Pas d’amis, pas de douleur pour Johnnie Carwash…

« No Friends No Pain », c’est le titre du nouvel elpee de Johnnie Carwash. En attendant, il nous en propose un extrait, sous forme de clip, « Aha (it's ok) ». Ballade pop façon The Drums, « Aha (it's ok) » est un morceau mélancolique qui a conservé la…

logo_musiczine

TORRES perdue dans une salle immense…

TORRES (le nom de scène de l'artiste new-yorkaise Mackenzie Scott) publiera son nouvel elpee, « What an enormous room », ce le 26 janvier 2024. La chanteuse américaine propose également son premier single/vidéo, « Collect ». Parallèlement à cette annonce,…

Trouver des articles

Suivez-nous !

Facebook Instagram Myspace Myspace

Fil de navigation

concours_200

Se connecter

Nos partenaires

Nos partenaires

Dernier concert - festival

frank_carter_and_the_ratt...
Shaka Ponk - 14/03/2024
Interviews

The Tea Party

Une projection dans le futur…

En août 1994, nous avions rencontré Jeff Martyn, le leader de The Tea Party. Nous l’avons une nouvelle fois interviewé à l'occasion d'un concert surprise accordé au VK. Il y était venu défendre l’enregistrement de son dernier opus, « The edges of twilight ». L'homme qui ressemble plus à Jim Morrison que Val Kilmer possède une culture générale rare ; on a donc débordé avec lui du contexte exclusivement musical pour parler littérature, philosophie, théologie, sciences occultes et phénomènes paranormaux...

Un Roy Harper imprévu

Pourquoi avoir choisi « Fire in the head » pour single et non « Walk with me »?

La durée de la chanson probablement. Plus de 7 minutes pour une même composition constituent sans doute un obstacle à ce style de disque. « Fire in the head » fait, en outre, l'objet d'un clip vidéo. Dans ces conditions il semblait normal qu'il sorte en single. Ce qui ne m'empêche pas de penser que je ne suis pas du tout favorable à ces campagnes d'intoxication publicitaire. Je n'ai jamais accepté ces compromis qui altèrent ma vision artistique…

Etait-il important de coproduire « The edges of twilight »? Pourquoi avoir choisi Ed Stasium pour assumer cette tâche?

Avoir le contrôle de son travail revêt une importance extrême. Je désire préserver la spécificité de notre son. Une vision très personnelle des objectifs à atteindre... Tu vois ce que je veux dire? Je veux aussi avoir la certitude que notre musique reste unique en son genre. Mais je ne voulais pas reproduire l'erreur commise sur « Splendor Solis »? Je me suis rendu compte que j'étais un novice dans le métier. Je n'étais pas parvenu à capter l'agressivité du son que nous sommes en mesure de libérer. C'est pourquoi nous avons recherché un producteur adapté aux formations fondamentalement rock. Ed correspondait à ce profil. Il est, en outre, ouvert au dialogue. Nous n'avons pas eu à nous en plaindre, car il est parvenu à tirer de nous le maximum sans altérer notre équilibre de base.

Sur cet album, en épilogue, figure un poème récité par le légendaire Roy Harper. Est-il venu expressément en studio pour participer aux sessions ou était-ce simplement une bande préenregistrée?

Il était bien présent lors des sessions d'enregistrement. Mais sa visite n'était pas prévue! En fait, Roy est très attentif à la vie du groupe et s'informait constamment de nos déplacements. Il paraissait en tous cas bien informé de nos déplacements, puisque lorsqu'il est arrivé à Los Angeles, il s’est rendu au studio. Il est vrai qu'il nous avait toujours promis de participer un jour ou l'autre à l'enregistrement d'un de nos albums. Mais pour celui-ci, il était seulement venu voir ce qui se passait. Inévitablement, il s'est naturellement impliqué. Attention, uniquement pour l'intro atmosphérique de « Correspondances » et puis à l'occasion de ces quelques vers récités sur cet instrumental que tu retrouves à la fin de notre album. Mais le résultat de sa participation se limite à ces deux interventions, pas davantage...

Antithèse de Pearl Jam

Est-ce que Tea Party appartient davantage au rock qu'à la pop? N'as-tu pas l'impression que le groupe rame à contre-courant de la plupart des groupes contemporains. Et je pense ici tout particulièrement à Pearl Jam?

