La terre fissurée de Daffo

À seulement 20 ans, Daffo, artiste indie-rock basée à Brooklyn, transforme le tumulte intérieur en chansons brutes et poétiques, d’une étrange beauté. Entre l’énergie DIY et des arrangements délicats, sa musique oscille entre fragilité et intensité. Révélée…

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Aristide Padigreaux

Aristide Padigreaux

vendredi, 20 juin 2025 10:57

Le chaos organisé…

Quatuor australien majoritairement féminin, très potes avec leurs prolixes compatriotes de King Gizzard and the Lizard Wizard, Tropical Fuck Storm est moins fécond. Et pour cause, « Fairyland Codex » constitue ‘seulement son cinquième opus en neuf ans d'existence.

Un disque au sein duquel figurent les ingrédients typiques de son maelstrom musical - indie rock, punk, reggae, jazz et blues - qui semble, pour la circonstance, naviguer dans l’œil plus calme du cyclone. Un elpee ‘presque’ apaisé donc, au chaos apparemment plus structuré, dont nous parle le seul membre masculin : le guitariste et chanteur Gareth Liddiard.

Qu’évoque la chanson « Joe Meek Will Inherit The Earth » dont le refrain est ‘Charity Begins At Home’ ?

Ce titre possède des références bibliques, à l’Apocalypse, au Livre de la Révélation, à l’agneau aux sept yeux et sept cornes…

Tout le monde manifeste aujourd’hui, que ce soit le 6 janvier en Amérique dans le cas de la droite extrême, voire des ‘black blocs’, pour la gauche radicale, toujours dans une atmosphère apocalyptique. Tous se comportent comme des moines-guerriers, prêts à combattre. 

Cette chanson proclame que le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions, chacun défendant une vision utopique de la société, à partir d’un point de vue particulier…

Mais, finalement, nous avons juste tenté d’écrire une chanson qui ressemble au « Smooth Operator » de Sade. Y a-t-il un meilleur sujet pour se référer à l’apocalypse (rires… jaunes) ?

Quelle est la signification de « Dunning Kruger’s Loser Cruiser », single qui figure sur cet elpee ?

‘A loser cruiser’, c'est un mot d'argot australien pour désigner un bus... C'est une supplique pour se procurer un peu de solitude, dans une société où désormais tout est public dans l'existence.

Votre portefeuille est sur votre téléphone, tout comme votre identité. Le monde vous scrute. Cette chanson exprime le souhait d'être oublié, ce qui est désormais un luxe. Juste être un ‘non-existant’ et ne pas être jugé.

Être ‘down under’ vous permet-il d’accomplir des acte renversés et renversants, lorsqu’on a la tête en bas (head over heels) ?

(Il rit) Oui, jusqu'à un certain point. Il existe une excellente citation de Tom Waits relative à la création musicale. Il recommande à peu près ceci : ‘Ce que tu fais doit être unique et, pour y parvenir, apprends d'abord à voler. Ensuite, apprends à voler à l'envers !’

Notre musique sonne un peu comme celle de Tom Waits ou Captain Beefheart, voire, dans un autre style comme celle des B-52's.

Par ailleurs, vu que nous vivons en Australie, nous sommes éloignés de tout. A Bruxelles ou Paris, vous êtes dans le monde, contrairement à nous. Nous n'allions pas assister aux concerts der Stan Getz, des Rolling Stones, des Beatles ou du Led Zeppelin...

Nous ne nous nourrissons de rien et sommes forcés de nous alimenter nous-mêmes. On peut se sentir frustrés d'être ainsi éloigné de tout ; puis, dépasser son désespoir en réalisant que l'on peut tout se permettre, y compris les approches musicales les plus extravagantes...

Ce que vous proposez est une sorte de chaos organisé ?

Le meilleur des chaos, parce que nous le plaçons dans une structure, comme on insère une photo dans un cadre. Nous mettons ce chaos au milieu du rythme de la charpente d'une chanson pop. Elle se transforme en quelque chose d’intéressant, intégrant de la folie et du... chaos. De la même manière que Sade peut adopter des airs suaves comme « Smooth Operator » ... (rires)

Vous paraissez obsédé par Sade.

Nous l'étions en enregistrant ce dernier album, ce qui était assez amusant. Sade est tellement attirante... Il est difficile de l'être à ce point.

Vous pouvez interviewer un large éventail de groupes ou d'artistes, ils seront tous d'accord sur ce point. Si vous interrogez Slash ou d'autres musiciens du style, ils vous répondront à quel point il est difficile d'être extrêmement heavy. Mais ils seront unanimes pour affirmer qu'il est pratiquement impossible d'être aussi attirante que Sade, de l'être à un point qui conduit à un art raffiné.

Plus sérieusement, le cancer du sein de Fiona Kitschin, bassiste et cofondatrice du groupe, a-t-il eu un impact sur votre musique ?

Oui. Si nous avions été plus jeunes, nous l'aurions évoqué dans nos chansons. Mais nous nous sommes retrouvés dans l'urgence ; nous avons pris beaucoup de temps pour nous occuper de Fiona, de son traitement. Et le temps est l'essence même, puisqu'il n'est pas infini.

C'était vraiment chiant, parce que nous sortions à peine de la pandémie. Nous avions ce nouveau projet Tropical Fuck Storm dans lequel nous voulions totalement nous impliquer, tourner après la COVID, profiter du bon temps... Bref, être actifs !

Le cancer de Fiona se déclenche et soudain, nous sommes de retour à la case départ. Et bien entendu, cette tumeur se révèle d'un autre calibre que cette grippe, même si elle était sévère.

Cette maladie a affecté notre production, depuis que nous avions vraiment goûté le moment de jouer en groupe.

Ce nouvel album est d'ailleurs moins foutraque et complexe, plus direct, parce que nous voulions juste prendre nos instruments et profiter d'être tous ensemble. Nous souhaitions donner l'impression d'être en live... prouver que nous étions en vie.

Tropical Fuck Storm est composé de trois filles et un garçon. Qu’est-ce que ça change ?

C'est différent. Les filles sont différentes des garçons dans la manière dont elles communiquent leurs émotions. Elles les affrontent et les expriment plus franchement ; ils les abordent indirectement. Ce qui ne signifie pas que la communication directe et émotionnelle féminine pacifie tout.

D'autre part, les femmes sentent différemment et meilleur que les hommes... mais se droguent autant qu'eux (rires).

Les filles sont de même tout aussi amusantes que les garçons. Leur humour est un peu différent. L’humour des hommes se pratique aux dépens des autres. Pas forcément celui des femmes. Ce qui ne les empêche pas d'être drôles.

Par ailleurs, les filles sortent autant que les mecs...

Finalement, elles sont tout aussi épuisantes et ont autant de mauvaises habitudes... Par exemple, lorsqu'il est préférable d’aller se coucher parce qu'il y a un concert le lendemain, les filles restent debout jusque 4h du mat' à boire et fumer.

Bref, elles sont différentes, mais, au bout du compte... c'est la même chose (rires) !

Tropical Fuck Storm : album « Fairyland Codex » (Fire Records), paru ce 20/06/2025

En concert

Reflektor (Liège) - 4 septembre

Wintercircus (Gand) – 6 septembre

 

La plupart de la musique écossaise provient de Glasgow…

Onzième album pour les Ecossais de Mogwai qui démontrent que leur univers musical est toujours en pleine expansion...

Fondée en 1995, Mogwai est une formation écossaise dont la musique largement instrumentale n’est pas aussi planante que celle de Tangerine Dream, mais s’inscrit plutôt dans la veine pulsante d'un Godspeed You! Black Emperor. Paru en janvier dernier, son nouvel opus, « The Bad Fire » (qui désigne l'enfer en argot écossais) est découpé en dix morceaux, dont quatre chantés (très bien d’ailleurs) aux univers contrastés. Un onzième opus qui démontre que son univers musical est toujours en pleine expansion ; mais aussi rend hommage au shoegazing de Ride et au vocoder, justifie l'indépendance de l'Ecosse et reconnaît l’influence de… la cornemuse… 

Le chanteur/guitariste Stuart Braithwaite s’explique…

Pourquoi entend-t-on un cri à la fin de « Lion Rumpus » ?

C'est Dominic, le bassiste, qui gueule parce qu'il a commis une erreur. Finalement, John Congleton, le producteur, l'a conservé et nous estimions plutôt comique de laisser ce cri sur le disque. Néanmoins, nous n’attribuons pas de titres aux morceaux tant que l'album n'est pas terminé. Bref, il n'a rien à voir avec un rugissement malgré son titre, « Lion Rumpus ».

