment de nouvelles teintes sonores, de nouvelles harmonies, défrichons tout ce qui nous tombe dans l'oreille. Notre but n'est pas de sortir des disques à une cadence infernale, de respecter un planning imposé par tel contrat ou telles obligations. Nous voulons simplement mettre au monde quelque chose de bon, d'intemporel. A cet égard, nos disques reflètent l'image du groupe. Ce qui explique sans doute pourquoi nous bénéficions d'une jeunesse d'esprit unique, par rapport aux autres groupes…

Quelle place accordez-vous à la fragilité de l'être humain, à l'angoisse de l'adolescence, dans vos chansons ?

Une place très importante. C'est une forme de naïveté qui est restée au fond de mon âme, et que j'essaie de transposer dans la musique…

Ecrire des chansons plongées dans la mélancolie et l'amour de la nature écossaise, est-ce traduire ta propre façon de décrire la beauté ?

D'une certaine façon. Nous essayons de capturer un certain feeling de notre environnement. Prend l'exemple de Glasgow. C'est une ville à l'âme mixte. D'un côté, il y a cette dureté ; mais de l'autre une architecture élégante, de magnifiques arbres, etc. C'est également ce que je tente de faire passer dans la musique…

Tu as déclaré que les idées étaient ce qu'il y avait de plus important. Ne penses-tu pas que leur concrétisation l'est davantage ?

Je pense que les mauvaises idées qui ont été bien réalisées et les bonnes idées qui ont été mal exécutées, c'est du pareil au même. Dans cette optique, je partage ton point de vue…

Les Pastels ont toujours eu bonne presse. Mais malgré ce soutien médiatique, vous ne vendez pas beaucoup d'albums. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Difficile à dire. Il est possible que, dans le passé, nous ayons sorti une chanson qui aurait pu plaire au grand public ; mais que celui-ci n'ait pas lu ces articles. A moins que le fait de ne pas jouer suffisamment " live " annihile la capitalisation de ces échos. Autre explication plausible, notre passé peu ambitieux. Une raison qui donne peut-être l'illusion à la presse de nous avoir beaucoup soutenus. C'est vrai que nous faisions l'objet de bons papiers, mais jamais la couverture des magazines. Beaucoup de groupes reçoivent ou ont reçu de bonnes critiques. Et ils ne vendent pas ou n'ont jamais vendu tellement de disques. Tout dépend de la manière dont les événements se déroulent…

Oui, mais le groupe existe depuis 1982 ?

Pas vraiment. Nous avons enregistré notre premier disque en 1982. Mais nous n'existions pas vraiment. Je venais juste de quitter l'école. C'était simplement un hobby partagé entre amis. Nous ne sommes devenus un véritable groupe que depuis 1990, lorsque Katrina nous a rejoints. Depuis, nous avons travaillé beaucoup plus sérieusement, et depuis trois ans avec assiduité…

Kevin Shields participe à l'enregistrement de votre dernier album, " Illumination " ; une bonne expérience ?

Oui. Mais il n'a pas joué. Il a simplement mixé et mis en valeur une des compositions de l'album. Mais c'était une bonne expérience, parce que j'ai toujours voulu savoir comment les Pastels sonneraient s'ils se mettaient dans la peau des Valentines. Et le résultat est excellent. Pour moi, ce groupe est très important, c'est un de mes préférés. J'ai adoré la plupart de ses disques…

Hormis l'une ou l'autre participation à des sessions de studio, les musiciens de My Bloody Valentine se montrent plutôt discrets. Toujours pas de nouvelles de leur nouvel opus ?

Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Je pense qu'ils vont enregistrer un disque cette année. Enfin, on verra…

Leur dernier album remonte certainement à plus de cinq ans ?

Et même plus, il date de 1991 !

Pourquoi la musique des Pastels a autant d'affinités avec les groupes néo-zélandais du label " Flying nun ", tels que les Chills, Clean, JPS Experience et autres Verlaines ?

Vous n'êtes pas les premiers à me faire cette réflexion. Je pense que c'est à cause de la manière rafraîchissante avec laquelle on aborde le psychédélisme…

Jonathan Kilgour joue sur ton album ?

Oui, mais cela n'a rien à voir avec les Kilgour néo-zélandais. Jonathan et son frère Gordon sont issus d'Edimbourg ; et je ne pense pas qu'ils aient un jour été de l'autre côté de la planète. Mais c'est vrai qu'ils possèdent un fameux nom de famille !…

TV Personalities et les Membranes, toujours des influences majeures pour les Pastels ?

Non ; d'ailleurs, je ne pense pas que nous ayons été un jour été influencé par ces deux groupes. Peut-être le message colporté par TV Personalities. Mais il est vrai que j'aimais beaucoup leurs disques, la manière dont ils faisaient vibrer leurs chansons. Pour les Membranes, c'est une toute autre histoire. Nous aimions partager l'affiche de leurs concerts. Parce qu'ils étaient très amusants. Live, c'était un de mes groupes préférés. On y prenait chaque fois notre pied. Leurs prestations viraient même parfois à l'émeute. Ce sont d'excellents souvenirs. Je suis toujours en contact avec le guitariste, John Robb… Beck a un jour déclaré avoir été influencé par les Membranes. Je ne suis pas tellement étonné… S'il existe un groupe qui nous a beaucoup inspiré, c'est Sonic Youth. Il a remis en question la technique de la guitare; tout en conservant l'esprit de la pop. Depuis 1982, la formation n'a jamais cessée d'aller de l'avant, de développer de nouvelles idées, d'expérimenter, elle a véritablement bousculé l'écriture de la musique contemporaine...

Un peu comme le faisait le Velvet Underground à son époque ?

Ils m'ont appris l'alphabet de la musique. Ce fut un point de départ. Cependant, aujourd'hui, je me sens très loin de leur inspiration ; mais c'est vrai que j'ai toujours aimé ce groupe ; comme j'ai aussi toujours aimé ce que faisaient Jonathan Richman et les Modern Lovers…

Par contre, tu n'as pas tellement l'air d'apprécier les Go Betweens ?

Pourquoi ? Je ne suis pas un inconditionnel de leur musique, mais ils ont écrit de bonnes chansons. Je pense qu'ils ont réalisé des choses intéressantes, mais la communication entre nous n'a probablement jamais été de bonne qualité. J'apprécie la musique des Go Betweens. J'ignore pourquoi on s'est toujours évertué à nous monter l'un contre l'autre…

A contrario, les musiciens de Jesus & Mary Chain vous apprécient énormément et reconnaissent les Pastels comme influence majeure. Est-ce important pour vous, ou préféreriez-vous avoir plus de succès et gagner plus d'argent ?

Le succès et l'argent !

Un jour, dans un article du Melody Maker, Everett True a rapporté que les Stone Roses considéraient les Pastels comme le meilleur groupe du monde. Mais, un peu plus tard, lorsque ce journaliste vous a demandé si vous connaissiez un meilleur groupe que les Pastels, vous avez répondu les Stone Roses. C'était une boutade ?

En effet, à une certaine époque, Everett avait la manie de parler de nous dans la plupart de ses articles. De sorte que tout le monde pensait que nous étions ses amis. Lorsqu'il parlait de nous à ses interlocuteurs, ils répondaient chaque fois : " Oui, oui, ils sont bons ". Ce qui débouchait finalement sur des situations ambiguës et tronquées, puis le rendait agressif…

Stephen, est-il exact que si ta voix n'est pas toujours en harmonie, c'est parce que tu essaies de chanter comme les grands chanteurs de rythm'n blues ou de soul ?