Lorsque tu me parles de pop, je pense inévitablement à Wet Wet Wet et à tous ces groupes qui ont pris le train de la mode en marche. Je ne conteste pas leur attitude, mais plutôt l'absence d'originalité qu'elle génère. Notre musique vient du cœur. Elle n'est pas montée de toutes pièces par les magazines. Mais je n'y vois pas de raison suffisante pour y coller une étiquette. Nous jouons de la ‘world music’ plutôt que du rock, et certainement pas de la pop. Nous préférerions finalement que vous la qualifiiez de ‘Tea Party music’. Nous sommes probablement un des derniers groupes à s'intéresser à toutes les autres formes de culture. A expérimenter les sonorités ethniques pour les réinjecter dans notre musique et notre poésie. Autrefois, cette recherche était naturelle. C'est sans doute la raison pour laquelle nous sommes régulièrement comparés aux groupes des 70s. Nous ne sommes pourtant pas des nostalgiques de cette époque. Je la respecte, mais je ne m'y suis jamais identifié. Notre musique est une projection dans le futur. Nous voulons expérimenter des tas de nouvelles formes musicales, embrasser de nouvelles perspectives, permettre à notre imagination de se développer...

Faut-il en déduire que le psychédélisme de Tea Party se traduit par l'esprit constamment en expansion? Quelle est la place des drogues dans cet univers?

Eh bien... (silence)... OK... J’admets que la conscience de Tea Party est en expansion, parce que sa musique est stimulante. Depuis nos débuts, il nous a été reproché de vivre sur la défensive, de ne pas correspondre au profil imposé par la mode. Certains semblent même dérangés: nous symboliserions l'antithèse d'un Pearl Jam! Je n'en vois pas la raison. Il existe suffisamment de groupes qui leur emboîtent le pas, non? Notre attitude provoque une réaction, oblige les médias à réagir, donc à penser. Dans le domaine des drogues, j'ai connu un éventail d'expériences différentes. Elles m'ont permis d'atteindre des formes d'inspiration que je n'aurais sans doute pas pu rencontrer sans y recourir ou de pénétrer d'autres cultures indispensables à la richesse de notre musique. Mais il est difficile d'aborder ce domaine. C'est un engagement très personnel. Cependant, si ce recours m'a permis d'augmenter mes capacités de création, la drogue n'a jamais constitué le fondement de mon inspiration. Je veux rester maître de mon esprit. Ne pas devenir dépendant d'un quelconque artifice… Dans ce domaine, il faut être très prudent…

Quel a été l'impact sur toi de la philosophie prônée par Carl Gustav Jung?

J’ai été très marqué par son livre ‘Les rapports entre le moi et 1’inconscient, sur l'énergie de l'âme’. Ses études sur l'inconscient collectif m’ont permis de mieux comprendre la poésie symboliste. Elle est devenue ainsi plus effective en termes de perception et d'écriture. Plus puissante, plus efficace, plus fluide, plus compréhensible.

Y a-t-il un rapport entre la chanson d’Alex Harvey « The Boston Tea Party » et le nom du groupe ou est-ce une coïncidence?

Non rien à voir ! Tu connais les poètes beats américains Ginsberg, Burroughs et Kerouac ? Lorsque des projets artistiques deviennent collectifs, et en particulier dans le domaine de la poésie, on assiste à une Tea Party. Et je pense que lorsque trois personnes partagent les mêmes conceptions en ouvrant leur esprit, ils entrent également dans cette Tea Party...

Métempsycose

Crois-tu à la métempsycose? (NDR: transfert de l'âme d'un corps vers un autre, la réincarnation, quoi)

Absolument!

Sous quelle forme?

Le passage d'une existence vers une autre.

Sous quel aspect voudrais-tu être réincarné?

(long silence embarrassé)... Probablement une femme. Je ne sais pas réellement. Si j'avais la chance de revenir un jour dans ce monde, et je l'espère, je souhaiterai pouvoir tirer les leçons des expériences vécues dans cette vie antérieure. Retenir les fautes dont je me suis rendu coupable pour éviter de les commettre à nouveau. Si je pouvais être réincarné, j'espère que je pourrais bénéficier de cette expérience acquise...

