La foule est moins dense que la veille. Le public semble encore plus dispersé et éclectique que les jours précédents... Parfois, lorsqu'on s'écarte des scènes, on se demande si on participe encore à un festival rock ou si on traverse les allées d'une grande foire. Mais Dour, c'est ça aussi ! Celles et ceux qui n'ont plus participé à ce type de manifestation depuis des lustres seraient sans doute très surpris de son évolution… Bref, en se faufilant entre stands de sponsors, échoppes de magasins et en évitant les corps étendus de jeunes 'cuves psycho-narcotiques', on atteint finalement le but ultime: The Last Arena.
Là-bas, les Anglais de Help She Can't Swim pulvérisent la plaine à grands coups de riffs et de cris stridents. Coïncidence qui ne trompe pas: la plaine de la Machine à Feu n'a jamais aussi bien porté son nom. Les guitares virevoltent et la voix de Leesey Francis, la chanteuse, extermine les moindres temps morts du concert. Les hits s'enchaînent et se déchaînent: "Fermez La Bouche" (ce titre !), "My Own Private Disco" ou "What Would Morrisey Say ?" alimentent la tension vitale de cette décharge en règle. Un set puissant pour un quintet à tenir à l'œil.
Quelques mètres plus loin, c'est l'effervescence. En compagnie de son fidèle batteur, l'étrange Scout Niblett rabote la Petite Maison dans la Prairie. Le couple est une version renversée du duo rouge et blanc de Detroit. C'est un style particulier: Scout Niblett est fringuée comme une caissière Carrefour signalant la route à des chauffards paumés en plein Alabama. On sent la fougue Albini traverser les titres surpuissants de ces White Stripes du pauvre. Pourtant, le compte en banque du mélomane s'enrichit: "Fuck Treasure Island", "Valvoline" et "Good To Me", tombent dans son escarcelle pour ne plus jamais en ressortir. Un pur moment de découverte!
Sous la Club Circuit Marquee, Modey Lemon se chauffe à l'ancienne. Derrière son micro, Phil Boyd éructe la panade rock'n'roll favorite de son trio. Venus défendre "The Curious City", leur dernier opus, les Américains dévoilent une rage sirupeuse qu'on ne leur connaissait pas. Les gaillards sortent leur rock du garage et l'envoient promener sur les chantiers du grunge et du punk. A ce titre, "In the cemetery" et "Trapped rabbits" résonnent encore comme d'indéniables réussites.
Sur le coup de 16h50, Daniel Darc débarque sur la Red Frequency Stage. L'ancien leader des Taxi Girl reste une curiosité à lui seul. Il se déhanche continuellement. Son chant est aussi saccadé que celui de Miossec, lorsqu'il n'est pas très proche d'un Gainsbourg des mauvais jours. Cet homme est un écorché. D'ailleurs, il ne faut pas longtemps pour s'apercevoir que la vie de Darc a cramé par les deux bouts. Sa gueule de névrosé tatoué est à peine masquée par des lunettes noires. Dans la rue, on le prendrait facilement pour un chanteur SDF qui fait la manche. En découvrant son show, on a la conviction qu'il vit dans son propre monde. Il nous raconte - entre autres - ses mésaventures avec la police belge (sa détention pour consommation (abusive?) de cocaïne) à une certaine époque de sa vie. L'impression globale est pitoyable voire pathétique… Et pourtant, la magie opère. Soutenu par d'excellents musiciens, Daniel Darc déballe une sensibilité rare dès les premiers titres de son set. Ressassant souvent les mêmes thèmes : le suicide ou la perte de (ses ?) repères. Toujours sur le fil du rasoir, Darc dégage un 'je ne sais quoi' qui ne laisse pas indifférent. S'il était un peu plus respectueux de son entourage (il s'énerve un peu trop souvent sur son pied de micro, allant jusqu'à le briser), il pourrait rejoindre, bien malgré lui, la vague des artistes étiquetés 'nouvelle chanson française'. On aimerait le revoir en meilleure forme…
Sur la scène principale, une accalmie (toute relative) règne par rapport à la journée du vendredi : le métal lourd de la veille cédait le relais à du hardcore… On regrettera néanmoins que des groupes du même style se produisent au cours d'une tranche horaire identique. Dilemme donc pour choisir entre l'école française (ETHS et Watcha) et la new-yorkaise (25 Ta Life et Murphys' Law). Si ce sont principalement les ados qui se déchaînent sur les sets vitaminés mais sans surprise d'ETHS et Watcha, c'est finalement sous la chaleur étouffante de la Popbitch Tent que les vrais amateurs de hardcore se sont donné rendez-vous. Après une époque de gloire vécue au début des 90's, le hardcore new-yorkais semble être un peu passé de mode. Mais bon, le public de Dour n'est pas aussi pointu que celui du Graspop. Ainsi, sous le chapiteau, on ne dénombre qu'une centaine de personnes. Mais l'ambiance est bonne et l'esprit vraiment underground. Malgré l'accumulation des concerts (ne se contentant pas des grands festivals, ces formations jouent un peu partout lors de leurs tournées européennes: même dans des salles plus étriquées), les artistes américains sont loin de se la jouer "grandes stars" et ne se prennent pas la tête. Aussi les New-yorkais ne font-ils pas la fête en backstage, se mêlant généreusement à la foule ou dressant carrément un stand improvisé d'autoproduction sous le chapiteau.