L'humour est-il un élément important pour vous ?

Nous aimons nous amuser et c'est peut-être la seule façon d'exprimer notre joie à travers notre musique qui est plutôt sérieuse. Mais en fait, nous sommes plutôt stupides et nous aimons bien faire les idiots (rires).

« Fanzine Made of Flesh », par exemple, est empreint de surréalisme…

Oui, c'est ridicule et la réponse l’est tout autant. En fait, ça nous plait tout simplement. Au fil des années, certaines de nos compositions, et surtout les plus émouvantes, affichent des titres les plus stupides.

Lorsque vous composez des chansons qui impliquent des voix, la méthode est-elle différente des instrumentaux ?

Je suppose que vous pensez à l’utilisation de la voix comme un instrument ? La structure du morceau est plus définie parce que certains mots sont utilisés à des endroits précis. La démarche est donc différente.

Sur la première plage, « God Gets You Back », les parties vocales évoquent le shoegazing de Ride.

C'est un compliment. Nous sommes très fans de ce groupe. C'est en fait Barry qui chante sur ce morceau. Lorsque nous nous rendons, en voiture, aux répétitions, nous chantons souvent en écoutant les albums de Ride.

« Fanzine Made of Flesh » est-il une sorte d'hommage au vocodeur ?

Oui. À l'origine, c'était censé être une voix normale, mais le résultat ne se révélait pas très convaincant. Depuis notre troisième album, nous avons toujours aimé utiliser le vocodeur, car il figurait sur certains de mes disques préférés. C'est une bonne façon d’établir le lien entre une émotion humaine et une autre synthétique ou synthétisée.

Et quelles sont vos références en matière d'utilisation du vocodeur ?

Kraftwerk, évidemment, tous les disques électro, genre Cybertron, même Neil Young sur l'album « Trans » en 1983 ; et bien entendu le « O superman » de Laurie Anderson qui reste un classique dans son utilisation du vocoder.

L'un de vos principaux traits distinctifs de vos compos est l'utilisation du crescendo....

Oui, c'est moins systématique désormais, mais c'est vraiment l'une des caractéristiques de notre musique. Nous avons toujours souhaité insuffler une dynamique. Nous avons grandi en écoutant Nirvana et les Pixies qui ont toujours été importants pour nous. Et puis d'autres artistes au fil des années dont la musique était vraiment similaire, comme Gorecki, Mahler ou Godspeed You! Black Emperor.

Lorsqu’on est musicien écossais, les cornemuses sont-elles une source d'inspiration ?

(Il rit). Probablement de manière subliminale, notamment dans le son drone (bourdon) de « Hammer Room ». Vous savez, j’imagine que la principale caractéristique de la cornemuse est d'être constituée de bourdons, d’un chalumeau mélodique et d'autres monodiques. Et lorsque je songe à la musique de bourdons, je pense plus au Velvet Underground qu'à Spacemen 3. Mais si j'aime en particulier le Velvet, c'est peut-être parce que plus jeune, j'y entendais de la cornemuse.

Quels sont, selon vous, les points communs entre tous les groupes écossais, hormis la nationalité ?

Il existe, dans la musique écossaise, un esprit d'indépendance et une attitude anticonformiste. Musicalement, c'est très diversifié. Beaucoup de musiciens écossais bâtissent des univers sonores totalement différents. On rencontre énormément de bonne musique pour un si petit pays.

Donc entre vous et, par exemple, Primal Scream et Franz Ferdinand, le point commun serait l'esprit ?

Tout à fait. Franz Ferdinand, ce sont des amis proches. Ils font certainement de la musique pour les mêmes raisons. Tout comme Primal Scream, The Jesus and Mary Chain, Cocteau Twins ou Boards of Canada... il y a beaucoup de très bonne musique écossaise.

Vous êtes originaires de Glasgow. Cette ville est-elle la capitale de la musique écossaise ?

Oui, c'est la plus grande ville d'Ecosse ! On y recense davantage de musiciens, de salles de concerts.

D’excellents musiciens vivent dans d'autres régions d'Écosse, mais la plupart de la musique écossaise provient de Glasgow.

Une ville très vivante si on la compare à Édimbourg ?

La vie est chère à Edimbourg. Il y est plus compliqué d’être musicien.

Vous militiez pour l'indépendance de l'Écosse, il y a dix ans. Pensez-vous que ce soit toujours réalisable ?

Oui, et c'est d'autant plus souhaitable que le reste du Royaume-Uni est désormais très à droite. L'indépendance de l'Écosse semble plus nécessaire que jamais.

Même si c'est un gouvernement travailliste qui est aux manettes désormais ?

Ouais. Ce n'est pas un gouvernement très socialiste... (rires)

Pensez-vous donc qu’un autre référendum sur l'indépendance de l'Ecosse sera organisé bientôt ?

Probablement pas tout de suite, mais certainement dans un futur plus ou moins proche. D’ici dix ans.

Et cette fois ce sera la bonne... (il sourit)

Mogwai : « The Bad Fire » (PiaS) – 24/01/2025

samedi, 22 février 2025 15:58

Nettoyer, c'est guérir, non ?

A l'instar de son nouvel album, la musique d'Heather Nova lui ressemble : elle parait intemporelle.

Treizième elpee en trente ans de carrière pour Heather Nova, sirène (le titre de l'un de ses albums) bermudienne sur qui le temps semble avoir aussi peu de prise que la mer sur le sable. Cette perle, titre de son disque le plus célébré, qui navigue entre rock alternatif, pop dépouillée et références folk indie, remet du souffle dans ses compositions grâce à « Breath And Air », après un long playing de reprises, paru il y a trois ans. Sa voix éthérée qui évoque Kate Bush et Joan Baez, deux de ses héroïnes de jeunesse tout comme Patti Smith, fait chalouper des compositions fluides pour ne pas dire d'une limpidité forcément... caribéenne.

De quoi traite la première plage du nouvel elpee, « Hey Poseidon », et pourquoi introduit-elle l’œuvre ?

Je vis aux Bermudes et, pour la première fois depuis très longtemps, j'ai effectué de la voile en famille durant deux semaines. Ayant grandi sur un voilier, cette croisière m'a, en quelque sorte, redonné le sentiment d'être libre. Au fil de l'âge, nous avons tendance à être coincés dans nos habitudes et nos schémas de pensée...

Observant l'horizon, cette activité m'a communiqué le sentiment que les limites sont un état d'esprit et que nous pouvons toujours nous en débarrasser.

Puis-je affirmer que votre musique est plus liquide que fluide ?

Cette idée de liquide ou fluide me plaît, car, à mes yeux, il s'agit de la même chose. Elle suggère un flux, et cette musique en est un ; un flux de mélodies, de conscience, de pensées. Quand j'écris une chanson, des choses me viennent à l'esprit et je libère en quelque sorte ces sentiments et ces réflexions.

La musique serait-elle, dès lors, une sorte de catharsis pour vous ?

Oui, elle l'a toujours été depuis que j'ai commencé à écrire et composer. J'avais 12 ans et je vivais sur un petit voilier de 12 mètres au milieu d'une famille de cinq personnes. Je traversais des bouleversements, ces nouvelles émotions qui, à l'adolescence, transforment le corps et l'esprit. J'avais des parents merveilleux, mais avec qui je ne pouvais pas vraiment parler de ces sentiments, car ils s’occupaient des deux autres enfants, plus jeunes. J'ai donc intériorisé toutes ces situations. A cette époque, je m'installais seul sur le pont du bateau avec ma guitare, et toutes mes émotions ressurgissaient sous forme de chansons. C'était ma thérapie et ma catharsis. Et c'est toujours le cas...

J'ai parfois l'impression d'être trop auto-complaisante en écrivant constamment sur ce que je ressens, alors que des événements bien plus globaux et importants mériteraient mon attention. Mais cela m'est tellement naturel !

Le spectateur ou l'auditeur peut s'identifier à un artiste qui partage sa réalité. Ce qui crée des liens et permet à chacun de se sentir moins seuls dans ses propres préoccupations.

L'eau nettoie ou guérit d'une certaine manière ?

Je pense que nettoyer, c'est guérir, non ? Lorsque vous nettoyez votre corps, lorsque vous jeûnez, vous nettoyez votre corps pour ensuite le guérir. L'eau fait les deux... métaphoriquement.

Qu’expriment les paroles de la chanson, « The Lights on Sicily » ?