Connais-tu Er ? (NDR: auteur latin qui traite de la métempsycose)

Qui? Euh, non. Désolé! Madame Blovatsky, bien. Elle était théosophe. Elle a vécu à la fin du XIXème siècle et ses écrits reposent souvent sur la théorie de la métempsycose. Mais je ne connais pas Er. Ni d'autres auteurs latins. Grecs, plutôt. Tels que Socrate et Pythagore. Et puis dans un domaine plus contemporain Michaël Homer, réalisateur du film « Out to states ». C'est un personnage qui s'intéresse beaucoup à

(Article paru dans le n° 35 de juillet/août 1995 du magazine Mofo)

Brendan Croker

Payé en liquide…

Écrit par

Brendan Croker est un joyeux quadragénaire (il est né en 1953) qui poursuit une carrière en dehors de toute mode et de toute pression (plutôt genre country-blues dépouillé). Son dernier album (« Red neck tate of the art ») est aussi son meilleur à ce jour et aussi le plus électrique de sa carrière.

Ton premier groupe s’appelait les Five O'Clock Shadows?

En effet… oh non! Le premier, c'était Dynamite Twins. Nous étions trois. Il avait déjà été fondé, à Leeds, dans les 70s. Puis, au début des 80s, j’ai monté les 5 O'Clock Shadows.

Enfant des 60's

Que signifie ‘Ombres de 5 heures’?

Quand tu travailles et que 5 heures sonnent, ça y est, il est temps! La journée commence seulement. Alors tu pars en virée et tu bois beaucoup. Comme tu n'as pas eu le temps de te raser, il y a comme une ombre sur ton visage. C'est juste une expression. Et le 1er album du groupe était intitulé "A close shave" (rasé de près!)

Les premiers long playings que tu sors baignent dans des racines country-blues. Pourquoi?

J'étais un enfant des 60s. Ce que j'écoutais, c'étaient les Kinks, les Rolling Stones, les Beatles, des gens du style. A partir de là, spécialement les Rolling Stones, tu prends d'autres directions, c'était la grande période anglaise des pop-songs toutes simples et c'était très bon.

Sur le dernier album des 5 O’Clock Shadows, tu avais reçu le concours de Mark Knopfler, mais aussi d’Eric Clapton. Pourquoi Clapton chantait mais ne jouait pas de la guitare?

J'ai discuté avec le producteur de l'album John Porter. Nous avions besoin d'un 2ème chanteur pour "This kind of life". Il a déclaré que Clapton serait très bien. Et comme je l'ai rencontré la semaine suivante, je lui en ai parlé et il a chanté. Il n'avait pas besoin de sa guitare, il a une bonne voix, Clapton! Les gens ne se rendent pas toujours compte qu'il est un chanteur merveilleux. Hendrix aussi, était un de mes chanteurs favoris.

Ton groupe suivant, pourquoi l'as-tu appelé, Serious Offenders?

Une blague! J'avais joué en solo au festival de Gand et quelqu'un de complètement bourré m'a demandé d'aller jouer derrière les barreaux. J'ai répondu : ‘Pourquoi pas si tu l'organises?’ J'ai oublié cet épisode ; et puis, 2 ou 3 semaines plus tard, le gars me téléphone et me dit: ‘J'ai organisé une tournée des prisons’. Ma réaction? ‘Merde alors!’ J'ai recruté des musiciens, tous des Belges, des amis. Le nom de Serious Offenders (Serieux délinquants) était un choix évident.

La Belgique a de bons musiciens et de bonnes bières...

Et du bon chocolat, de la bonne mayonnaise et de la viande de cheval. Miam!

Ton petit dernier, c’est un album solo ou celui d'un groupe?

Au départ, c’était un projet solo. C'est devenu un album de groupe.

Les 5 O'Clock Shadows pratiquaient plutôt de la world music; les Serious Offenders, une musique plus européenne ; aujourd'hui tu parais assez américanisé.

Oui mais mon album "Great Indoors" l’était tout à fait. Il a été enregistré à Nashville en compagnie de musiciens locaux la production est américaine.

Où est-ce que tu joues le plus?

Dans ma tête. J’ai des tas d’idées qui y trottent. Nous n'avons pas joué depuis pas mal de temps. On a enregistré ce disque, on est allé à Nashville pour une série TV… Je joue encore parfois dans un petit club comme à mes débuts à Leeds : les gens se connaissent, aiment être ensemble et s'amusent. Quand j'ai commencé, j'avais une résidence dans un club, un bar, j'étais pas payé mais j'avais droit à mes bières. Oui, c'était bien à l'époque, on était bourré mais on jouait encore très bien. Aucune pression (il avait pourtant ses bières - MPSU), merveilleux!

On répondait folk

Quel est le public type de Brendan Croker?