Il est malheureusement un peu trop tard pour admirer les irréprochables 25 Ta Life. Autour du charismatique Rick Healey (encore un tatoué de partout), un gros turn-over s'est opéré dans le line-up (NDR : Oups… A force de côtoyer des Américains, on finit pas y perdre son langage) du collectif. Sur scène, tout porte à croire que c'est encore ce bon vieux Rick qui tire son groupe vers le haut.
Pour le retour de Murphy's Law, quelques fans s'étaient donnés rendez-vous. Mais au début du concert, on a l'impression qu'il y a autant de monde devant le podium qu'en backstage. Tant leurs copains de 25 Ta Life que d'autres musiciens aficionados du genre se regroupent sur les côtés de la scène pour participer à la grande fête. Car si vous ne les connaissez pas, ne vous fiez pas à leur nom (la célèbre loi du capitaine Murphy envisage toujours une issue pessimiste), ni à celui de leur dernier opus (« The party's over »). La fête n'est, en effet, jamais finie chez eux. Nos quatre gais lurons gagnent donc la scène. Le line-up des Murphy's a également changé au fil des décennies, mais le frontman original Jimmy 'G' Gestapo répond toujours présent. Il est même bien entouré. Et en particulier par l'ex- Demonspeed Sal Villaneuva. Look de catcheur, il aurait pu incarner le vengeur masqué. Il ne faut pas plus de deux titres pour que Jimmy fasse monter l'ambiance. Face à une telle animation, des tas de curieux viennent se mêler aux fans. Le public s'embrase au simple contact de l'énergie communicative des sympathiques New-Yorkais. Une spirale délirante fait rapidement de ce concert un grand moment festif et convivial. La scène est sans doute trop petite pour le chanteur déjanté qui bondit dans le public dès le troisième morceau, électrisant davantage la foule. Le groupe invite alors le public à créer le traditionnel 'circle'. (NDR : pour les non-initiés, cette invitation consiste à former un cercle au sein duquel les spectateurs courent et pogotent de plus en plus vite, sur un rythme tribal, cadencé par la musique). Et quand on vous dit que ces Américains savent faire la fête: ils ne sont pas avares de libations et ne tarissent pas d'éloges à propos de notre bière belge ('You have the best beer in the world'). Le groupe se montre généreux, distribuant ses canettes dans le public. Jimmy G s'amuse à les ouvrir de côté avec les dents (quelle mâchoire !) et asperge le public du breuvage. Musicalement, l'éclectisme est de rigueur : on passe du punk US made in NOFX au bon vieux hardcore à la Sick of it All, le tout épicé d'une pointe de ska et de reggae (de ce côté, le bassiste s'en donne d'ailleurs à cœur joie). C'est sûr Murphy's Law n'usurpe pas sa renommée légendaire de groupe de scène. La formation prend clairement du plaisir à jouer. Leur joie est communicative et entre littéralement en communion avec le public. Espérons qu'on puisse les revoir bientôt chez nous, dans un cadre plus adéquat.
Napalm Death leur succédait sous la Popbitch Tent. Les fans gardent certainement le mauvais souvenir de leur annulation 1998. Le dimanche 12 juillet très exactement, moment de gloire pour la France qui remportait la coupe du monde de football. Ce même jour, Immortal et Louise Attaque (dans un autre genre mais aussi en dernière minute) déclaraient forfait. La pluie et l'absence (prévue celle-là) de Rammstein avaient rendu la soirée vide et maussade. Cette année, Napalm Death n'a pas fait faux bond et était plus décidé que jamais à nous balancer sa purée sonore à la figure. A l'instar d'Anthrax, Napalm Death n'a guère de lien avec l'univers terroriste et demeure un des noms incontournables en matière de trash. Le groupe n'a pas non plus échappé à la loi des changements de line-up. Mais sur scène, son authenticité reste intacte.