Je reste un grand admirateur d'Otis Redding, d'Aretha Franklin, de Maxime Brown, d'Archie Bell et d'autres vocalistes noirs issus des sixties. La plupart de ces illustres personnages sortaient littéralement de l'harmonie, pour extérioriser tout leur talent de chanteuse ou de chanteur. Je suis très loin du compte et ne serais jamais une star de ce calibre. En fait, je suis incapable de chanter autrement…

Merci à J-B Ducrotois

(Version originale de l'interview parue dans le n° 63 - mai/juin 98 - de Mofo)

 

 

Daniel Lorca est né à Madrid, mais a vécu presque toute son enfance à New York, où il est allé à l'école française, en compagnie de son ami de toujours, Matthew Caws. Vous ne serez donc pas étonnés d'apprendre qu'ils manient très bien la langue de Molière. Ce qui est assez exceptionnel pour des Américains. Ira Elliot, le troisième larron, est un New-yorkais de pure souche. Plus âgé que ses deux autres compères, il s'est forgé une solide réputation de drummer au cours des eighties. En jouant au sein de tas de formations de garage rock. Et notamment des légendaires Fuzztones. Le groupe vient d'enregistrer son deuxième album, " The proximity efect ". Mais, rien à faire, lorsqu'on évoque Nada Surf, on ne peut s'empêcher de penser à leur formidable hit, décroché en 1996, " Popular ". Et pourtant, cette popularité ne leur est pas monté à la tête, car Ira, Matthew et Daniel sont demeurés très simples, disponibles, tout en acceptant d'aborder des sujets parfois difficiles. Des types vraiment sympas !

Pourquoi avoir confié la production de votre deuxième album à Fred Maher ? N'étiez-vous pas satisfait des services de Ric Ocasek ?

D. : Il n'existe pas de raison bien particulière. Nous souhaitions tenter notre chance avec quelqu'un d'autre. Nous avions établi une liste de producteurs, auxquels nous aurions pu faire appel. Mais nous avons d'abord rencontré Fred. Il a écouté notre cassette et s'est montré très intéressé. Mais nous avons surtout opté pour lui, parce que le courant était bien passé entre nous, lors de notre première rencontre. En fait, nous voulions collaborer avec quelqu'un qui soit très proche de nous, quelqu'un avec lequel on puisse être capable de cohabiter en studio, pendant trois mois, sans se rentrer dedans. Et je crois que nous avons fait le bon choix. Parce qu'il est ouvert à toutes les alternatives. Que ce soit les loops, l'électronique, l'informatique ou le traitement des sonorités acoustiques.

M. : (en terminant son plat de pâtes). Il est très cool dans tous les styles, et il est même parvenu à nous faire admettre des trucs qu'on croyait ne pas être notre tasse de thé. Il ne faut pas oublier qu'il était membre de Scritti Politti, qu'il a produit l'album parfait de Matthew Sweet, et surtout de Lou Reed, avec lequel il a d'ailleurs joué. Et tout ce qu'il fait, il le fait à fond. Aussi, nous avons beaucoup de respect pour lui...

Y a-t-il une manière fondamentale de travailler entre Ric et Fred ?

M. : Oui, Ric est beaucoup plus rapide, tandis que Fred est plus soigné.

Donc Maher vous a coûté plus cher !

M. : (rires) Absolument ! Normal, puisque nous avons passé beaucoup plus de temps en studio pour mettre en forme " The proximity effect ". L'enregistrement de " High/low ", n'a pas été trop onéreux. Parce que Ric n'est pas obnubilé par le fric. Lorsqu'il nous a demandé de produire notre premier album, il nous a simplement dit de ne pas trop nous tracasser pour la facture. L'argent n'est pas au centre de ses préoccupations, pourvu qu'il en ait assez pour vivre. Produire est vraiment sa passion…

D. : On a ainsi compris, au fil des interviews, pourquoi Ric était souvent sollicité pour produire le premier album des nouveaux groupes…

Il paraît que le job d'ingénieur du son, n'est pas vraiment le truc de Matthew ?

M. : Tout a fait ! Parce que je suis loin d'être doué dans ce domaine. A vrai dire, après avoir végété au sein de plusieurs groupes sans récolter le moindre succès, j'ai commencé à me poser des questions. Qu'est ce que j'allais devenir dans cette putain d'existence. J'étais alors âgé de 25-26 ans, et j'étais pourtant bien contaminé par le virus de la musique. Alors, j'ai pensé devenir ingénieur du son, producteur. Un beau métier qui allait enfin m'ouvrir de nouvelles perspectives. J'ai donc suivi des cours, au sein d'une école spécialisée. Qui était, je m'en rends compte aujourd'hui, complètement nulle. Je suis alors entré comme stagiaire au sein d'un studio d'enregistrement. Et je me suis royalement planté. Parce que je n'avais pas les compétences techniques. Lorsqu'un appareil ne fonctionnait plus, j'en réclamais un autre. J'étais incapable de réparer la moindre panne, aussi bénigne fut elle. Déjà que je n'étais pas doué en maths et en physique à l'école, mais là, alors, je me suis senti nul, nul, nul. Pour quelqu'un qui aime écouter des disques, j'ai vraiment manqué ma cible. Ingénieur du son, c'était vraiment trop fort pour moi…

En signant chez Warner, étiez-vous conscients que, quelque part, vous devriez accepter des compromis ?

M. : Nous en sommes conscients. D'ailleurs, nous avons réfléchi longuement avant de prendre cette décision. Parce que cette situation n'était pas prévue. C'est à dire que depuis que nous jouons ensemble, nous en sommes à notre troisième groupe. En outre, celui-ci est celui pour lequel nous avions le moins d'ambitions. On espérait, quand même, finir par décrocher un contrat. Au sein d'un petit label indépendant, par exemple. Mais lorsque nous avons reçu une proposition d'un major, on s'est demandé ce qui nous arrivait. On ne s'y attendait vraiment pas !…

D. : On n'y pensait même pas ! On s'est cassé la tête pensant plusieurs mois avant de prendre une décision. Nous n'en dormions plus. Nous voulions protéger la formation, car nous savions qu'en acceptant cette proposition, nous prenions des risques. En fait, sur dix groupes signés par un major, je crois qu'au moins six d'entre eux sont obligés de splitter. A cause du contrat. Parce que lorsqu'on ne vend pas assez de disques, la seule raison de survivre, c'est de casser le groupe. C'est l'unique solution pour gommer la dette que te lie à ce type de label…

M. : Une telle aventure est toujours périlleuse. D'abord, parce nous aimons ce que nous faisons ; ensuite, parce que nous sommes très soucieux de préserver le capital confiance qui s'est instauré entre le public et nous-mêmes. C'était sans doute la seule raison de ne pas signer. Au bout du compte, on s'est dit que nos disques pouvaient se retrouver dans tous les bacs des disquaires. Que ce serait bien, car c'est une raison pour laquelle on se produit en concert. Evidemment, signer pour une grande firme, ce n'est pas très cool. Mais prendre des décisions à cause de quelque chose qui est cool ou pas cool, ce n'est pas très cool… (rires). Dans ces conditions, nous n'avions pas de raison de refuser cette offre.

Léonard Cohen, est-ce un symbole pour Nada Surf ?

M. : Si on veut. Nous apprécions beaucoup ses textes, sa voix, sa manière de jouer de la guitare. Mais surtout ses textes, souvent pervers et un peu sadiques. Et les mélodies également. Des mélodies folk méditerranéennes (NDR : difficile à prononcer pour un anglophone !)

D. : Ses lyrics sont tellement beaux et soignés. Il raconte des histoires personnelles ou des choses embarrassantes avec une facilité inouïe. Nous, lorsque nous écrivons une chanson, il nous arrive de rencontrer d'énormes difficultés pour la terminer. Parce que si je ressens au fond de moi-même ce que je souhaite exprimer, traduire cette sensation, sans trop relater des sentiments personnels ou trop embarrassants, m'est assez difficile. Je n'ai terminé ma chanson que lorsque je suis parvenu à cracher ce que j'ai vraiment à dire. Chez lui, il le fait si naturellement. Il est vraiment fantastique...