Je ne peux pas le dire, de 9 à 90 ans? Je ne sais pas, aucune idée. Il existe un club à Manchester, le ‘Band on the Wall’, plutôt jazz & blues, on ne sait jamais qui va débarquer, si les gars vont venir de loin ou pas, quelles seront les tranches d'âge. Je n’ai pas de public type.

Appartiens-tu à la culture rock?

Oui bien sûr, mais aussi folk. Le rock est une extension du folk. Chez les Notting Hillbillies, on demandait souvent à Mark Knopfler, à Steve et à moi: ‘Quelle sorte de musiciens êtes-vous?’. On répondait ‘folk’ et on rigolait.

(Article paru dans le n°35 du magazine Mofo de juillet/août 1995)

 

Paradise Lost

Au-delà du Paradise Lost…

Écrit par

Paradise Lost est un groupe en plein boom. La roue tourne à merveille pour eux, surtout depuis la sortie d'un certain « Icon » qui a propulsé le combo paradisiaque (enfin, façon de parler) comme un des espoirs de la scène métal actuelle. Chiffres de vente canon (15.000 albums vendus rien qu'en Belgique!), assistance fort nombreuse dans les salles, popularité en hausse vertigineuse : c'est Byzance pour cette association de métallos intelligents! En outre, la formation mérite ce succès. La preuve: on ne se monte pas du col, on reste serein et on n’a qu’un seul et même objectif : faire mieux encore! Pour remplir leurs poches ? Aaron Aedy, l’infernal guitariste rythmique et Nick Holmes, le chanteur, s’en défendent…

A.A. : Tout le monde nous demande si nous avons souffert d'une quelconque pression avant d'entamer la réalisation de notre nouvel album, « Draconian Times ». Et nous formulons sans cesse la même réponse: non! Notre ambition n'a jamais été de faire du blé à tout prix, ni d'atteindre des records de vente, alors... Bien sûr, nous ne crachons pas sur ce qui nous arrive, mais nous estimons que notre réussite actuelle est le résultat d'un travail prioritairement artistique et non commercial. Nous ne supportons aucun poids sur les épaules. Nous avons fait de notre mieux dans nos peaux de musiciens ; et pour le reste, on verra...
N.H. :
De toute façon, notre succès n'est pas le même partout. Nous sommes bien plus appréciés ici qu'en Angleterre, par exemple. Ce qui aide à relativiser.

A quoi attribuez-vous votre percée? Vous concevez une musique qui ne correspond pas spécifiquement à des critères de modes. Qu'avez-vous que les autres n'ont pas?

N.H. : Comment veux-tu que nous répondions à cette question ? Nous ne sommes pas à l'écoute de tout ce qui gravite autour de nous. Et nous n'aimons pas comparer les groupes, les genres, tout le tralala... Nous sommes Paradise Lost, nous créons une musique de manière indépendante et il se peut qu’elle soit... bonne, non? Ha ha ! Nous, en tout cas, on l’apprécie. Notre identité? On prend quelques directions spécifiques. Par exemple, on utilise de moins en moins de guitares en studio. On diversifie de plus en plus nos arrangements. Afin de communiquer davantage de couleur, de relief à notre musique. C'est un processus que nous allons développer.

Votre musique dégage plus une atmosphère que de l'énergie brute. Il y a un côté humain, émotionnel et...

A.A. : Rien d'étonnant. Effectivement, nous avons des sentiments à exprimer. Ce que nous écoutons en privé va d'ailleurs dans ce sens : plutôt l'expression que les clichés! De toute manière, cette musique que nous produisons, que tu nommes metal mais qui, pour moi, englobe davantage de références, vient du fond de nous-mêmes. Elle n'a donc aucune chance d’emprunter un jour une dimension mécanique. Ce serait un drame d'en arriver à ce stade. Ce que nous développons, c'est la qualité des instrumentations, du jeu et du son. Nous travaillons la forme, mais le fond reste une histoire d'inspiration libre.

« Draconian Times » plus encore qu'« Icon », semble plus affranchi de ses mouvements, plus ouvert à toutes expérimentations. D'accord?