Je l'ai écrite loin de chez moi. Elle évoque le sentiment d'être anonyme ailleurs. Comme si vous pouviez ressentir exactement qui vous êtes, plus encore que lorsque vous vivez dans le contexte de votre domicile. Une expérience solitaire, mais également révélatrice...

Que signifie le dernier titre du long playing, « Farewell » ?

Parfois, j'écris des chansons pour me réconforter par rapport à ce que je m'attends à perdre. J'essaie de me préparer au deuil. Il est inévitable que les personnes que nous aimons soient ‘éphémères’, mortelles, comme nous tous. Je tente donc d'y trouver un sens et de m'y préparer. Cette chanson parle de la mort, de la transition qu'elle représente et de la beauté qu'elle peut avoir.

Vous êtes croyante ?

Non, mais emplie de spiritualité.

Je crois à un mystère et à la bienveillance de ce mystère.

Vous avez participé à ‘Lilith Fair’, festival de musique itinérant qui, à la fin des années 90, défendait le rock féminin et la présence des femmes dans la musique. Que pensez-vous de l'évolution de notre société après le mouvement ‘#MeToo’ ?

L'attention importante qui y a été accordée à l'époque est bénéfique. Mais en regardant autour de moi, je ne constate pas de grands changements dans notre comportement social ou culturel. Il y a sans doute une plus grande prise de conscience et un plus grand respect pour ce genre de situation. Mais il nous reste encore un long chemin à parcourir...

Pourquoi avoir enregistré cet album de reprises, révélateur du spectre de vos goûts puisqu'il comprenait aussi bien des titres de Rick Astley, The Pixies ou de Foreigner...

En fait, je m'y suis attaqué pendant la Covid, alors que je m'ennuyais de ne plus pouvoir tourner ou enregistrer. C'était un peu comme si je me lançais des défis. Même une ritournelle qui paraît totalement artificielle comme « Never Gonna Give You Up », en la dépouillant de sa production pour l'interpréter de manière acoustique, révèle une très belle chanson.

Oui, exactement. Mais j'ai été surpris qu'il n'y ait ni Kate Bush ni John Baez que vous révérez.

Parce que je voulais m'attaquer à un répertoire éloigné de moi. Je ne voulais pas de chansons avec lesquelles j'ai grandi et que j'adore. D'ailleurs, jamais je n'oserais toucher à Kate Bush...

Heather Nova : « Breath And Air » (V2) 21/02/2025

En concert le 5 mai à De Roma, Anvers

 

 

Groupe incandescent et incontournable du rock alternatif de la fin des années 80, les Pixies se sont séparés en 1993, chaque membre embrassant des projets annexes plus ou moins réussis. Le quatuor se reforme dix ans après, tourne, tourne, tourne… et finit par enregistrer un nouvel album en 2013 ! Moment choisi par Kim Deal, la bassiste originelle, pour quitter le navire, remplacée rapidement par Paz Lenchantin.

Une autre décennie et trois disques dispensables plus tard, cette dernière prend, à son tour, congé du band pour laisser la place à Emma Richardson (des injustement sous-estimés Band of Skulls) qui apporte fraîcheur et inspiration. Elle parvient presque à faire oublier Kim Deal sur « The Night The Zombie Came », dernier LP du band, paru fin de l'année dernière.

Co-fondateur du groupe, le guitariste Joe Santiago, qui fait souvent merveille sur ce dernier disque dont l'inspiration et la spontanéité frôlent celles de la première période des Pixies, évoque l'arrivée de cette nouvelle bassiste, l'importance de son jeu de guitare au sein du line up, David Lynch et ses propres origines… philippines.

Avez-vous recruté Emma Richardson parce que sa voix ressemblait un peu à celle de Kim Deal ?

Emma et Kim possèdent des caractéristiques vocales distinctes. Ainsi la voix d'Emma est un peu plus basse. Mais nous avions notre petite liste d'exigences quand nous l'avons auditionnée ; et elle a parfaitement répondu à nos attentes (il sourit).

Comme elle est anglaise plutôt qu'américaine, cette situation change-t-elle la donne ?

L'éloignement n'a jamais été un problème pour nous. Charles (le vrai prénom de Frank Black, leader du groupe) vit sur la côte Est, David (Lovering le batteur) dans le Massachusetts, et pour ma part j'habite en Californie.

Le fait qu'elle soit anglaise ne pose par ailleurs aucune difficulté. D'ailleurs, notre crew et même notre manager sont britanniques.

Pourquoi avez-vous toujours été plus populaire en Europe qu'en Amérique ?

Je n'en ai aucune idée ! L'Europe a tout simplement meilleur goût (il rit).

Sur « Ernest Evans », vos sonorités de guitare réalisent la fusion entre celles des Shadows et des Ramones...

Les guitares dont je joue sur ce morceau sont influencées par le rockabilly.

Pourtant, sur « Primrose », elle résonne exactement comme celle de Hank B. Marvin, le guitariste légendaire des Shadows...

En musique, on produit des sons mais sans jamais vraiment avoir conscience de rivaliser avec qui que ce soit.

Vos interventions à la guitare paraissent essentielles, en particulier sur cet elpee...

En effet. Beaucoup de place m’est réservée sur un titre comme « Primrose », par exemple. En tout cas, j'espère me différencier. L'objectif est de le réaliser sans me mettre en avant pour autant être entendu ; et en même temps ne pas trop l'être et apparaître différent (il rit).

« Ernest Evans » est une chanson sur laquelle votre intervention se révèle également déterminante...

Le morceau évoque la figure de Chubby Checker, dont le vrai nom était Ernest Evans. J'ai tenté de jouer de la guitare comme si c'était un twist... d'où le résultat (il sourit).

« The Night The Zombies Came » me rappelle la première période du groupe, avant sa reformation...

Il y a des parallèles, mais c'est si loin ! On sent cependant une évolution, à laquelle on doit s'attendre sur tout nouvel album...

Comment fonctionne l’écriture des morceaux ? Frank Black compose-t-il seul pour ensuite proposer ses maquettes au reste de la formation ou bien composez-vous ensemble ?

C'est un mix des deux. Frank compose principalement, et nous invite à écouter un résultat pas totalement étoffé... mais presque.

Quels sont vos héritiers ?

Nirvana ou les Smashing Pumpkins, mais ils ont cuisiné cet héritage à leur propre sauce. Même Radiohead affirme avoir été influencé par les Pixies. Nous les incitions simplement à être différents.  La preuve, c’est qu'ils ne nous ressemblent quasiment pas.

Et parmi les combos plus récents ?

Je n'écoute pas beaucoup les nouvelles musiques. 

Même pas Kim Deal, une ‘nouvelle artiste’ qui vient de sortir son premier long playing solo ?

(Il rit) Non. J'écoute beaucoup d'ambient, notamment le groupe allemand Cluster, qui proposait du krautrock, à l'instar de Tangerine Dream ou Kraftwerk.

David Lynch, qui est décédé il y a quelques semaines, a exercé une grande influence sur les Pixies, notamment au niveau des paroles...

Surtout sur Frank qui est très marqué par le surréalisme.

Vous partagez cette passion ?

J'aime les films étranges de Lynch. Nous reprenons d'ailleurs régulièrement en concert l'une de ses chansons, « In Heaven (Lady in the Radiator) », tirée de son premier film ‘Eraserhead’.

Vous êtes originaire des Philippines.  Quelle est l'influence musicale de votre pays natal sur votre style et sur votre approche de la musique ?

Ce trille à la guitare qui est un peu ma signature est sans doute dû à une influence espagnole, héritée de la colonisation du pays.

La seule chose dont je me souviens vraiment à propos des Philippines, que j'ai quittées à 7 ans lors de l'instauration de la loi martiale par Marcos, c'est que la culture musicale y était très prégnante. Les Philippins chantaient constamment. On entendait les chansons des Beatles partout. Lorsqu'ils se sont séparés, les Philippines étaient quasiment en deuil...

En concert le 26 avril à la Lotto Arena d'Anvers.

Pixies : « The Night The Zombies Came » (BMG rights) – 25/10/2024

Will Oldham a longtemps eu le malin plaisir de changer régulièrement de pseudo (Palace, Palace Brothers, Palace Songs, Palace Music, etc.) ; mais il semble enfin s’être fixé sur celui de Bonnie ‘Prince’ Billy. D’ailleurs, c’est la même signature qu’il a posée sur ses derniers elpees. Artiste imprévisible, il s’entoure souvent de musiciens différents, quand il enregistre un disque, mais il participe aussi régulièrement aux sessions d’autres musicos.