M. : J'ai récemment lu " Beautiful loser ", son roman. Il est très beau. Il explore, de la même manière que dans ses chansons, les coins les plus cachés des relations intimes, des relations charnelles. Il pousse très loin l'idée du désir, de la jalousie. Du désir amoureux, et du désir le plus intense. Et c'est très bien écrit…

L'autorité parentale, c'est une idée de l'éducation que vous contestez. Pourquoi ? Défendez-vous votre propre concept de l'éducation des enfants ou est-ce simplement le résultat de conflits rencontrés au cours de votre enfance ?

D. : Ma propre expérience vécue au cours de mon enfance se traduit aujourd'hui par un certain ressentiment à l'égard du monde adulte, en général. Entre 14 et 17 ans, j'ai passé des moments pénibles. Tout ceux qui m'entouraient, profs, parents, adultes, me tenaient le même discours. M'imposant une ligne de conduite pour devenir heureux dans la vie. Un mode de vie complètement absurde que j'ai dû chasser de mon esprit pour retrouver mon équilibre. Ma crise d'adolescence, je l'ai vécue à 16 ans. Pendant deux ans, j'ai souffert d'une grosse déprime. J'étais même complètement flippé. A cause de ces valeurs qu'on avait inculqué et que je ne parvenais pas à éliminer. Je ne voulais pas croire que le bonheur se résumait à trouver du boulot, gagner du fric, avoir une belle bagnole, se marier, avoir des enfants et un chien, divorcer, et bla bla bla… J'imaginais la vie autrement. Et pour corser le tout, je suis né catholique. Tu peux donc imaginer que ma conscience était moulée dans ce dogme religieux, avec toute cette merde qu'il charrie. Dieu est mort pour moi, le jour de ma confirmation. Lorsque je me suis confessé au prêtre, j'ai été incapable de lui cacher la vérité. Je lui ai donc avoué avoir menti à mes parents, me masturber… des actes tout à fait normaux, lorsqu'on est âgé de 14 ans. Alors, il m'a infligé 40 'notre père' et 60 'ave Maria'. Et pendant que je récitais toutes ces prières, dans l'église, à une vitesse supersonique, j'entendais mes copains qui jouaient dehors. Et je voulais les rejoindre. Eux, n'avaient pas dit toute la vérité, et quelque part, ils avaient été récompensés… Puis j'ai commencé à me poser des questions. Ce n'était pas possible que Dieu écoute des prières débitées à une telle cadence. C'était vraiment n'importe quoi. Quelle connerie ! J'en ai donc conclu que si je pouvais encore croire en Dieu, il me serait impossible d'encore faire confiance à l'Eglise. La religion travestit la vérité. Plus tard, je suis passé par le même type de crise, mais avec mes parents… là, j'ai vraiment trop parlé...

Non, non, c'est vraiment très intéressant…

I. : Pourtant, c'est déjà une vieille histoire (rires) !

Qu'est ce qui va si mal au sein de l'école supérieure américaine, pour la critiquer à ce point sur votre hit, " Popular " ?

I. : Je n'ai pas fréquenté les cours de l'école supérieure américaine. Mais j'aurais voulu y aller. Malheureusement, ma famille n'était pas dans une situation sociale favorable pour que je puisse y accéder. Aux States, des tas de gosses rencontrent ce type de frustration. En ce qui concerne " Popular ", nous ne visions pas tout particulièrement l'école supérieure, mais les gens en général. Leur comportement, leur conduite, les règles qu'ils ont édictées en matière d'éducation…

Pourtant, lorsque vous avez décroché un hit avec cette chanson, ne pensez-vous pas être passés à côté de votre objectif ? Lorsque le public chante des slogans engagés, sans se rendre compte de ce qu'il dit, n'est-ce pas manquer son but ?

M. : Je comprends ce que tu veux dire. Lorsqu'on écrit une chanson conceptuelle, on se dit que dans un monde parfait, elle deviendrait un tube énorme. Or le monde est loin d'être parfait. Ce qui explique pourquoi, on ne s'attendait pas que cette chanson devienne un hit. Mais je ne crois pas que nous ayons manqué notre cible. Parce que cette satire, en devenant un hit, a été portée à son degré le plus élevé.

D. : Et elle est devenue double. C'est très intéressant. Parce que ceux qui se sont rendu compte qu'il s'agissait d'une satire en ont fait leur hymne. Et un sujet de réflexion. Par contre les autres, qui ne sont attirés que par le confort, la banalité et le superficiel, en ont également fait leur hymne. Un peu comme cette pom pom girl de mon ancien lycée, qui imagine, chaque fois qu'elle entend la chanson, que c'est sa chanson. Et en tombe presque en pâmoison. Et là, on se marre tous. Et on a du mal à croire comment elle peut se laisser piéger ainsi. Tu comprends ainsi pourquoi je parle de double ironie…

Sur votre dernier album, deux de vos chansons " Mothers' day " et " Robert ", s'intéressent aux droits de la femme. Avez-vous quelques explications à fournir, au sujet de ce que je considère comme un message ?

M. : Il n'y a pas grand-chose de nouveau à ce niveau. Rien de révolutionnaire non plus. Mais on ne raconte pas n'importe quoi. Nous pensions qu'il était important de le dire, en tant que mecs, de groupe masculin. Parce que je pense que dans le monde, il y a encore des types qui sont aveuglés par leurs principes. Inutile de leur parler d'une manifestation réunissant des femmes, ils ne la voient pas, ils ne l'écoutent pas, ils ne l'entendent même pas. Pire, ils l'ignorent. Ils sont à côté de la plaque. Ils peuvent aimer leur mère, leur sœur, ou à la rigueur leur épouse, mais traitent la femme comme un objet quelconque. Nous sommes très sensibles à cette situation. Parce que je connais des femmes qui se sont fait violer. Et en particulier l'histoire d'une amie, qui m'a beaucoup marqué. Alors, tu comprends, pourquoi on s'est engagé personnellement dans cette lutte…

Ira, tu as joué au sein de plusieurs groupes avant de rejoindre Nada Surf. Notamment les Fuzztones. Une belle aventure ?

I. : Avec le recul, je reconnais que mon séjour chez les Fuzztones fut une belle aventure. Mais je dois avouer qu'au moment même, ce n'était pas toujours la joie. Il y avait une tension permanente entre les membres du groupe. M'enfin, c'est vrai que nous dégagions, surtout sur scène, énormément de fun. Cependant, le groupe au sein duquel j'ai connu les meilleurs moments demeure Dear of Discipline. Un petit combo new-yorkais, qui pratiquait un style à mi chemin entre les Cramps et ACDC, dont tu n'as sans doute jamais entendu parler…

Vous ne semblez pas très chauds de voir votre public s'adonner au stage-diving. Une raison ?

D. : Parce qu'on ne souhaite pas que nos concerts se soldent par des blessés. Nous nous soucions de l'intégrité physique de notre public. Nous avons ainsi un jour failli arrêter un concert, parce que de très jeunes ados se faisaient écraser contre les barrières de sécurité. Lorsque je vois quelqu'un qui se tord de douleur, je me sens responsable. Et je ne parviens plus à me concentrer, et encore moins à prendre mon pied. Maintenant, lorsque l'ambiance est positive, et que le public est capable d'autogestion, je ne suis pas opposé au stage-diving. J'en ai même fait à une certaine époque….

Version originale de l'interview parue dans le n° 69 (décembre 1998) du magazine MOFO

 

mardi, 30 juin 1998 05:00

Du rêve à la réalité...