A.A. : J'ai la même impression et elle me remplit de satisfaction. Pas de fierté mais de satisfaction. Comme je te l'ai dit, nous travaillons d'instinct. Notre seul critère est d'avancer. Là, c'est vrai, la réponse très positive de notre public intervient aussi et elle nous encourage. C'est sans doute la seule pression qui nous pousse dans le dos.
N.H.:
Nous avons pris le temps nécessaire pour bien développer « Draconian Times », en termes d'arrangements. Nous avons passé cinq mois à travailler sur ces morceaux. Tout part d'une mélodie, mais une fois la mélodie en place, il reste pas mal de boulot! Comme nous avons pris le temps, nous sommes allés plus loin sur ce plan-là.

Intérêt et passion pour la psycho

Vos textes aussi sont fort ‘humains’, basés sur des sentiments, des sensations...

A.A. : Je suis très attiré par tout ce qui touche à la psychologie. J'aborde ce type de sujet avec intérêt et passion. Je découvre même que je suis assez cynique à ce propos. J'ai une furieuse tendance à analyser tous les comportements de l’être humain. Le mental, la psychologie sont des domaines vastes, complexes et intéressants.

Visiblement, vous jouez partout là où on vous en donne la possibilité. Même dans des coins sans grande tradition rock. Que recherchez-vous, dans ce cas ?

N.H. : Pas l'argent, en tout cas... Tourner coûte vraiment très cher! Nous recherchons surtout le contact, aborder des contrées nouvelles, sans doute aussi de nouveaux défis. Nous aimons devoir affronter de nouveaux défis. C’est dans nos tempéraments. Et puis, c'est agréable de découvrir d’autres horizons, même si nous avons assez rarement l'occasion de faire du tourisme!

Quelle vision avez-vous du futur de Paradise Lost ?

N.H. : Nous ne nous posons pas trop ce genre de questions. On verra bien. Etablir des plans, ce n'est pas notre fort. Je ne sais même pas si nous aurons sans doute l'avenir que nous méritons d'avoir. Dans ce business, on ne gère pas tous les paramètres. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que nous ne laisserons à personne le soin de diriger le groupe à notre place.

Vous jouez bientôt au festival de Dour, vous connaissez?

A.A. : Par ce qu'on nous en a dit, à savoir que ce festival proposait surtout au départ des artistes et groupes francophones et qu'il s'est progressivement ouvert. C'est un festival très sympa, paraît-il! De toute manière, nous aborderons cette organisation avec notre bonne et simple vieille ‘tactique’ habituelle, à savoir de faire du mieux que nous pourrons. A ce niveau-là, il n'y a jamais de surprise avec nous!

(Article paru dans le n°34 du magazine Mofo de juin 1995)

 

 

Björk

Punk et hippie à la fois…

Écrit par

Il paraît qu'elle se saoule pour échapper aux affres du décalage horaire. Ce qu'elle a dû faire bien souvent, si on en juge par l'intense activité qui l'a menée aux quatre coins du monde, après avoir publié son "Debut". L'Islandaise n'avait pas hésité à laisser tomber ses Sugarcubes, et ce n'était pas dans une tasse de café. Mais a posteriori, le choix était bon puisque "Debut" a été plébiscité dans toute l'Europe! Aujourd'hui, Björk (qui répond au doux nom de famille de Gundmundsdottir) doit confirmer. "Post", son second elpee paraîtra ce 12 juin... Explications.

Existait-il une tension, une peur de mal faire lorsque tu as commencé cet album après le succès commercial et critique du premier ?

Pas vraiment. Dès mon premier disque à l'âge de 11 ans, je suis devenue une sorte de Shirley Temple en Islande, où j'étais très populaire... J'en ai vendu 5 000 exemplaires ; ce qui pour un pays comme l'Islande est énorme (double platine!). Ma popularité y était similaire au succès que je rencontre aujourd'hui en Angleterre, proportionnellement évidemment. Mais je détestais le succès, parce que je n'aimais pas les chansons que j'interprétais. Je le trouvais malhonnête! Et bien sûr à l'école tous mes congénères voulaient devenir mes amis... C’était très superficiel. Ensuite, j'ai fondé un groupe avec des copains d'école à 12 ans, en 78.

Est-ce habituel en Islande de former un groupe à 12 ans ?

Non, mais c'était une époque particulière, 1978... et c'était plutôt courant à ce moment-là. Je ne sais pas ce qu'il en était chez vous...

Nous jouions aux cow-boys et aux indiens à cet âge, je pense.