Pour son dernier opus, « The purple bird », il a reçu le concours de ses amis, mais aussi quelques-uns de ses héros. Le long playing a été mis en forme par le producteur de Nashville, David Ferguson, avec qui il s’est lié d’amitié il y a pas mal de temps, lors d’une session consacrée à Johnny Cash. Ferguson a puisé dans son réseau d’amis artistes de Music City, en organisant des jams pour écrire des chansons et en rassemblant une équipe de musiciens de session pour réaliser ce qui allait devenir cet opus.

« The Purple Bird » est impeccablement mis en forme, mais à l’instar d’une compilation, il change constamment de ton, privilégiant le joyeux sur le mélancolique.  

Ainsi la mélodie de « Guns Are For Cowards » est paradoxalement impertinente et optimiste, alors que le thème est tragique.

Cette chanson été ajoutée, car le disque est essentiellement focalisé sur les sept co-écrites. J'y ai inclus quelques compositions personnelles dont « Guns Are For Cowards ». C’est l'une des rares de ma carrière que j'ai écrite en réaction à des événements dont j'ai été témoin ou que l'on m'a rapporté afin d'essayer de comprendre ou de participer plutôt que de me sentir impuissant.

Il y a quelques années, ma femme et moi avions rendez-vous chez le banquier dans le but d'obtenir un prêt. Le rendez-vous a été reporté car il devait se rendre aux funérailles d'un collègue abattu dans une agence du centre-ville de Louisville, dans le Kentucky, par un homme qui est entré et a tiré sur toutes les personnes présentes sur les lieux. Par ailleurs, j'étais censé partager une session avec un ensemble gospel. L’une des formations familiales, les Templeton Singers, a dû reporter la séance parce qu'un de leurs neveux, âgé de 13 ou 14 ans, avait été abattu à un arrêt de bus, alors qu'il se rendait à l'école. Enfin, j'étais censée avoir rendez-vous avec un homme politique local, lequel m'a annoncé qu'un membre de sa famille venait de se faire tirer dessus et qu'il devait le secourir. Je me suis demandé ce qui se passait et ce que je pouvais faire… c'est à dire composer cette chanson. J’ai pensé, je viens du Kentucky, je me rends dans le Tennessee et je vais présenter ce morceau qui remet en question la détention et l'utilisation d'armes à feu, à un groupe d'hommes blancs du Sud, plus âgés. La première personne à qui je l'ai soumise était David Ferguson, producteur de ce disque... le jour de l'enregistrement. Il l'a écouté, s'est tourné vers moi et a dit ‘Will, il n'y a qu'une seule manière de proposer cette chanson, c'est sous forme de polka’. ‘Peu importe ce que tu dis Fergus, pour moi, c'est bien’, ai-je répondu. Ça me convient... parce qu'au départ je ne savais pas ce qu'il allait en penser et où il allait l'emmener. 

« Is My Living in Vain ? » est d'une délicatesse et d'une vulnérabilité qui symbolise votre art.

(Il rit) Oui, je suis d'accord. Et c'est la seule reprise du disque !  Une chanson que j'interprétais seul chez moi ; et j'ai voulu l'intégrer pour équilibrer le disque face à tous les auteurs-compositeurs qui y participent.  Je suis le plus jeune musicien et compositeur de l’album, à l'exception de Brit Taylor et Adam Casey, qui se sont chargés harmonies vocales y compris de celles des choristes. Mais tous les autres sont les hommes blancs plus âgés et du Sud : « Am I Living in vain » a été écrit, à l'époque, par une jeune femme noire qui s’appelait Twinkie Clarke. Elle faisait partie des Clark Sisters de Detroit. Un succès dans le monde du gospel en 1980. Je me suis dit : ‘Eh bien, je ne peux pas faire grand-chose en tant qu’homme judéo-chrétien blanc américain, mais je peux chanter la chanson de quelqu'un d'autre pour essayer de donner un portrait plus complet de ce que j'essaie simplement d'accomplir dans le cadre de mes projets musicaux’.

Vous définissez cet opus comme un disque de ‘Nashville’...

Il s'agit d'un album de ‘Nashville’, à part entière, dans le même processus d'écriture au cours duquel ces personnes s'asseyaient intentionnellement à 10 heures, le mercredi matin, et composaient une chanson en plus de deux heures et demie. Cette façon de procéder est une institution à Nashville que je n'avais jamais expérimenté auparavant. Toute cette ville et ses infrastructures sont imaginées en fonction de ces musiciens de session qui sont comparables à des athlètes olympiques, dans la mesure où en deux jours de travail vous enregistrez en leur compagnie presque tous les éléments de 12 chansons. Comme un athlète olympique, un sprinteur qui en quelques secondes réalise le geste et la course parfaite. J'adore cela car chaque jour, j'avais l'impression d'essayer de rester en forme et de me préparer physiquement et mentalement à faire face à ce genre de défis afin d'être pleinement présent, réactif et à la hauteur de la situation.

Mais tous ces grands chanteurs country célèbres en Amérique et présents sur les albums, sont peu connus de ce côté-ci de l'Atlantique. Ce qui pose également la question de votre popularité aux Etats-Unis et en Europe...

En termes de chiffres, je pense que la taille de l'audience de Bonnie Prince Billy aux États-Unis est similaire à celle de l'Europe. Mais en Amérique, elle est vraiment beaucoup plus marginale et underground. Même si, numériquement, les concerts ont la même taille et la même notoriété, les labels auxquels je suis associé aux États-Unis ne sont pas très notoires, la promotion y est moindre et les spectacles se déroulent dans des petits clubs.

Avez-vous déjà pensé enregistrer un long playing en compagnie de Robert Plant et Alison Krauss, par exemple ?

Fergus est plutôt un bon ami d'Alison Krauss. Et à l'époque où Albini a produit le Page/Plant, il y a une vingtaine d'années, c'était la première fois que j'ai vraiment commencé à penser à Robert Plant, à la fois en tant qu'être humain et merveilleux chanteur. Il chantait très bien sur tous les disques de Zeppelin et par mal sur ceux en solo. Mais sur ce disque, je me suis dit : ‘Waouh, cette personne a vraiment une relation incroyable avec sa voix’. Et je pense que c'était un des talents propres à Steve Albini de faire ressortir l'essence de la voix d'un chanteur, d'en tirer le maximum. Si l'occasion se présentait, je ne la laisserais pas passer. Je pourrais en tant que pair, collaborer avec eux et même essayer, à l'instar d'Albini, de les pousser à réaliser des choses différentes qui conviennent à leurs énormes talents et capacités et les faire sortir leur zone de confort en se convertissant en artistes explorateurs. Mais Robert Plant est un artiste expérimental. La force de Plant et Page dans Led zeppelin était telle qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient, mais faisaient ce qu'ils pensaient devoir être fait. Et grâce à l'incroyable synergie et à l'éclat de leur énergie collective dans Led Zep, c'est devenu quelque chose qui n'existait pas auparavant.

Aux yeux et aux oreilles des d'Européens, la musique country est une sorte de nid ‘trumpiste’

C'est un peu réducteur. 

Je suis conscient que la musique country a le potentiel de résonner et de plaire à une très grande partie de l'humanité parce qu'elle est chantée en anglais. En fait, on accorde davantage d'attention aux paroles que dans toute autre forme de musique populaire.

L'amitié définit-elle votre carrière ?

Oui. La force motrice de mon engagement dans la musique est d'établir des liens plus larges avec les auditeurs, mais de me connecter plus spécifiquement et profondément avec les personnes que j'aimerais côtoyer. Appeler mon ami pour explorer l'interconnectivité et les relations humaines directes à travers… pas seulement des paroles, mais aussi une collaboration active, y compris en compagnie des artistes visuels. Comme Lori Damiano, qui a réalisé la pochette de ce disque. Et c'est une copie du dessin d'enfance de David Ferguson représentant l'Oiseau violet. Ce sont mes amis et je suis aussi leur fan. L'amitié est quelque chose qui a été mystérieuse pour moi, toute ma vie. J'ai beaucoup déménagé quand j'étais enfant, et j'ai toujours expérimenté l'amitié à distance. Et donc c'est une donnée que j'ai presque fétichisé au détriment des relations amoureuses. C'est un processus continu pour essayer de bien comprendre ce qu'est l'amitié et, le fait de savoir si j’en suis capable, parce que c'est ce que je souhaite le plus au monde.

Votre pseudo se réfère à Billy the Kid. Seriez-vous le dernier cow-boy ?