Inspirés à la fois du rockabilly, du psychédélisme, du punk sixties déjanté, du surf et des films d'horreur tournés au cours des fifties, les Cramps sont toujours parvenus à reproduire, dans la grande tradition du rock'n roll, leurs propres clichés jusqu'à l'outrance. C'est sans doute ce qui leur a certainement permis de conserver leur brevet d'intemporalité. Ils viennent donc d'enregistrer un nouvel album : " Big beat from Badsville ", et dans la foulée sont repartis en tournée. Qui transitait par l'Aéronef de Lille. Où nous avons eu la chance de rencontrer Poison Ivy et Lux Interior, au sommet de leur forme, alors que le couple avait d'abord décidé d'annuler toutes les interviews…

Vous avez quitté Creation, apparemment de méchante humeur. Pourquoi ?

Poison Ivy : Creation constitue, sans doute, un label idéal pour Oasis ; mais certainement pas pour nous. Le personnel de cette boîte nous détestait et nous a boycottés. Pour eux, nous n'existions pas. Alan Mc Gee était probablement le seul qui nous appréciait. C'est lui qui avait voulu nous signer. Mais il a été victime d'une overdose ; et on s'est retrouvé face aux comptables de la firme… Finalement, nous avions de bien meilleurs contacts avec Sony, qui était pourtant chargé de nous distribuer en Europe. Ce label s'est toujours montré correct et a toujours manifesté beaucoup d'enthousiasme à notre égard…

Pourtant, Jesus & Mary Chain vient de réintégrer Creation. Vous y comprenez quelque chose ?

P.I. : Non, je ne comprends pas leur décision. Mais ça les regarde !

Vous venez de rejoindre les Fleshtones chez Epitaph, formation avec laquelle vous partagez un record insolite ; celui d'avoir transité par le plus grand nombre de labels en vingt années d'existence. Une concurrence ou une coïncidence ?

Lux Interior : J'ignorais que les Fleshtones avaient connu autant de labels. Mais nous ne sommes pas des amis intimes, ni des concurrents. Nous les connaissons pour avoir partagé la même affiche de l'un ou l'autre concert. Et puis, nous respectons ce qu'ils font…

Il n'y a pas de cover sur " Big beat from Badsville ". Des regrets ?

P.I. : Non, non, pas du tout. Ce qui ne veut pas dire que nous n'allons plus en faire. Il y a tellement longtemps que nous pratiquons cet exercice. C'est quelque part notre mode de vie. Mais, pour cet album, nous n'en avions pas trouvé une qui nous plaise totalement. Et puis, finalement, nous nous exprimons beaucoup mieux à travers nos propres chansons qu'à l'aide de celles des autres…

L.I. : Lorsque nous avons fondé les Cramps, les albums de réédition n'existaient pas encore. Nous recherchions les 45 tours dans les marchés aux puces. Nous pensions même, à l'époque, que personne n'aurait jamais entendu parler de ces disques, si nous ne les jouions pas. Mais aujourd'hui, un tas de formations jouent ces morceaux. Aussi, je pense qu'il n'est plus aussi indispensable d'interpréter autant de covers que nous ne le pratiquions auparavant. Mais si dans le futur, une chanson en valait vraiment la peine, nous l'inclurions sur un album. Nous avons d'ailleurs gravé un single, il y a quelques mois, sur lequel figure une reprise en face B. Cela n'a jamais été et ce ne sera jamais une règle générale…

Quelle est la frontière entre l'imagination et la réalité pour les Cramps ?

L.I. : L'imagination génère la réalité. La réalité procède d'une pensée, d'une idée. Et l'intention de concrétiser cette idée correspond à ce que nous appelons la réalité. Si la réalité est un fait qui exige d'être reconnu par les autres, ma réalité est partagée. Dès lors, la définition de la réalité implique un consensus entre personnes. Mais elle est le fruit de l'imagination. Un exemple ? Les Cramps sont nés d'une idée. Or, aujourd'hui, ils sont une réalité, ils doivent donc être une réalité Ils ne peuvent être qu'une réalité et non pas rester au stade de l'imagination. Mais en fait, l'imagination est en amont de toute chose. La réalité sans l'imagination est inconcevable…

P.I. : Les êtres humains qui ont une vie ennuyeuse nous regardent, en pensant que nous ne représentons pas la réalité. Pour eux, notre création n'est pas la réalité. Mais ce que nous faisons est très réel. En fait, pour nous, ce sont tout ces gens portant des costumes/cravates et qui s'ennuient qui ne sont pas la réalité…

L.I. : Toutes les grandes découvertes scientifiques ont débuté par une idée. Einstein était capable d'imaginer ce qui allait devenir vrai. Il ressentait que son idée pouvait devenir réelle. Mais il lui a fallu des années et des années pour la démontrer. Mais s'il n'avait pas fait preuve d'imagination, il ne serait pas connu. Prend le cas d'un avion, il faut d'abord l'imaginer avant de pouvoir le construire…

P.I. : Cette philosophie est démontrée dans un grand livre qui s'intitule " A propos de l'art et de la physique ". Einstein ne serait jamais parvenu à imaginer la théorie de la relativité, s'il n'avait pas découvert une peinture cubiste consacrée au cosmos. La théorie de la relativité est postérieure au mouvement cubiste. Comme la fusion à froid est apparue après la naissance des Cramps (NDR : ! ? ! ? !)…

En extrapolant, vous pensez donc que sans les rêves, il est impossible de changer le monde ?

L.I. : En fait, le rêve vient d'abord. Ensuite, on tente de comprendre pourquoi on a rêvé, selon des théories scientifiques…

Lux, tu as un jour déclaré que les être humains avaient été créés par des extra-terrestres. Mais que pour nous garder sous leur contrôle, ils ont inventé des religions, des pays et des langages différents. Peux-tu préciser ta pensée ?

L.I. : Cette idée n'est pas neuve. Il existe toute une littérature philosophique qui prône cette hypothèse. Je suis, en outre, fort sensible à cette philosophie qui repose sur la transformation de singes en êtres humains par les aliens. Cependant, par erreur, les êtres humains sont devenus supérieurs à leurs créateurs. Particulièrement les femmes. Alors, les envahisseurs ont disséminé cette population aux quatre coins de la planète, leur ont inculqué différents langages, de sorte que leurs différences les poussent à se battre entre eux ; et en même temps, permette aux aliens de contrôler plus facilement les terriens. Et c'est ce qui se passe sous leurs yeux aujourd'hui…

Le 14 juin 1981, vous assuriez la première partie de Siouxsie & The Banshees à l'Ancienne Belgique de Bruxelles. Au cours du set, Lux a pris un crâne et a déclaré : " Ceci est ma mère!…" Pourquoi ne pas avoir également invité ton père ?

P.I. : Mince alors ! Ah ça fait vraiment longtemps. Je ne m'en souviens pas. Mais c'est possible. Est-ce qu'il était déjà mort ?