Pourquoi pas? Mais il faut dire aussi que je fréquentais une école de musique depuis l'âge de 5 ans. Et aussi parce que mon beau-père jouait de la guitare, c'est d'ailleurs un guitariste de blues assez connu. A la maison résonnaient toujours ses solos de guitares... Pour moi, former un groupe était naturel. A partir de cet instant, j'ai écrit des chansons pour mes amis sans pour autant m'imposer comme leader du groupe. J'ai expérimenté tous les styles possibles : metal, jazz, musique techno, électronique etc. On l’entend à la fois sur "Debut" et "Post". J'aime un peu de tout. J'ai eu l'habitude de faire face au monde extérieur, d’être confrontée à la pression. Tu sais à 11 ans, c'était dur... J'étais planquée à l'arrière pour y jouer de la batterie ; et un jour, on est venu me chercher pour me propulser à l’avant-scène, je ne sais pas pourquoi.

Et tu ne sais toujours pas pourquoi aujourd'hui ?

Honnêtement, c'est difficile à dire. Peut-être qu'après 17 ans de carrière musicale, j'ai appris à vivre avec cette tension... C'est inconscient. Tout ce temps, ces 17 ans, je dois avoir appris à m'y faire, sans le savoir. Lorsque j'étais chez les Sugarcubes, j'estimais que nous nous étions perdus en route. Je me suis dit : j'arrête là ! Vous connaissez la difficulté rencontrée par les gens, à plus ou moins 30 ans, de cesser ce genre d'aventure. On se dit: ‘Tous mes rêves d'adolescents, que sont-ils devenus ?’ Toutes ces idées m’on effectivement traversé la tête à 26 ans! Mais j’en ai aussi déduit que si je ne sortais pas "Debut" à ce moment-là, je ne le ferais jamais.

Chapitre solo

Alors que tu militais encore chez les Sugarcubes, avais-tu déjà réalisé des projets en solo ?

Oui, mais ce n'était pas bon... C'était difficile pour moi d'être égoïste, d'écrire un album complet avec seulement mes chansons. Et lorsque je l'ai fait, ce fut une grande surprise de voir le nombre incroyable de gens qui l'appréciaient. Je ne pouvais m'empêcher de penser que je régressais, seule, en réalisant ce que j'aimais, sans faire plaisir à personne d'autre! Mais sans m'y être vraiment préparée, je savais comment étaient les médias, les avocats, les instruments... Dix-sept ans dans le métier, tu dois être vraiment stupide si une telle expérience ne t'a rien appris.

"Post", est-ce la suite logique du 1er album ?

Oui c'est pourquoi, j'ai intitulé le premier "Debut" et le second "Post". Ce sont presque des jumeaux, le 1er et le 2ème. Ce qui m’effrayait en enregistrant "Debut", c'est que je savais que ce ne serait pas parfait, parce que c'était le premier et je crois qu'une des raisons pour lesquelles les gens n'écrivent pas des livres ou ne tournent pas de films, même s'ils en sont capables, c'est à cause de ce syndrome de la première fois : ils sont terrifiés à l'idée que ce ne soit pas parfait.

Qu'y a-t-il de mal à ne pas être parfait ?

Rien, c'est ce que je me suis dit (elle rit). Et c'est pourquoi je l’ai réalisé : je savais dès le départ que le second serait meilleur que le premier. Je n'ai de toute façon pas cette envie d'être aimée à tout prix. Si je voulais que tout le monde m'aime, j'aurais sorti un album genre Kylie Minogue... Et il n'y aurait sûrement pas eu tous ces revirements dans ma vie! Chaque fois que j'ai joué dans un groupe, ça a marché si fort que j'ai toujours gagné beaucoup plus d'argent que ma mère. J’aurais pu continuer, et au contraire j'ai quitté ces groupes. Je l'ai déjà répété six fois dans ma vie. Parce que j’estimais que ce n'était plus créatif!

Comment expliques-tu que ça ne l'était plus?

D'abord ça débute bien, c'est très créatif... Jusqu'au moment où ce n'est plus vivant! Quand un groupe commence à avoir de l'argent et tout ca, il n'est plus bon. Les gens perdent leur spontanéité et s'installent dans un confort musical. C'est à ce moment-là que je me casse... Les autres me disent: ‘You're mad’. Je réponds : ‘Je sais, je suis désolée...’

Chapitre Tricky

As-tu travaillé avec l’équipe qui a fait ton premier album solo ?