(Il rit) bien sûr. Nous comprenons progressivement et collectivement que l'idée d'un cow-boy est de la foutaise. C’est de la mythologie et une construction. Ainsi, j'ai l'impression d'adhérer à l'idée d'incarner, d'habiter ou de représenter une construction. Comme si elle appartenait à ce qu'est Bonnie Prince Billy...  Nous sommes tous d'accord pour dire que rien n'existe vraiment. C'est pourquoi nous créons des fictions sur lesquelles nous basons notre perception de la réalité juste pour essayer de donner du sens.

Le fait d'être acteur vous a-t-il aidé à devenir chanteur ?

Absolument ! Ce que j'ai finalement ressenti en poursuivant mes études d'acteur, puis ce qui m'a finalement déçu ou insatisfait, c'est qu'il y avait très peu d'acteurs qui utilisaient toute la diversité et les capacités de leur instrument principal : leur voix. Ils peuvent crier et être en colère, mais qu'en est-il de la mélodie et du rythme ? Et souvent, même les dramaturges ne se concentrent pas assez sur le rythme.

J'ai rencontré davantage d'épanouissement dans l'expérience musicale. Et pourtant, il s'agit toujours d'interpréter un texte, de communiquer une expérience humaine à autrui, puis d'utiliser l'expérience humaine de l'autre personne comme caisse de résonance.

A l'inverse, être chanteur vous aide-t-il à être acteur ?

J'aborde l'interprétation d'une chanson, à chaque fois, comme si elle était neuve. J’ai l'impression d'être un nouvel interprète, de me servir des paroles comme d'une simple feuille de route.

Par ailleurs, récemment, interprétant une scène avec Tom Hardy, phénoménal exemple d'un acteur qui explore les confins de ce qu'il accomplit, ce sont les deux heures de jeu les plus enrichissantes que j'aie jamais connue en tant qu'acteur ; comme si absolument tout pouvait arriver. Et à l’issue du tournage, Tom Hardy m'a dit : ‘Je ne sais pas qui tu es, mais j'ai vraiment aimé travailler avec toi’. L'un des plus beaux compliments que je n’ai jamais reçus. La musique me permet d'aborder quelque chose de nouveau à chaque fois avec fraicheur et spontanéité, de faire confiance à l'écriture, d’être prêt pour le travail et de vivre le moment présent. Il m'a fallu une vie dans la musique pour comprendre comment devenir meilleur acteur.

« The purple bird » : 31/01/2025 (Domino / V2)

 

mercredi, 19 février 2025 17:31

Finn Andrews se fait son cinéma…

« Asphodels », le septième opus studio de The Veils, a été enregistré en cinq jours aux Roundhead Studios à Aotearoa, en Nouvelle-Zélande, là où vit aujourd'hui Finn Andrews, avec sa compagne et sa fille.

Finn, c’est le leader, le chanteur et le créateur du groupe. C’est également le fils du membre fondateur de XTC, Barry Andrews.

Le titre de l'album est emprunté à la fleur des Enfers de la Grèce antique. Introspectif, ce long playing est le résultat d’une collaboration entre Andrews et l’arrangeuse de cordes Victoria Kelly.

Finn a pris en charge la production en raison de contraintes financières.

The Veils, signé par Rough Trade Records à l'époque où Finn Andrews avait 16 ans, a collaboré avec des réalisateurs renommés comme Tim Burton et David Lynch. Et son premier elpee, « The Runaway Found », a célébré ses 20 ans, l'année dernière…

Finn est venu parler de son dernier album, mais pas seulement…

Quelle est l'importance de Neil et Tim Finn, icônes du pop rock kiwi, de Splitz Enz et Crowded House, deux de leurs groupes, dans votre musique ?

Il est amusant que vous posiez la question, parce que cet album a été réalisé dans le studio de Neil Finn. Ce qui a donc probablement eu un impact sur les sessions. Neil a construit ce studio il y a peut-être 20 ans et il constitue comme une sorte de cadeau pour la Nouvelle-Zélande. Car à l’époque, on n’y trouvait rien de tel. Il possède le plus bel équipement qui soit, notamment un piano Steinway qui se trouvait autrefois au Royal Festival Hall de Londres.

Tout ceci nous a en quelque sorte permis d'enregistrer cet album en seulement quatre jours de prises tant tout paraissait simple et fluide. Par ailleurs, je connais bien Neil et Tim Finn et surtout Liam, le fils de Neil que j'ai beaucoup côtoyé au cours de ma jeunesse. Les Finn Brothers sont de véritables légendes dans ce pays.

Sur le plan musical, nous sommes tous influencés par la musique que nous écoutions adolescents. C'est un facteur très important, dans notre éducation musicale.

Oui, c'est certain ; le label Flying Nun existait dans mon enfance. Beaucoup de musiciens de ce label sont des amis de mon père. Chaque fois que papa venait me rendre visite quand j'étais enfant, des personnes comme Chris Knox, Shayne Carter et autres passaient toujours par la maison pour enregistrer et jouer de la musique. C’est l'arrière-plan de mon enfance. Cependant, j'ai passé mon adolescence en Nouvelle-Zélande à espérer être ailleurs. J'étais impatient de m'échapper à la première opportunité et d'atterrir à Londres, où je suis resté pendant 20 ans. Nous avions donc tous, dans le groupe, l'impression d’appartenir à un band londonien ; et désormais, vivant en Nouvelle-Zélande j'ai l'impression de faire partie de ces deux endroits en même temps.

Vous évoquiez votre père qui militait chez XTC, formation de pop-rock restée trop méconnue. A-t-il exercé une influence sur votre musique ?

J'ai adoré le groupe de mon père et leurs 17 albums ; ce qui me paraît faramineux. Il a évidemment été une grande source d'inspiration et je suis extrêmement fier de ce qu'il a accompli.

Vous vous êtes réinstallé en Nouvelle-Zélande, il y a cinq ans à peine. Au niveau de l'écriture, êtes-vous sensible à celle de Katherine Mansfield, grande figure néo-zélandaise des lettres ?

Je suis un vrai fan de Ted Hughes et d'autres poètes anglais et irlandais. Je suis tombé amoureux de la poésie avant la musique. Mais c’est récemment que j'ai vraiment essayé d'écrire des poèmes. Il s'agit d’un tout autre univers dans lequel je viens seulement de plonger. Mais j'ai toujours tenté d'insuffler aux chansons de la sensibilité ; j'ai toujours été attiré par les auteurs-compositeurs qui consacrent beaucoup de temps aux paroles et tenté de leur ressembler. Je souhaitais être parolier autant que musicien.

Existe-t-il une mélancolie néo-zélandaise ?

(Il rit) Oui, sur le plan musical, il y a toujours une sorte de junkie, de drogué sur la plage ou quelque chose qui ressemble toujours à une sorte de Flying Nun, de nonette volante, en effet, des années 80.

Plus sérieusement, la mélancolie est omniprésente dans le paysage. De ce point de vue, je me sens plus néo-zélandais que britannique, parce que ce sentiment intervient fréquemment dans mes chansons ; j'imagine, en quelque sorte, que les paysages néo-zélandais y contribuent. Ils procurent une sensation très différente de celle suscitée par les paysages de l'Angleterre qui s'est certainement infiltrée dans une majorité de mes chansons.

Et il y a un côté intemporel, parce qu'une grande partie du pays semble si intacte, même s’il a succombé à une sorte d'agriculture industrielle et que ce n'est pas toujours la carte postale qu'on imagine. Mais il y existe des endroits enchanteurs où l'on a le sentiment que seuls les oiseaux y ont vécu depuis des millions d'années.

Mon père dit toujours, pour se moquer, que la Nouvelle-Zélande ressemble au Surrey dans les années cinquante.

Vous insistez sur l'importance de violon de Victoria Kelly. Mais à l'écoute de l'opus, le piano se révèle également primordial...

J'ai tenté d'en améliorer ma pratique au cours des dix dernières années. En jouant des concerts en solitaire à la suite de la parution de mon album solo, il y a huit ans. Notamment ! Je n'ai vraiment commencé à apprendre le piano qu'à la fin de mon adolescence. Je ne me suis donc jamais pris au sérieux sur cet instrument, et encore aujourd’hui ; mais je compose presque exclusivement au piano désormais. Cette évolution est assez récente.

C'est l'instrument familial par essence ; celui que joue mon père, que pratiquaient sa mère et son père. Cela m'a procuré le sentiment de me connecter à une longue tradition familiale. C'est donc un instrument lourd à plus d'un titre dans notre famille. Je le prends donc au sérieux, et je crois avoir toujours craint de donner l'impression que j'essayais d'être un véritable pianiste, tout en étant conscient de ne pas l'être vraiment ; d'autant que je n'ai jamais vraiment pris de cours. Mais j'adore le toucher et j'aime le sentiment d'avoir un lien profond avec le piano, bien plus qu'avec la guitare, dont je pouvais jouer pendant que je chantais, ce qui m'occupait les mains.