L.I. : Non, non, il n'était pas encore disparu. Mais aujourd'hui, il est bien décédé. Je me souviens seulement du spectacle. Siouxsie & The Banshees ne nous avait concédé qu'un mètre d'avant-scène. Ce qui devait représenter à peu près quinze mètres carré. Mais heureusement, à l'époque, nous n'avions pas besoin de beaucoup de place pour jouer…

Vous êtes fascinés par les vampires. Mais vous ne mangez pas de viande. Vous préférez peut-être le sang ou le boudin ? (rires)

P.I. : Effectivement, nous ne mangeons pas de viande. Ni ne buvons de sang. J'aime le concept des morts vivants, des vampires, parce qu'il y règne beaucoup de sexualité. C'est une sorte d' " addiction ", un peu comme lorsqu'un drogué est en manque ; il doit absolument prendre sa dose. Donc, ce comportement est pardonnable. Il existe une grande variété de vampires. Pas seulement ceux du sang. Des vampires astraux et puis des vampires qui ont une toute autre dimension. Des vampires de l'énergie. Le sang est seulement une forme. Il faut également tenir compte des mauvais vampires, intéressés par notre énergie. On doit alors se protéger…

L.I : Par exemple, des vampires qui sévissent dans le monde de la musique. (rires)

P.I. : Oui, mais nous, on est bien protégés face à ce type de vampires. Ce qui explique pourquoi on est toujours ici…

Les Cramps sont devenus un groupe culte. Mais, en général, les groupes culte n'ont de succès que lorsqu'ils sont morts. Comment allez-vous faire, lorsque défunts, vous décrocherez un " award " ? (rires)

P.I. : Je vais vous confier un secret. Nous sommes morts. Nous sommes des vampires. Et comme nous n'avons pas l'intention de quitter la scène…

L.I. : C'est dans l'esprit de cette chanson de Screamin' Jay Hawkins, " Je m'en fous pas mal si tu me veux, je suis à toi de toutes façons… ".

Pour les Cramps, les films de série B seraient du blues. Peux-tu préciser ta pensée ?

L.I. : Pas facile à expliquer. Tout d'abord, lorsqu'on parle de série B, il faut bien distinguer celles qui nécessitent d'énormes moyens, qui bénéficient de grands studios, comme tu peux le voir sur la TV ; et puis, les films à caractère artistique. Réalisés par quelques personnes, ils constituent, en quelque sorte, un art populaire. Ils sont authentiques. Très proches de la réalité. Alors qu'un film fabriqué en studio, nécessitant 1.000 participants, n'est qu'un produit, sans grand intérêt, par dessus le marché. En fait, il existe un parallélisme entre les " B movies " et le blues ou le rock'n roll, parce qu'on est en présence d'un art populaire. Ces gens qui racontent des choses à propos de leur propre vie. Il en va de même pour les séries B. Prend l'exemple d'Ed Wood. On remarquait immédiatement sa signature. Mais lorsque la réalisation d'un film réclame un grand studio, un réalisateur célèbre, met en scène des bagnoles Corvett qui explosent ou des hélicoptères qui s'écrasent, on est loin de la réalité…

Vous êtes des collectionneurs invétérés de disques vinyles, de cassettes vidéo, consacrées à ces séries B ; et puis également de bandes dessinées. En avez-vous, un jour dressé un inventaire ? Avez-vous encore le temps de les écouter, de les regarder ou de les lire ?

L.I. : En permanence ! Lors de nos tournées, nous emportons toujours une valise contenant une bonne vingtaine de cassettes vidéo. Nous les visionnons régulièrement. A New-York, nous appartenons à un club qui s'intéresse aux films rarissimes. Nous y découvrons des œuvres qui ne figurent même pas en cassette vidéo. Nous venons d'assister à la projection de " Légende de Leila Clare ". Stupéfiant ! Depuis notre enfance, nous collectionnons les BD des années 50. Elles sont rock'n roll, dans la mesure où elles sont réellement sataniques, hallucinantes (NDR : hallucinogènes ?), procurent des frissons aux adultes de cette génération. Par exemple, sur la couverture d'un magazine, on pouvait rencontrer un globe oculaire transpercé d'un poignard. Un art populaire très étrange ! A cette époque, ces bandes dessinées étaient considérées comme amorales ; et ont été censurées par la législation. C'est ce style de bouquins que nous collectionnons. On y retrouve, un peu, l'esprit rebelle de la jeunesse des années 50 et 60. Et nous disposons même d'exemplaires de ces BD qui remontent à une quinzaine d'années de plus, des BD à l'imagination malsaine, macabre…

Qui est ce Ghoulardi, à qui vous rendez hommage sur " Big beat from Badsville " ?

L.I . : Il avait réalisé la pochette de " Stay sick ". Un passionné de films d'horreur qui était régulièrement invité sur les plateaux de TV. Notamment à Cleveland. Il était très populaire, mais aussi maniaque. Il portait une perruque effrayante et des lunettes de soleil munies d'un seul verre. Il lui est même arrivé de jeter un pétard pirate en plein débat télévisé. Faut dire que l'occasion était belle, puisque pour la circonstance, le présentateur avait invité des scientifiques. Malheureusement, il est mort cette année…

Qu'est ce qui est répréhensible dans le rock'n roll ?

L.I. : Je ne supporte pas les gens qui sont incapables de faire la différence entre le rock'n roll et le rock. Le rock'n roll est un style de vie, un mode de vie. Vous êtes un rock'n roller ou vous n'en êtes pas un. C'est l'un ou l'autre. Ensuite, il y a la musique rock. Et dans ce domaine, on rencontre des gens qui jouent de la musique rock et qui sont jugés par leurs pairs. Et ils décrètent que telle musique est meilleure qu'une autre. Mais le rock'n roll est une musique simple. C'est supérieur au reste. Supérieur ! En fait, le problème, c'est que la plupart des gens ne connaissent toujours pas la définition du rock'n roll !…

Sans Jery Lee Lewis, Link Wray et Elvis Presley, il n'y aurait pas eu de rock'n roll ; mais pas de Cramps, non plus. Qu'en pensez-vous ?

P.I. : Difficile d'imaginer le rock'n roll sans eux. Ils en sont les architectes, les géniteurs…

L.I. : Si tu consultes le catalogue du label " Sun ", tu remarqueras qu'ils sont tous disparus, sauf Jerry Lee Lewis. Et pourtant, il y a vingt ans que tout le monde pense qu'il va passer l'arme à gauche…

P.I : Celui que tout le monde voyait rendre son dernier souffle le premier est toujours là. Il n'a jamais pris soin de lui, commis les pires excès, boit, fume ; mais il est toujours bien vivant. Incroyable !

L.I. : Longue vie à Jerry Lee Lewis ! On l'a un jour rencontré sur le parking d'un studio d'enregistrement. Je me suis précipité vers lui en lui annonçant que nous venions d'enregistrer notre disque aux studios " Sam Philipps " de Memphis, au même endroit qu'il avait commis les siens. Il m'a répondu que c'était bien, que c'était formidable, que j'étais un mec. Mais instinctivement, je me suis placé devant le pare-chocs de ma Dodge 1966, parce qu'il y est inscrit : " Honk if you like Elvis "… Je ne voulais pas que Jerry voie cette mention.

P.I. : En fait, elle est reproduite sur un autocollant…

L.I. : On t'aime bien Jerry !… Mais on se disait : " Surtout ne regarde pas le pare-chocs, Jerry, on t'aime bien tu sais… "

Espérez-vous, tant qu'il est encore de ce monde, pouvoir un jour jouer avec lui ?

L.I. : Jouer avec Jerry Lee Lewis ?

P.I. : Oh, oui ! J'attends ce moment avec impatience. Et je parie qu'il le ferait. Ce serait la concrétisation d'un rêve…

L.I. : Et le rêve devient réalité. C'est vrai que j'ai rêvé de cet instant. Mais je ne pense pas qu'il ait besoin de nous, autant que nous ayons besoin de lui…

Version originale de l'interview parue dans le n° 63 (mai/juin 98) du magazine MOFO

Merci à Vincent Devos ainsi qu'à Danièle (Aéronef), sans qui cette entrevue n'aurait pu avoir lieu.