Comme nombre de nos compatriotes à l'affiche, Jeronimo a recueilli un énorme succès. Aussi bien avant qu'après son show; et en particulier pour la séance de dédicaces (NDR : ce stand Humo est encore une nouveauté à Dour, une initiative que l'on retrouve depuis longtemps dans les festivals flandriens) au cours de laquelle les fans faisaient la file. Des compositions très personnelles, de belles chansons à texte et de longues balades bien agréables que l'on préfèrera revoir et écouter dans une ambiance plus nocturne (NDR : il n'est que 18h30). De plus, cette grande Red Frequency paraît tellement démesurée lorsque l'artiste chante en solo.
Et ce n'est pas en solo, ni en version DJ, mais bien entouré d'un authentique groupe rock qu'Alec Empire prend le relais sur la Last Arena. Ses allures et attitudes ne sont pas sans rappeler Iggy Pop. Plus jeune et torse nu, tel l'iguane du rock, Alec Empire s'exhibe véritablement, se dépense sans compter, avant de se lancer dans un slam et de prendre un petit bain de foule. Entouré d'une jolie claviériste (NDR : Cette dernière avait probablement oublié ses sous-vêtements au vestiaire. Un spectacle d'autant plus apprécié du côté de l'écran géant, sur le côté de la scène), il nous livrera un set solide ; nous remémorant parfois d'inoubliables instants passés en compagnie d'Atari Teenage Riot, son ancien groupe. On se rappelle d'ailleurs du gracieux concert offert par le bonhomme quelques années auparavant, sous une chaleur tout aussi étouffante.
Malheureusement, il a fallu se résoudre à quitter les lieux après un bon quart d'heure. Non que le style soit peu accessible mais parce qu'un zapping s'imposait. Le rendez-vous avec Mickey 3D est fixé. En fait, les préjugés ont la vie dure. C'est ainsi sans grande conviction et plutôt par curiosité que l'option se porte sur les Français. D'autant plus que les occasions seront rares d'aller les applaudir cette année. Pour preuve: Dour est la seule date belge prévue à ce jour par le trio. Les tubes simplets comme « Respire » ou « Yalil » trottent inévitablement dans toutes les têtes. Mais sur scène, le groupe semble vouloir casser cette image à tout prix. Résolument rock, dans l'attitude et dans le rythme, Mickey 3D surprend et impressionne. Finalement plus proche de Noir Désir que d'un piètre groupe de variété française. A l'instar du dernier album, « Matador », le collectif hexagonal ne prend pas une mauvaise direction. Même le mégatube « Respire » est joué de façon très rock, presque speedé. Et si « J'ai demandé à la lune » est repris dans une version toute aussi révoltée en rappel, c'est sans doute une façon pour Mickey de montrer qu'il est également un artiste à part entière (NDR : Un excellent parolier du moins. C'est lui qui a écrit les lyrics de cette chanson, popularisée par Indochine).
Dans la même lignée, Saian Supa Crew (NDR : après un premier passage annulé à Dour) manifeste également un certain talent (dans un registre rap/hip hop cette fois). Ici également, le tube « Angela » et son clip vidéo sont très présents dans les esprits. Mais sur scène c'est une autre histoire : accompagnés d'un DJ, les cinq rappeurs attirent la grande foule. Il manquait même de place sous le Dance Hall. Celui-ci débordait de monde jusqu'à plusieurs dizaines de mètres à l'extérieur du chapiteau… on n'avait plus vu un tel enthousiasme depuis le passage de…Kyo ! Bref, un peu comme pour Vive la Fête la veille, Mickey 3D et Saïan Supa Crew ont mérité un statut de 'têtes d'affiche' dans un festival qui n'en propose plus vraiment. La place est laissée aux surprises et aux découvertes et c'est tant mieux!
A Dour, une part belle est faite aux revenants! Le reste de la soirée en atteste : Television, Young Gods et Front 242. Rien que ça ! Et décidément, un problème persiste cette année : la répartition des artistes sur les scènes en fonction du public ciblé.