J'ai tellement forcé sur le piano que je me suis cassé le poignet en en jouant, il y a trois ans...

Vos compositions ont été utilisées par des réalisateurs comme Tim Burton, David Lynch ou Paolo Sorrentino. Pensez-vous un jour composer la B.O d'un film ?

J'adorerais m’y consacrer. En revanche, je ne peux pas vraiment m'imaginer devoir écrire quelque chose et être totalement à la merci d'un réalisateur. David Lynch et Paolo Sorrentino ont utilisé du matériel existant. Il n'y a eu aucune contrainte pour moi. Mais j'étais ravi, car je ne m'attendais pas à entendre ma musique au cœur d'un film, moi qui étais tellement cinéphile au cours de ma jeunesse, au point de vouloir devenir réalisateur. Tous ces réalisateurs ont exercé une telle influence sur moi. Et jamais, je ne me serais imaginé entendre mes chansons dans leurs productions.

Etes-vous dès lors inspiré par les images que vous avez vues dans des films lorsque vous écrivez et composez des chansons ?

Bien sûr. Tout s'y trouve dans ceux que j'ai pu voir et qui m'ont marqué.

Comme ?

‘Blue Velvet’. Je me souviens l'avoir vu quand j'étais très jeune, et il revient souvent dans nos chansons. ‘Paris, Texas’ de Wim Wenders également. Ils sont tous là. Nous sommes exactement tout ce que nous avons vu, en bien ou en mal. C'est ce qui colore nos pensées. Toutes ces choses qui se déroulent au début de l'adolescence, la première fois que tu vois quelque chose qui t'étonne vraiment. Je pense que tu ne t'en remettras jamais. Et c'est vrai pour le film. D'ailleurs, David Lynch parlait d'un évènement traumatique qu'il a vécu au cours de son enfance, et qui l'a marqué à vie, lui donnant l'envie de faire du cinéma.

Les Pixies ont également été influencés dans leurs chansons et leurs paroles par les films de David Lynch...

Ce qui me paraît logique. David Lynch, qui a été aussi musicien et producteur musical, a exercé une influence si profonde sur la musique populaire au cours des 30 à 40 dernières années. Beaucoup d'artistes s'y réfèrent.

Certains de nos albums ont d'ailleurs été enregistrés chez lui. Il possédait un studio incroyable dans sa maison, qui ressemble à un cinéma, et dont nous avons pu disposer.

Nous avons enregistré sous la houlette de Dean Hurley, qui a été son producteur musical pendant de nombreuses années, et c'est ainsi que nous nous sommes retrouvés impliqués dans ‘Twin Peaks : the return’, car nous croisions David Lynch chez lui. 

The Veils : « Asphodels » (V2) 24/01/2025

vendredi, 31 mai 2024 11:43

Deux pros dans l’impro…

Alliant la finesse du jazz noir-jaune-rouge à l’innovation avant-gardiste japonaise, le pianiste Casimir Liberski et le batteur Tatsuya Yoshida, connu pour son travail au sein de la formation Ruins, ont uni leurs talents afin de concocter un premier album intitulé « Troubled Water », explorant un paysage sonore mouvant constitué de free jazz, d'ambiant et de rock progressif voire d'éclaboussures punk. Et la fusion de leurs deux univers musicaux et culturels se rejoignent dans l'improvisation…

Casimir Liberski, ‘moitié’ belge de ce duo évoque pour nous les images de ce monde musical... flottant.

Comment avez-vous rencontré Tatsuya Yoshida ?

Via Facebook. Plus jeune, j'étais fan de Ruins, le duo que Yoshida formait en compagnie d’un bassiste occasionnel. J'ai découvert qu'il s’était inscrit sur le réseau social en 2012. Je l'ai ajouté comme ‘ami’, pour ensuite l'interroger sur ses prochains concerts en Belgique.

Lorsque j'ai sorti mon album « Cosmic Liberty », en 2017, avec le jeune batteur prodige Matt Garstka, Yoshida s'y est intéressé. Nous avons été directement en contact et il m'a demandé de lui organiser un concert en Belgique, un an plus tard ; c’est ce que je suis parvenu à planifier pour le duo Sax Ruins qu'il forme avec la saxophoniste Ryoko Ono.

Nous nous sommes enfin rencontrés et j'ai pu me produire en première partie de leur performance.  Depuis, nous sommes restés en contact malgré le covid, communiquant et nous échangeant des démos.

En janvier de l'année dernière, j'ai passé ma lune de miel au Japon. La veille de mon retour, Tatsuya m'a appelé pour m'annoncer qu'il nous avait dégotté un petit concert dans un bar à Tokyo le soir même. Spectacle qu'il a enregistré, et qui s'est révélé d'une intensité incroyable. Ensuite il l’a remixé et c’est devenu cet album.

C'est donc un opus d'une prise dans un bar à Tokyo ?

Oui, totalement à l'arrache. Tatsuya a placé deux ou trois micros, raccordés à son enregistreur zoom, et trouvé des astuces originales, comme placer des ventouses qu'on utile pour déboucher les toilettes sur les rosaces, les trous de la table d'harmonie du piano, tout en y insérant un petit micro.

J'ai ensuite transmis le résultat à John Zorn que je connais, lequel m'a conseillé de faire mixer le tout par James Dellatacoma, ingénieur du son qui collabore énormément avec Zorn et Bill Laswell, et a l'habitude de prendre en charge des prises ‘mal enregistrées’… ou plutôt avec les moyens du bord (il sourit).

Vous formez un duo batterie/piano, ce qui n'est pas courant, même dans le jazz ?

C'est vrai, mais Tatsuya Yoshida a précédemment formé un duo connu avec Satoko Fujii, lequel a sorti plusieurs disques sur Tzadik records, le label de John Zorn justement ; une musique mouvementée et lourde, exigeante d'un point de vue de l'écoute, dans un style très écrit et puissant.

J'avais la conviction qu'il fallait s'en distinguer et proposer autre chose. Raison pour laquelle j'intègre des synthés et des sons électroniques.

Ce n'est donc pas simplement un duo piano et batterie, mais autre chose ?

Au niveau de la composition, nous ne nous situons pas dans le registre de longues compositions très écrites à l'instar du groupe français Magma, que Yoshida adore, et de toute cette musique progressive. A l'inverse, nous sommes dans l'improvisation totale !

Les titres se réfèrent à l'écologie maritime ?

Je me suis chargé d’attribuer des noms aux compos, issues de deux improvisations d'une heure que nous avons sectionnées pour n'en conserver que des morceaux. Les titres sont sans doute liés à l'air du temps, mais parce que notre musique ressemble à une sorte d'océan, voire de tsunami par moment, à l'écoute des tumultes qui secouent notre musique.

L'image qui m'est apparue est celle du monde flottant du Japon où je séjournais en plein hiver. Nous nous étions rendus, mon épouse et moi, sur les côtes, constatant que de petits poissons morts, des fugus, avaient échoué sur le rivage, mais également de déchets dérivant de Corée et de Chine, ce dont les inscriptions sur les emballages témoignaient...

Le jazz est certes une langue universelle, mais chacun apporte-t-il sa propre culture au sein de ce projet ?

Yoshida n'est pas un jazzman, et est incapable de swinguer. Il ne pratique que le rock progressif et l'improvisation libre. Comme je suis plutôt un jazzman qui a débuté par le swing, nous nous rejoignons dans l'improvisation qui elle est véritablement universelle.

Je ne suis pas certain que le jazz soit à ce point universel ; il faut en connaître le vocabulaire, les standards... bref, détenir un passeport en jazz.

Par ailleurs, je ne possède pas une mémoire gigantesque comme la sienne en prog-rock, Yoshida se révélant capable de se souvenir de longues séquences. Personnellement, j'ai plutôt une mémoire à court terme... (il rit)

Album « Troubled Water » (Totalism Records) - 21/03/2024

Ex-chanteuse de Belle and Sebastian, Isobel Campbell poursuit une carrière en solitaire et a sorti un nouvel opus. Intitulé "Bow To Love", elle y exprime des considérations autant intimes qu'universelles sur la domination masculine. Notamment !