 

 

 

 

 

dimanche, 31 mai 1998 05:00

Sex Drugs and Rock n roll

Originaires de Portland, dans l'Oregon , les Dandy Warhols sont considérés comme le groupe américain le plus anglais des nineties. Version britpop, bien sûr. Encore qu'en y regardant de plus loin (NDR : Pourquoi pas de plus près ?), cette pop britannique contemporaine doit également beaucoup au garage sixties américain… D'ailleurs, Courtney Taylor, chanteur et leader de la formation, ne croit pas (ou si peu) à l'originalité pure et dure, mais plutôt à l'originalité du recyclage…

L'enregistrement de votre deuxième album a nécessité 5 mois. Un accouchement apparemment laborieux ?

Si son enregistrement a duré si longtemps, c'est que nous avions besoin de tout ce temps pour le réaliser. En fait, nous disposions de 5 mois. Personne n'achève jamais tout à fait un album. En vérité, lorsque tu n'as plus de fric, l'enregistrement est terminé. Or, nous disposions de suffisamment de ressources pour y passer 5 mois. Si nous en avions eu pour le double de temps, nous serions resté 10 mois en studio. Notre premier opus, " Dandy's rule O.K. ", n'avait pris que deux semaines. Et nous n'étions pas en studio tous les jours. En fait, sur les 2 semaines, 3 jours avaient été consacrés à l'enregistrement, et 3 autres au mixing. Nous y étions contraints. Et le résultat fut superbe. Nous avons réalisé un grand album en 5 mois, parce que nous en avions les possibilités. C'est vrai que deux semaines, c'est peu, mais c'est toujours mieux que rien du tout…

A propos de ce premier album, vous semblez en être à la fois fiers et embarrassés. Une raison ?

Il est comme il est. Nous l'avons écouté, hier dans le bus. Et lorsqu'il est arrivé à la plage " Lou Weed ", j'ai regardé Pete en lui disant : " C'est ça notre premier album ? " Nous qui écumions les petites salles et les petits clubs depuis à peine une année étions déjà capables d'atteindre ce niveau de maturité. Incroyable ! Le mixing est un peu faible, mais ce disque est un témoignage de ce que nous étions alors capables de faire. En fait, je n'arrive pas à croire que nous étions déjà aussi bons à cette époque…

Tu as un jour déclaré que les Dandy Warhols étaient le produit d'un environnement. Lequel ? De Portland ? De la fin des nineties ? Et pourquoi ?

Simplement parce que nous sommes tous issus de cette région. Naître à Portland n'est pas ce qui pouvait m'arriver de mieux ! Tu parles d'un environnement, d'un décor ; de ce côté là, on n’est vraiment pas gâtés !

Courtney, tu as étudié la musique, la psychologie, la philosophie, la photographie et l'histoire de la civilisation américaine, à l'univ. Mais tu ne sembles guère branché par la politique. Or, suivant l'adage, si tu ne t'intéresses pas à la politique, la politique s'intéressera à toi. Ce n'est pas un problème pour toi ?

Non, pas encore. Pas la politique internationale en tout cas. Ca me dépasse. Elle ressemble à une toile d'araignée (NDR : il éternue.). Et je ne vois pas comment on pourrait s'en dépêtrer. C'est beaucoup trop compliqué d'harmoniser tous ces peuples qui éprouvent des envies et des désirs différents. Je m'intéresse davantage à la politique individuelle. Celle qui me permet de défendre mes propres intérêts face à mon label, face à mes employeurs. Mais je me débrouille plutôt bien dans ce domaine. Je n'insulte pas trop de monde. Et même personne, sauf ceux qui le méritent. Non, sincèrement, je préfère m'impliquer dans la musique. Parce qu'elle répond à un besoin du public. Et puis, c'est beaucoup plus facile.

Que représente Ian Dury pour les Dandy Warhols ?

Je ne comprends pas la question. (NDR : ou il feint de ne pas la comprendre).

La devise des Dandy Warhols, à l'instar de la célèbre chanson de Ian Dury, n'est-elle pas " Sex and drugs and rock'n roll " ?

(Plutôt embarrassé) Tu veux savoir ce que j'en pense ? Je n'ai pas trop envie d'en discuter, à cause du groupe… Pourquoi Ian Dury chantait " Sex and drugs and rock'n roll " ? En fait les trois thèmes sont étroitement liés. Enfin étaient très liés au cours des 80's. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins flagrant. En fait, les artistes qui n'abordaient pas la sexualité, étaient opposés à la drogue, jouaient du rock'n roll et s'impliquaient dans la lutte politique. U2, par exemple. Ce choix est personnel. Si tu fais du rock'n roll, tu peux le conjuguer avec le sexe et la drogue. Mais tu peux également associer le sexe et le rock'n roll sans toucher à la drogue. Enfin, tu peux t'abandonner au sexe et à la drogue, sans pratiquer du rock'n roll. Mes parents consomment du sexe, sans pour autant s'intéresser au rock'n roll et à la drogue. J'en suis pratiquement sûr. Il est vrai que s'il n'y avait pas de sexe, il n'y aurait pas de rock'n roll. Et probablement pas de drogue (NDR : ? ! ? ! ?). Aujourd'hui, les critères sont occupés de se modifier fondamentalement. La politique et le sexe sont beaucoup plus liés. Bill Clinton a remplacé la drogue par la politique. Il a ainsi inventé un nouveau concept : sexe, politique et rock'n roll. C'est son tiercé gagnant ! Mais je ne compte pas m'y lancer, parce que la politique est beaucoup plus imprévisible que la drogue. Ian Dury était un idéaliste. Lorsqu'il abordait le sexe, la drogue et le rock'n roll, il parlait de ce qu'il connaissait. Sans plus !

Il paraît que tu rêves de faire du cinéma. La musique n'est donc, pour toi, qu'un tremplin ?

Plutôt une thérapie. Chaque fois que vous écoutez votre chanson, vous affirmez votre identité, parce qu'elle vous ressemble. Je créerais de la musique, même si j'étais un robot. Je dois produire de la musique. Je me sens investi d'une mission. Après avoir accompli une tournée, je passe des journées entières à écouter de la musique, à composer. Des journées, que dis-je, des nuits à fumer des cigarettes, à boire des cocktails, à jouer de la guitare, à pousser mes amplis, le casque sur les oreilles. J'en oublie même d'en aller me coucher. Parfois, je travaille jusqu'au lever du soleil, pour créer, m'éclater. J'éprouve une sensation de chaleur intense, à l'intérieur de mon corps, rien qu'à y penser. Ce comportement reflète parfaitement ma manière de vivre. Ma personnalité. Je me suis toujours comporté de cette manière… Mais j'aimerais également, un jour, pouvoir interpréter un autre rôle que le mien. Au cinéma, par exemple. J'ai des tas d'idées dans ce domaine. J'adore le cinéma. Faire un film. Oui, mais pas seul. Avec mes amis et des tas de collaborateurs, des techniciens aussi. Ce serait drôle, mais bien, j'en suis sûr…

Quelle est ta définition du psychédélisme ?

C'est une question difficile. Quelque chose de profond. De difficile exprimer. Il me faudrait une bonne sieste pour pouvoir réfléchir à la question. Non, je préfère ne pas y répondre…

Avec un pied dans le rock américain des sixties et l'autre dans la britpop des nineties, vous n'avez pas peur de perdre votre équilibre ?

Pas du tout ! Il faut bien mettre les pieds quelque part. Ce qui compte c'est de savoir où on les met. Si notre prochain album devait renouer avec une certaine idée de ce qui se faisait en 1979, à Houston, dans le Texas, je m'en foutrais complètement.

Est-ce un plaisir pour vous de pasticher les autres groupes ?