Plus ou moins. Nellee Hooper est présent sur six titres qu'il produit. Ma première réaction a été instinctive : j’en ai conclu que le premier bébé n'était pas mal et que j'avais été suffisamment courageuse pour l’accomplir. Comme je voulais faire mieux, je me suis dit : ‘Maintenant, je peux tout effectuer moi-même’. Je peux me charger des drums, des solos de guitare... Et puis j'ai pensé : ‘Non ça, ce n'est plus du courage, c'est de la stupidité’. Mon manager m'a dit: ‘Si ce n'est pas cassé, ne répare pas’. Il ne fallait pas détruire cette équipe ‘just for the sake of it’

Comment as tu rencontré Tricky ? Par hasard ?

Presque en fait. Il me fait tellement rire, je l'adore... Anyway, il est de Bristol comme Nellee, comme Massive Attack. Ils sont un même groupe d'amis depuis qu'ils sont tout petits. Et maintenant je les connais tous, grâce à Nellee. Tricky, je l'ai vu dans des soirées. On s'était promis de travailler ensemble. J'adore sa musique, et il aime ce que je fais. Généralement quand des musiciens participent à une soirée et qu'ils sont bourrés, ils se disent toujours: ‘On va faire un truc ensemble’. Le lendemain, c'est oublié... Là-dessus, je suis retournée en vacances en Islande pour la 1ère fois depuis longtemps : un mois pour passer la Noël auprès de ma famille et mes amis... Finalement, je ne suis restée que deux semaines : je me suis bourré la gueule avec tout le monde, j'ai visité ma grand-mère, ma famille, je suis allé promener dans le blizzard, les montagnes... Mais après ces deux semaines, je me suis dit ‘Encore deux semaines de vacances à tirer!’. Franchement, je n'en pouvais plus, fallait que je travaille... J'ai appelé Tricky, parce que je m'emmerdais. Je lui ai dit: ‘Rappelle-toi, tu as dit qu'on devrait travailler ensemble’. A ma grande surprise, il s'en est souvenu. Je lui ai dit que j'avais écrit quelques chansons et qu'il y avait un petit studio pas cher à Reykjavik, avec des gens gentils et dévoués. Il m'a répondu: ‘OK, j'arrive demain’. Il a passé cinq jours en Islande et c'était génial.

Quand tu écris, qu'est-ce qui vient le plus naturellement les mots ou la musique ?

Cela dépend. Ce qui est courant, c'est que la chanson que j'écris soit le ‘thème du mois’. Exemple? "Venus as a boy" sur "Debut", représente vraiment un mois dans ma vie. C'étaient les émotions que je ressentais à ce moment-là pour quelqu'un. J'étais obsédée, je regardais des films d'indiens à la télé avec leurs orchestres à cordes. J'écoutais du reggae et cette chanson a aussi été influencée par Maxi Priest! C'est très irrationnel... Je peux écrire dix chansons par mois et ensuite découvrir qu'elles forment une et une seule chanson. Je suis obsédée par la même mélodie, je choisis la meilleure et j'arrête là... Sinon, ça me prendrait beaucoup de temps.

Chapitre Sugarcubes

Qu'est-il arrivé aux autres Sugarcubes ? Tu es toujours en contact ?

Bien sûr. Ils font tous des choses différentes. Siggi, le batteur, vit près de Chicago. Sa femme y poursuit des études postuniversitaires. Pendant ce temps, lui, travaille en compagnie de groupes de jazz expérimentaux. Einar Benediktson (voix et trompette) dirige un cybercafé à Reykjavik. C'est le genre de gars qui fait toujours dix choses à la fois –pour l'anecdote, il collectionne des cartes postales de très mauvais goût, en particulier celles de Noël. Magga a produit des albums pour enfants, et est occupée de composer une musique de film en Islande. Bragi (le bassiste) écrit de la poésie qui reçoit de bonnes critiques en Scandinavie. Thor, le guitariste a monté un nouveau groupe avec un gars appelé Gufnar Tochtokoni, je ne sais pas si vous le connaissez, c'est une espèce de vieux punk sans concession.

Thor, c'est le père de ton enfant ?

Oui, d'ailleurs aujourd'hui il passe le jour de Pâques en compagnie de son père, alors que moi je suis ici... Ce groupe que Thor a formé, s'appelle Unun et il a été le plus populaire d'Islande l'an passé. Ils ont une jeune chanteuse merveilleuse.

Est-ce plus difficile d'être une femme seule dans le monde du show-biz plutôt que d'être membre d'un groupe ?