La native de Glasgow, plus connue pour sa voix éthérée que ses talents indéniables de violoncelliste (NDR : son instrument de référence), revient quatre ans après avoir gravé "There Is No Another", paru en pleine pandémie, qui faisait suite à une décennie de silence forcé consécutif à des litiges avec son ancien label. 

Ce "Bow To Love" se révèle toujours aussi intimiste, aérien, porté par sa voix d'ange, laquelle adopte cependant une attitude de révolte face à la domination du patriarcat, les agressions sexuelles ou la phallocratie toujours bien vivante.

L’Ecossaise s'insurge d'une voix suave, sans éclats, mais pas sans éclat, s'en explique et évoque également la disparition de Mark Lanegan, en compagnie duquel elle a publié trois magnifiques long playings au cours de ce millénaire.

Touchée par la grâce et la spontanéité, Isobel Campbell l'est aussi par l'humour...

Pourquoi ne pas avoir intitulé “Everything Falls apart”, le morceau d’ouverture, "Son of a Bitch", insulte que vous proférez sans arrêt ?

Dans mon esprit, il s'est toujours appelé "Everything Falls Apart". Cette phrase s'est imposée, sans que je sache pourquoi. Un peu comme si tout s'effondrait dans mon cerveau également... (elle rit).

J'ai trouvé cette situation plutôt drôle… et qu’elle correspondait à ma vision des choses…

Cette invective n’est donc destinée à personne ?

En fait, si... mais elle pourrait s'adresser à beaucoup d'hommes et à quelques-uns en particulier (elle rit). Mais, rétrospectivement, et plus sérieusement, je me suis rendu compte à quel point dans la langue anglaise, conçue par le patriarcat, il existait énormément de mots et d'expressions afin d'exprimer des propos désobligeants à l'égard des femmes. Si vous cherchez l'équivalent en insultes concernant les hommes, une telle ‘diversité’ n'existe pas. J’estimais cette disproportion injuste, d'où cette répétition... (elle sourit)

Vous évoquiez le patriarcat. Cet elpee se veut-il féministe ?

Il y a de cela ; même si la société progresse, parfois il m'arrive encore de me retrouver face à un véritable dinosaure misogyne (rires). Je suis quelqu’un de très patiente, mais parfois je pète un câble et je me dis : ‘Waouh, on en est encore là !’ Mais pour le moment, grâce au mouvement #MeToo, la situation est très polarisante. C'est un véritable champ de mines ! Entamer une conversation à ce sujet au travers d'une chanson, me semble une bonne façon de procéder pour aborder le sujet...

Vous évoquez la perversité narcissique dans "Spider To The Fly". Correspond-t-elle également à certains types d'hommes ?

Je ne m'en suis rendu compte qu'après l'avoir enregistrée et écoutée ; mais j'ai fait l'expérience de ce genre de personnes dans ma vie.

Ma musique se veut personnelle. Il serait donc étonnant que ce qui constitue ma passion, mon travail et mon domaine de créativité, ne se révèle pas intime.

En fait, c'est comme si j'avais fait un doctorat sur le narcissisme (elle rit) ! Mais tout est un traumatisme... même si ce mot est parfois un peu galvaudé. Cependant, à ce stade, je pourrais en effet probablement donner une conférence sur le sujet (rires).

D'ailleurs, je connais pas mal de choses dans le domaine de la psychiatrie comme le DSM 5 (NDR : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques de l'Association américaine de psychiatrie).

Désormais, j'essaie de faire preuve de sagesse en étant consciente de ce qui arrive… J'aime à penser que je suis née existentialiste (elle rit).

Quelle est l'importance du violoncelle dans vos compositions au moment de l'écriture ?

Parce que je suis violoncelliste, certaines lignes mélodiques peuvent fonctionner ou attirer mon attention. Lorsque j'écrivais pour Mark Lanegan, je l’adaptais pour un baryton, en tenant compte de la fréquence de sa voix et celle de mon violoncelle. Car lorsque je joue d'un instrument à cordes, il existe certains types d'arrangements et de lignes auxquels je me réfère. Mais je suis avant tout une auteure-compositrice qui compose d'ailleurs aussi au piano. L'influence du violoncelle se limite à environ 20% au sein de ce processus.

Avez-vous pensé à Mark Lanegan, disparu l'an dernier, lorsque vous avez enregistré et composé ces chansons pour cet opus ?

J'étais occupée d'écrire “You”, le jour où Mark est disparu. Une journée très étrange. J'avais passé toute la journée à bosser sur cette compo et à écouter “Anthem” de Leonard Cohen. Les paroles racontent : ‘There is a crack in everything’ (Trad : Il y a une fissure dans tout...)

J'ai appris qu'il était décédé vers 19 h 30 ce soir-là, alors que j'avais passé ce morceau toute la journée. J’avais la chair de poule. Il était probablement à l’article de la mort au moment où je l'écoutais.

Certains jours, j'ai encore du mal à croire qu'il ne soit plus de ce monde. C'est comme si c'était un chapitre de ma vie s'était clos ce soir-là. Mais, de temps en temps, je reçois de petits signes de sa part, et je souris…

Isobel Campbell : Bow to Love (V2) 14/06/2024

 

Légende vivante du disco, qu'il a grandement contribué à populariser, Nile Rodgers est un auteur, compositeur, arrangeur, producteur et guitariste, qui a fondé le groupe Chic en compagnie du regretté bassiste Bernard Edwards. Cet ancien Black Panther –il a notamment bossé avec David Bowie, Madonna ou Diana Ross– continue à inspirer et à collaborer auprès des jeunes générations, et notamment Daft Punk, Sam Smith et Lady Gaga. A 72 ans, et malgré deux cancers, l'inventeur du ‘Freak’ continue à se produire ‘live’ et prend toujours du ‘good time’...  Let's dance !

Bernard Edwards et vous formiez le cœur de Chic. Depuis sa disparition en 1996, ressentez-vous sa présence lorsque vous vous produisez en concert ?

Parfois... selon les chansons et l'ambiance.

Mes sentiments pour Bernard me suivent constamment, même sans musique. Je pense souvent à tout ce que nous avons vécu ; à nos hauts comme à nos bas, et à notre première rencontre... 

Mais, ayant survécu à deux cancers, désormais, lorsque je monte sur les planches et regarde la foule, la première chose que je vois, ce sont des milliers de personnes qui m'ont aidé à m'en sortir. Je les considère comme des amis, des proches qui tiennent à moi et m'ont soutenu durant la maladie. C'est une sensation bouleversante....

Vos deux cancers ont-ils déclenché chez vous une sorte d'urgence de création ?

Non, la musique est ma vie, ce que je respire, mon oxygène. Et de temps à autre, j'ai envie de la capturer et de la transformer en composition que d'autres puissent entendre. La plupart du temps, je compose juste pour moi. Je m'assois, je joue avec la musique... je m'amuse tellement et me sens en paix. Je ressens toutes sortes d'émotions. Et parfois, je me dis : ‘Tiens, je suis occupé d'écrire une chanson que d'autres pourraient écouter’.

Croyez-vous à l'effet curatif de la musique ?

Oh mon Dieu, oui ! S'il n'y avait pas eu de musique dans mon existence, honnêtement, je ne crois pas que j'aurais surmonté mes deux cancers. La première fois, j'ai eu peur. Je n'arrêtais pas de pleurer. 

Bon, je ne souhaite pas avoir l'air d'une sorte de super héros ; mais, la deuxième fois, j'ai eu l'impression d'avoir un rhume. Je ne me suis même pas inquiété (il rit) !

Est-il vrai que le patronyme Chic se réfère à Roxy Music et Brian Ferry ?

Oui, c'est une trouvaille de Bernard Edwards. Mais je n'avais jamais vu un groupe s'habiller de manière aussi classieuse sur scène !

Je suis issu d'un milieu hippie ; au départ, tout ce que nous portions le matin correspondait à ce que nous allions arborer en ‘live’, le soir même (rires).

Lorsque j'ai assisté au concert de Roxy Music, à Londres, qui était le groupe préféré de ma copine de l'époque, j'ai d'abord vu un public magnifiquement fringué, puis surgir ces musiciens tirés à quatre épingles. De plus, Brian Eno imposait un son immersif. J’ai ainsi assisté à ce que je considère comme une expérience musicale totalement artistique et en effet immersive. 

J'ai tout de suite appelé Bernard et lui ai confié : ‘Mec, il faut que nous incarnions la version noire de Roxy Music et se montrer dans des vêtements créés par de grands couturiers’.

Il faut se rendre compte qu'au cours de cette période, tout le monde s'habillait comme les Jackson Five et exécutait la même chorégraphie. Au sein de Roxy Music, chaque membre avait sa propre personnalité, même si c'était un groupe.