En quelque sorte. Plus exactement un hommage éhonté. J'ai essayé de me fendre Neil Young. Mais n'y suis pas encore parvenu. En fait, je n'ai jamais rien trouvé de plus stupide que ces formations qui se contentent d'imiter les autres groupes en niant l'évidence. Comme si les influences n'existaient pas. Personne ne serait capable de concocter sa propre musique si quelqu'un ne l'avait pas pratiquée auparavant. Personne n'a inventé la musique. Elle a évolué. Il est impossible de progresser sans regarder dans son rétroviseur. Nous existons parce que d'autres ont existé avant nous. Ceux qui pensent le contraire sont des crétins. Et il en existe beaucoup dans le domaine du rock…

Je sais que tu apprécies beaucoup Neil Young. Mais en même temps, tu as un jour déclaré que les musiciens de Pearl Jam étaient une bande de poseurs stupides. Or ce groupe a joué avec Neil ; et ils ont même enregistré un album ensemble. N'est-ce pas paradoxal de tenir un tel discours ?

En fait, ma remarque s'adressait surtout à Eddie Vedder. C'est un type impersonnel, immature, et certainement pas un idéal. Il se crée un personnage plutôt que d'être lui-même. C'est sans doute dû à l'énorme pression qui pèse sur lui. Je reconnais que le fruit de la rencontre entre Pearl Jam et Neil Young était nickel. D'autant plus que les musiciens du groupe aiment beaucoup Neil Young. A une échelle moins importante, cela nous fait penser à une formation de Portland qui nous aime également très fort. Notre batteur, Eric, les a pris sous sa houlette, et est allé en studio pour produire une de leurs chansons. Il l'a ainsi rendue époustouflante. Ce travail lui a pris sept heures. Il l'a fait, pas parce qu'ils sont brillants, mais parce qu'ils sont sympas. Vraiment des chouettes gars. C'est superbe de pouvoir travailler avec des gens qui aiment ce que vous faites. Je suis convaincu que les musiciens de Pearl jam ont passé de bons moments en compagnie de Neil…

Quels sont les plus noceurs ? Oasis ou les Dandy Warhols ?

Oasis ! Parce qu'ils gagnent plus de fric. Ils sont des rebelles totalement insouciants et vivent à cent à l'heure. Ils se comportent comme des gosses sans scrupules qui auraient décidé de ne plus se rendre à l'école parce que leurs parents, décédés, leur auraient légué une fortune. Personne ne pourra les arrêter. Ils semblent vraiment hors de contrôle. Et leurs pitreries n'amusent plus personne. Ni eux, ni leur entourage. Nous sommes beaucoup plus conservateurs. Nous ne passons pas des nuits blanches à guindailler sous l'influence des drogues. Sauf lorsque le lendemain on peut dormir… Nous n'emmerdons pas les gens, sauf lorsqu'ils nous font chier. Là est toute la différence…

Tu as déclaré qu'il était utopique de croire que quelqu'un puisse encore réinventer la technique de la guitare. Tu n'as jamais cru en Sonic Youth ?

Ils sont formidables. Mais ils n'ont rien inventé ni réinventé de nouveau. En fait, ils régurgitent ce que d'autres, avant eux, avaient déjà fait. Tu peux tout disséquer si tu veux, tu retrouveras le canevas ou le beat de Can ou de Suicide. L'astuce est de capter des sources différentes et d'essayer de les brasser pour obtenir quelque chose de nouveau. Mais pas consciemment. Instinctivement, comme elles arrivent. On se fiche pas mal de l'origine ou de l'existence des influences. Inévitablement, il existe toujours un moment où vous avez l'impression de gratter quelque part dans le passé. Mais pourvu que cette sensation ne vous envahisse pas au point de vous agacer, et qu'elle soit suffisante pour que vous aimiez. Ce qui est important, c'est d'imaginer quelque chose qu’on n’entende pas, mais qui ressort. Sans quoi, on penserait trop, et on ne créerait plus rien…

Merci à Vincent Devos.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 62 - avril/mai 1998 du magazine Mofo)

samedi, 31 octobre 1998 04:00

La vérité toute nue...

Isabel Monteiro est brésilienne. Elle chante et joue de la basse. Mike Chilysnki, américain. Il se charge des drums. Enfin, le britannique Daron Robinson assure les parties de guitare. Le trio cosmopolite vient d'enregistrer un deuxième album, " White magic for lovers ", dans la foulée d'un single, pardon d'un hit single, sur lequel, Thom Yorke est venu donner de la voix. " El president ", pour ne rien vous cacher. Isabel n'a pas sa langue en poche, pas seulement parce qu'elle a beaucoup de choses à raconter, mais parce qu'elle possède une vision de la vie très personnelle, profonde aussi, mais le plus souvent déconcertante…

Thom Yorke, le leader de Radiohead, chante sur votre hit single, " El president ". Comment s'est passé votre rencontre en studio ? N'est-il pas trop difficile à vivre ?

D.R : On s'est vraiment fait chier... Il n'avait pas grand-chose à nous raconter.

M.C. : C'est vrai qu'il n'était pas du tout marrant.

D.R. : Et en plus, c'est un gay !

I.M. : Non, c'est tout à fait faux (rires), il a vraiment été génial, très très bien. Nous avons chanté " live ", tous les deux, trois ou quatre de nos chansons. Il possède une voix étonnante, fantastique. Lorsqu'on le regarde chanter, son expression est très douce, très pure. Cette rencontre a été un véritable plaisir. Je pense qu'il était beaucoup plus difficile pour moi d'atteindre son niveau de qualité. Il enchaîne chanson après chanson sans jamais faiblir. Sa voix est imperturbable, ne perd jamais en intensité. La mienne se fatigue progressivement, car je fume un peu trop. Mais cette rencontre était à la fois très amusante et enrichissante, car nous devions chanter face à face. C'était comme si il voulait essayer de gagner un concours. Finalement, il y avait une sorte de compétition entre nous, mais dans le bon sens du terme…

Mais pourquoi a-t-il accepté de chanter en duo avec toi ? Parce que vous repreniez, " Blackstar ", 'live'?

I.M. : C'était il y a deux ans, lors d'un festival. Radiohead occupait la tête d'affiche, mais ils étaient tous extrêmement nerveux. Nous n'avions jamais imaginé qu'un groupe pareil puisse se sentir aussi tendu, à l'idée de devoir se produire comme tête d'affiche d'un festival. Nous les avons rencontrés en coulisses et nous les avons invités à rejoindre notre loge. Là, nous avons joué " Blackstar " ; et puis nous avons beaucoup discuté ensemble. Nous leur avons répété qu'ils méritaient cette tête d'affiche, parce qu'ils étaient géniaux sur scène. Depuis, ils nous ont toujours voué une profonde gratitude. Et puis, nous avons tourné aux States avec eux, et nous sommes devenus des amis. Avec le recul, je comprends mieux, que le succès d'un groupe puisse causer une telle pression ; mais d'autre part, je pense qu'ils nous observent en pensant que nous sommes toujours capables de nous amuser sur scène. Eux ne peuvent plus. Sur les planches ils doivent délivrer un set très professionnel. Mais, en nous regardant, ils se rappellent que quelques années plus tôt, ils disposaient toujours de la liberté d'oser faire les choses qu'ils souhaitaient…

Pour en revenir à " El president ", il appert que cette chanson traite de l'interventionnisme des Yankees à El Salvador, au Chili et à Cuba. Vous détestez l'impérialisme ? Ne pensez-vous pas que le communisme comme le néo libéralisme, sont d'autres formes d'impérialisme ?

I.M. : Je ne pense pas que tous ces systèmes soient fondamentalement mauvais. Mais il est absurde de penser qu'il soit possible d'établir un système qui plaise à tout le monde, parce que tout le monde a des objectifs différents, dans la vie. Bien sûr, nous sommes contre l'impérialisme américain, mais c'est un mouvement inévitable, un développement inéluctable de l'humanité. Il existe des étapes différentes dans le progrès. C'est parfois moche, mais il ne faut pas seulement regarder le mauvais côté de la médaille. Il y a aussi des choses positives. Cependant, je ne me sens pas suffisamment experte pour mener un tel débat. Je ne souhaite pas que cette chanson se limite à montrer du doigt la CIA des Etats-Unis, mais qu'elle prenne une dimension humaine. Nous rappelle qu'il existe des gens, des être humains qui ont souffert et souffrent encore, qui se sont battus et qui se battent encore pour défendre ou arracher leur liberté….