Pendant que Saian Supa Crew faisait le plein au Dance Hall, Television n'attirait que quelques centaines (à peine) de spectateurs devant la scène principale. Installés au premier rang, les vrais fans pouvaient se compter sur les doigts d'une main. Peu de jeunes: logique, ce groupe mythique est né en 1975. A l'époque, de nombreux festivaliers n'étaient pas nés. Peu importe, Tom Verlaine et ses acolytes ont un classique à défendre: "Marquee Moon". Alors, jouera, ne jouera pas ? Dans la fosse, le respect a remplacé l'hystérie et le recueillement s'impose. Dans une ambiance clinique et rétrograde, les New-yorkais retracent l'histoire du rock. Si Television a réellement participé à l'épopée du punk, Tom Verlaine demeure sans aucun doute le moins bon guitariste de cette idéologie révolue. Ce mec est une véritable bête, un animal 'pince-sans-rire' et 'sans voix' mais un admirable guitariste quand même. Moins d'une heure après l'entame du concert, les premiers échos de "Marquee Moon" retentissent enfin. L'instant est fort, vibrant. On se rend à l'évidence: ce groupe a influencé ses pairs à jamais. Et soudain, c'est la fin. L'illusion perdue se retire en coulisses. Un dernier regard en direction de la maigre assistance en guise de remerciement, Tom Verlaine s'évapore dans l'obscurité. S'agissait-il d'un adieu à la Belgique ?
Pour leur part, les Young Gods avaient choisi Dour pour fêter leur 20ème anniversaire. En 1992, ils nous avaient accordé un concert époustouflant. A l'époque, la formation suisse partageait la tête d'affiche en compagnie des Négresses Vertes (NDR : depuis le décès d'Helno, le groupe n'est jamais parvenu à remonter la pente). L'excellent album "TV Sky" succédait alors à un autre chef d'œuvre "L'Eau rouge". Treize ans plus tard, la potion magique des jeunes dieux a toujours le même goût. Mais cette fois, elle est concoctée par un trio chant/batterie/synthé. En effet, les Young Gods sont surtout des divins du sampling. Il est toujours aussi troublant d'entendre ces riffs de guitare détonants (particulièrement sur le tube "Skinflower"), sans voir le moindre guitariste en action. Originaire de Genève, la formation parvient toujours à agrémenter son subtil mélange d'electro-noisy d'une touche industrielle ou de post-punk. Les Young Gods sont capables de se muer en ensemble philharmonique (on se souvient aussi de leur album hommage à Kurt Weill). Franz Treichler se démène toujours autant. Bénéficiant d'un joli 'light show', la prestation est unanimement appréciée. Aussi bien chez les connaisseurs postés aux premières loges que chez les curieux reculés. Comme le bon vin, les Young Gods ont bien vieilli. Reste à voir et surtout à écouter ce qu'ils nous proposeront à l'avenir. La sortie d'une compilation est annoncée. Mais elle ne présentera qu'un seul nouveau titre.
Un petit vent de douceur et de jeunesse n'est jamais désagréable à rencontrer. Dans la Petite maison dans la Prairie, le duo de charme Electrocute peut nous offrir ce rafraîchissement. Kitsch au premier coup d'œil, les deux chanteuses - vêtues de minishorts hyper racoleurs –relancent les deux choristes d'Abba (en plus sexy !) sur le dancing. A priori, les mélodies génèrent une 'nouvelle sensation' d'électro-clash réchauffé et superficiel. Mais force est de constater qu'Electrocute passe au-delà des clichés et nous séduit au fil de son répertoire. Les deux 'front-women' jouissent d'un physique identique et leur voix se complètent à merveille. Les divers instruments balancés ci et là forment une bonne alchimie. Au final elles nous livrent un mélange hybride, bien travaillé et pour le moins atypique. Les 70's dominent le set. Mais les deux beautés nous invitent à traverser un succédané d'époques alambiquées.
Dans un autre style, Front 242 nous propose de revisiter les 80's, une période plus actuelle que jamais. Une époque dans laquelle nous replongent d'ailleurs des groupes en vogue comme Interpol ou The Editors. Vers 1h30 du mat' (NDR: on s'habitue vite à ne plus avoir de retard dans les festivals. Toutefois, les Young Gods ont un peu débordé sur l'horaire), le groupe belge prend possession de la grande scène. Alors que l'écran vidéo, situé en arrière plan, nous plonge dans un kaléidoscope d'images électroniques, les deux premiers membres du groupe s'acharnent sur leurs boîtes à rythmes. Et puis, Jean-Luc déboule pour attaquer un "Body to body" entraînant. En fait, les Bruxellois ont opté pour la bonne recette: mener de front (NDR : elle était facile celle-là) l'alignement de leurs tubes légendaires, tout en conservant l'intensité de leur set. On a l'impression que les morceaux new-wave sont actualisés par une techno profondément ancrée dans le nouveau millénaire. Front 242 évite la facilité et l'impression de déjà-vu. Malgré la bonne ambiance et un show mené tambour battant par Jean-Luc et Richard, la fatigue commence à se faire sentir. 'On n'a plus 20 ans', ironise d'ailleurs un fan de la première heure. Ainsi, sur le coup de 2h30, l'heure de rentrer chez soi et de se reposer les tympans a sonné…
(Merci à Nicolas Alsteen)