À l'époque, nous nous appelions Big Apple Band. Mais un type de mon école avait sorti une chanson intitulée « A Fifth of Beethoven » qui figure dans la b.o. de "Saturday Night Fever" ; il avait choisi pour nom de scène, Walter Murphy and The Big Apple Band. Le public confondait...

Bernard a alors proposé d’opter pour Chic, puisque nous étions vêtus de vêtements chics. Le batteur, Tony Thompson et moi, avons estimé cette idée, au départ, drôle et saugrenue, et puis finalement...plutôt cool !

La légende voudrait que l'enregistrement de l'album "Let's Dance" de David Bowie ne se soit pas bien déroulé…

Ah bon ? "Let's Dance" est l'album le plus facile que je n'ai jamais produit de ma vie. J'ai mis en boîte toutes les démos de "Let's Dance" en deux jours, en Suisse. Lorsque je suis revenu en Amérique, j'ai enregistré le long playing en 17 jours, et tout en une seule prise. Une pour les solos de guitare de Stevie Ray Vaughan, une pour la voix de David... tout en une seule fois !

Quel est le lien entre le disco et le mouvement des Black Panthers auquel vous adhériez ?

La première fois que je suis entré dans ce club disco éphémère situé au croisement de Soho, China Town et East Village, où vivait la grande communauté gay new-yorkaise, j'y ai croisé toutes sortes de personnes : homos, hétéros black, portoricains, blancs...

Je n'arrêtais pas de penser à nous, les Black Panthers qui défendions l'unité. Tout le monde oublie que notre slogan était ‘Black power to Black People, Brown Power to Brown People, White Power to White People’. ‘Tout le pouvoir au peuple’, c'était notre devise.

Alors, quand je suis entré dans ce club et que j'ai vu toutes ces personnes différentes danser à n’importer quelle heure sur le "Love to Love You" de Donna Summer, "San Francisco" de Village People, et "Girl, You Need A Change of Mind" d’Eddie Kendricks, j’ai vraiment été frappé. Donna Summer et sa chanson étaient sexy ! Village People incarnait la communauté gay hardcore ! Eddy Kendricks chantait ‘All men don't discriminate this man emancipates. Now I am for women's rights, I just want equal nights. Girl you need a change of mind’

Tout ce que les Panthers et moi défendions figurait dans ces trois morceaux que le DJ mixait sans pause. J’en ai conclu : ‘C'est le monde auquel je souhaite appartenir. Je veux faire partie de cet univers connecté dans lequel nous opérons ensemble, même si nos philosophies diffèrent. Il y a cette sorte d'amour qui nous unit.’ Aucun autre genre musical ne ressemblait à ce concept...

Grâce au le disco, on pouvait être gros, moche, noir, portoricain ou gay... peu importe !

Nile Rodgers et Chic se produiront le 15 juillet dans le cadre du Gent Jazz www.gentjazz.com

Survolé par la voix angélique de Leo Wyndham, Palace, trio de blues-rock londonien, signe « Ultrasound », un opus éthéré et habité de musique des limbes, celles où erre l'enfant que portait la compagne de Léo, victime d'une fausse couche. Cet accident a chamboulé la vie de couple. D’autant plus que doté d'une sensibilité à fleur de peau, il avait déjà été marqué par les drames personnels, dont la séparation de ses parents et la mort d'un proche. Ce long playing à la beauté émouvante voire poignante, au spleen mélancolique, à la splendide ambivalence entre perte et espoir, se veut avant tout un hommage au courage de sa compagne et à la puissance des femmes en général.

En compagnie de Rupert Turner, guitariste du groupe, il évoque ce quatrième elpee et sa... conception.

Vous avez ‘accouché’ de quatre elpees en huit ans. C'est peu ou c'est beaucoup ?

(rires)

Rupert : Ce n'est pas excessif. Nous avions besoin de temps afin de vivre des expériences et ensuite pouvoir les traduire en chansons.

Mais pourquoi dès lors avoir publié deux Eps l'an dernier, plutôt qu'un album entier ?

Leo : Il est préférable que les idées très soient claires quand on souhaite enregistrer un album, à la fois unique et original. Les Eps sont destinés à combler les intermèdes et permettre à la musique d'éclore entre-temps. De plus, c'est amusant à réaliser.

Pour vous, Leo, la formation représente-t-elle une famille, et notamment à la suite des épisodes douloureux que vous avez personnellement traversés ?

Leo : Certes, mais tout le monde en connaît dans sa vie. Pour nous tous, Palace est comme une famille élargie, un endroit où nous pouvons nous sentir en sécurité et partager ce que nous ressentons.

Avez-vous été touché par la réaction des autres membres à ce qui vous est arrivé ?

Léo : Absolument. Lorsqu'on passe dix ans dans un groupe, chacun de ses membres, un jour ou l’autre, est confronté à ce type d'événement. Chaque fois qu'un drame est survenu dans mon existence, le soutien reçu de la part de mes deux comparses a été remarquable, et plus qu'essentiel. La compréhension est immédiate, notre amitié très forte et le soutien profondément enraciné. Ce qui en dit long sur notre entente…

Quel est l'origine et le sens du morceau « Cocoon » ?

Rupert : Une idée émanant de « Love Is The Precious Thing », la chanson qui la précède sur l'album. Cet instrumental s'est développé à partir de ce titre dont nous avons en quelque sorte utilisé des éléments pour ensuite les inverser, les manipuler, les démembrer afin que la trame s'effondre dans une sorte de désordre intense.
Leo : Oui, c'est un beau bordel (il rit) ! L'album traite, en profondeur, des idées de la création, de la vie et de la mort ; le son de ce magnifique morceau permet d'imaginer ce qu’on éprouve quand on est dans le ventre de sa mère : un cocon sécurisant, enveloppant, fait d'énergie et de chaleur. Le titre s'imposait de lui-même. Nous l'avons placé au milieu de l'album pour obtenir cet effet de pause, de calme... sans voix ; une sorte de sanctuaire au milieu du disque.

Sur « Goodnight Farewell », dernier titre de l'elpee, on a l'impression d'entendre un cœur battre.

Leo : Exactement ! La grosse caisse constitue le cœur qui bat tout au long de la plage. Il y a, en quelque sorte, l'idée de donner vie dans cette chanson. Ce qui semblait la meilleure façon de terminer l'album…

Ce disque rendrait-il un hommage à la femme et à l'amour ?

Leo : Oui, à bien des égards, et à ma partenaire en particulier. J'ai été témoin de son incroyable force et de sa résilience. Je n'aurai pu faire preuve d'une telle force. Nous souhaitions célébrer la puissance des femmes.

Vous avez accordé un premier concert, il y a un mois. Était-ce compliqué d'interpréter des chansons aussi intimes en public ?

Léo : Elles peuvent l'être lorsque les évènements sont récents, dans votre esprit et votre chair. Lorsque je les ai interprétées pour la première fois, en direct, je l'ai ressenti de manière très intense et émouvante. Je revivais les événements, mais, par ailleurs, chanter ses chansons devant une foule, m'a obligé à lâcher prise. C'est un processus très cathartique qui participe à ma convalescence.

« Say The Words » exprime le sentiment d'inutilité d'un homme dans ces circonstances…

Leo : Un sentiment de désespoir et une perte de soi. Mais il témoigne également que je suis devenu conscient de la pression exercée sur les femmes pour qu'elles aient des enfants, de faire passer au second plan leur indépendance et leur carrière, pour rendre un homme heureux, notamment.
Par ailleurs, lors d'une fausse couche, nous pouvons ressentir en tant qu'homme un sentiment de perte et de désespoir ; il est très perturbant, et troublant de ne pas savoir où se situer et quel rôle tenir au cours de ce drame.

Cet opus incarnerait-il, dès lors, l'enfant que vous n'avez pas eu ?

Leo : Je ne crois pas. L'album est plutôt un moyen, comme la musique l'est souvent pour beaucoup, de découvrir et de comprendre une situation incroyablement difficile, de créer des liens, un moyen de trouver une sorte de carte intérieure pour donner du sens à un événement traumatisant. La musique est une manière de se connecter à soi-même et à ses expériences, de s'adapter au monde qui vous entoure et de donner un sens aux événements, à un traumatisme, à la perte, à l'amour et à toutes ces choses. C'est une découverte de soi.

Palace : « Ultrasound » (Virgin) sortie le 5 avril 2024

En concert à l'AB le 30 octobre prochain

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