Lors d'une interview, tu as proclamé que le patriotisme pouvait s'avérer dangereux. Ne penses-tu pas que tu aurais dû parler de nationalisme ?

I.M. : Tu as tout à fait raison. Je pense qu'il est important de se reconnaître à travers une culture, de développer sa propre identité en retenant les bonnes choses qui appartiennent à ton pays. Je pense que les humains sont divisés en tribus ; et c'est naturel, mais cette situation peut devenir franchement dangereuse…

Pourtant, tu as déclaré que les choses dangereuses peuvent se présenter aux humains sous une forme magnifique?

M.C. : Bonne question ! Pourquoi ? Dis le nous !

I.M. : La chose la plus dangereuse que tu puisses faire, c'est de dire aux gens ce que tu penses vraiment. Mais telle est notre manière de vivre que nous essayions de faire passer à travers nos compositions. Il est important pour nous de dire ce qu'on pense vraiment.

Pourquoi la vie est un choix entre l'amour ou la liberté, mais jamais une association ?

I.M. : Quel terrible poids ! Pourquoi ne peut-on jamais avoir les deux. Nous vivons tous cela. C'est notre idée d'atteindre l'amour et d'être libre, mais ils ne viennent pas facilement ensemble. L'amour est une prison, qui emprisonne les émotions…

Drugstore est un groupe mélancolique. Mais pourquoi essayez-vous de traduire la dépression en douce mélancolie. Parce que vous êtes vraiment mélancoliques, ou par simple exercice de style ? Que pensez-vous de la mélancolie cultivée par des groupes tels que Cowboy Junkies, Mazzy Star et Jesus & Mary Chain ?

I.M. : J'ai l'impression que ces groupes sont un peu plus intelligents, plus doués que Drugstore. Je ne pense pas que nous ayons l'idée, ni la patience d'essayer d'atteindre leur statut. Nous ne sommes pas davantage académiques. Lorsque j'écris, c'est très naïf, très pur. Pour moi, c'est le seul moment vrai, l'écriture spontanée. Tout ce qui arrive après, c'est de la merde.

D.R. : C'est absolument vrai !

I.M. : Il y a un long voyage entre le moment où tu écris une chanson, dans ta chambre, jusqu'au moment où tu la joues devant 25.000 personnes, et puis encore un autre avant d'être capable de faire face aux interviews. Je pense qu'il y a un côté de mon cœur qui est mélancolique. Je pense que ce côté existe dans le cœur de chacun ; si vous êtes une personne sensible, on ne peut rien faire contre la peine, les sentiments, pas seulement les siens, la vie en elle même…

Entre les enregistrements de vos deux albums, vous avez vécu des moments difficiles. Est-il exact que vous étiez sur le point de splitter ?

I.M. : Je ne pense pas que nous étions sur le point de nous séparer, mais nous étions parvenus à une sorte de panne, en tout cas une panne financière, parce lorsque notre label a été racheté par Polygram, nous nous sommes dit que nous allions connaître les vacances. Cependant, au bout d'un certain temps, nous avons dépensé tout notre argent, et puis on a dû vendre tous nos biens. Nous avons alors vécu des moments difficiles, et franchement, nous n'avions vraiment pas l'idée de ce qui allait pu nous arriver.

D.R. : Nous étions liés à ce label, et nous avons dû attendre plus d'un an avant qu'ils ne décident ce qu'ils allaient faire de nous…

I.M. : Ces moments ont été pénibles, mais nous ne voulions pas nous séparer, car d'une certaine manière, cette épreuve nous avait rapprochés. On ne fout pas un groupe en l'air, juste pour une question de droit…

Isabel, tu chantes et tu joues de la basse, en même temps. Lorsque nous avons rencontré Kevin Ayers, il nous a raconté, que c'était difficile de faire les deux en même temps, parce que la voix doit passer à travers. Partages-tu son point de vue ?

I.M. : Je pense que si c'était difficile, je ne le ferai pas. Je joue de la basse très simplement. Cet instrument est d'ailleurs une antiquité. Je ne pense pas que ce soit si difficile. Il est amusant de constater que certaines personnes peuvent faire des choses différentes en même temps. Je suis incapable de conduire une voiture, parce que je trouve cet exercice extrêmement difficile : coordonner ses pieds, sa main gauche et les yeux, ainsi que les feux de signalisation, sans oublier les piétons. C'est beaucoup trop ! Je n'arrive pas à imaginer une vielle damne de 85 ans au volant de da voiture… mais je parviens à jouer de la basse tout en chantant; et cet exercice ne me demande aucun effort…..

Tu préfères le vélo ?

I.M. : Je ne suis pas plus brillante sur une bicyclette !…

Tu as un jour avoué que lorsque tu dormais, tu avais des rêves vivifiants, psychiques, complètement fous. Mais qu'ils étaient une des tes principales sources d'inspiration. Exact ?

I.M. : Parfois, il m'arrive de vivre des rêves sexuels…c'est vraiment génial…je pense que les rêve sont liés à ce qui nous arrive dans la vie. Il m'arrive de rêver que je me produis nue sur scène, et que tout le monde se barre… (NDR : Pourquoi, pourquoi ? Y a pas de raison !)

Quelque part dans les chansons de Drugstore, on retrouve une atmosphère carnavalesque ; et en particulier sur la composition " Funeral song ". Est ce que l'esprit du carnaval est éternel dans l'âme d'une femme brésilienne ?

I.M. : Je pense que Daron et Mike peuvent répondre.

M.C. : Tout ce qu'elle fait en est imprégné…

I.M. : Parce que les funérailles sont une célébration de la vie, vraiment. Nous sommes complètement désensibilisés par rapport à la mort…

Pourquoi la tragédie de la vie est un thème récurrent dans vos chansons ?

I.M : Quelle question difficile ! Nous sommes à l'affiche d'un festival, et il y a du soleil ! Mais soit, parlons un peu de la souffrance. Je pense qu'être conscient de la mort, de la tragédie de tout le monde, est une chose importante. Ainsi, tu peux te mettre sur la bonne voie, c'est-à-dire apprécier la vie, faire le maximum dans ta vie, parce qu'inévitablement, cela se terminera un jour. C'est sûr !

Pourtant, tu as affirmé qu'il n'y avait pas de Dieu, d'espoir, et probablement pas de but, dans la vie. Penses-tu que ce soit une vision positive des choses ? Personnellement, nous ne partageons pas ce point de vue. Pourquoi ce nihilisme ?

I.M. : Ce n'est pas un nihilisme intégral. Je pense que c'est parce qu'il y a un côté positif à notre attitude. Nous vivons tellement étroitement, tellement inquiets de ce que les gens pensent. Chaque fois que l'on quitte sa maison, on a ce poids de savoir comment vivre, parler, comment on devrait être ou ne pas être. Penser qu'il n'y a pas de raison d'être pour cette raison. Cela vous libère en quelque sorte. Tu peux être toi même, sans avoir peur. Ce qui compte, c'est toi, tes amis, tes relations, les choses que tu aimes faire dans la vie. Le reste n'a pas beaucoup d'importance. C'est donc bien une forme de nihilisme qui n'est pas complet, qui ne va pas jusqu'au suicide. La vie est quand même chouette…

Merci à Jean-Baptiste Ducrotois.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 67 - Octobre 1998 - de Mofo)