Je ne peux parler qu'en mon nom propre, de ma propre expérience. Quand j'étais dans les Sugarcubes, il n'y avait aucun problème ; pour l'instant, je n’en rencontre pas, non plus. J'ai tendance à traiter cette question féministe/sexiste en l'ignorant ; je crois qu'on lui accorde bien trop d'importance. Je suis une personne qui écrit de la musique et je suis une femme. J'ai beaucoup travaillé dans des groupes où j'étais la seule fille. Ils commençaient par dire: ‘Oh, mais tu es une femme’. Chaque fois que j’entends ce genre de commentaire, je sais que je suis dans la merde. Mais je n'en tiens pas compte. Ma mère a passé la moitié de sa vie à dire qu’elle ne voulait pas être en cage, c'est négatif de vivre toute sa vie comme ainsi. Mais elle a ouvert la cage! Moi, je préfère ignorer la cage. Je crois que ma génération de femmes est comme ça.

Chapitre dEUS/Zazou

Tu connais le groupe belge dEUS, qui a choisi son nom d'après la chanson des Sugarcubes ?

Des journalistes belges que j'ai rencontrés il y a quelques jours m'en ont parlé. Je suis très honorée...

Es-tu heureuse du morceau que tu as réservé à Hector Zazou sur "Songs from the Cold Sea" ?

Oui! J'adore travailler dans des créneaux dissemblables. J'ai réalisé énormément de projets différents, quand je jouais à l'école de musique... J'ai produit un groupe de hard-rock, je peux être chanteuse compositrice, j'aime faire toutes ces choses et cela s'entend sur l'album... Donc, lorsqu’Hector Zazou m'a demandé de travailler avec lui j'ai trouvé ça très excitant. Il pensait que je devais choisir une chanson du nord à propos de l'océan. Mais, toutes les chansons que je connaissais sur l'océan étaient toutes des trucs de marins genre "C'est à boire qu'il nous faut") il m'a dit ‘Euh ! Peut-être faudrait-il penser à autre chose ?’. Je me suis dit: ‘Fuck this ocean business, je vais simplement chanter ma chanson islandaise préférée’. Et j'ai choisi cette chanson d'amour impossible au 17ème siècle : une histoire d'amour islandaise très connue, mettant en scène un Viking. Elle l'aime profondément, mais elle ne peut l'épouser... Sans doute la chanson d'amour la plus dramatique qui ait jamais été écrite…

Y-a-t-il une influence islandaise dans ta musique ?

Oui, je pense que l'influence islandaise se sent. Je donne à travers ma musique l'impression que la nature est importante... L'Islande est le pays le plus riche au monde. Nous avons toute la technologie que nous voulons, et les gens n'en sont pas effrayés. Pourquoi? Parce que nous avons... la nature! Nous sommes en permanence arrêtés par le blizzard ou par les volcans et leurs éruptions. La nature remet les choses à leur place, là où elles doivent être. J’étais à Los Angeles lors du tremblement de terre, là où il y a cette arrogance des gens qui se disent ‘We fuck nature’. Comment osent-ils penser ainsi? L'homme ne baisera jamais la nature, parce qu'elle est dix mille fois plus puissante que l'être humain, et ce n'est pas demain que cette situation changera. Je crois que dans ma musique, la nature est présente, mais aussi le futur, la technologie... Les hommes politiques essaient de s'occuper de politique dans le monde. Mon boulot à moi est de m'occuper de ma politique personnelle, de ce que je fais avec moi-même et mes émotions. Je sympathise avec mes émotions, c'est mon boulot. C'est très naïf, mais je pense que quand on est bien dans sa peau, on n'essaie pas de manipuler les gens et on n'est pas manipulé par les autres! Quand on est OK, la nature est OK et le monde est OK.

Björk est donc une hippie ?

We are the world... Je suis plus une musicienne qu'une hippie. Je suis un produit des hippies, je suis devenue punk, je suis issu de cette génération... Etre punk est d'une certaine façon très lié au fait d'être hippie : les punks étaient très obsédés par le fait de ne pas être hippies... Je suis un mélange des deux.

(Article paru dans le n°34 du magazine Mofo de juin 1995)

 

Bandit Queen

L'art sous toutes ses formes...

Écrit par

Tracy Godding compose, joue de la guitare et chante chez Bandit Queen. Mais c'est également une petite bonne femme très cultivée, artiste jusqu'au bout des ongles, sachant ce qu'elle veut tout en faisant preuve d'une grande gentillesse. Mais n'allez surtout pas comparer le trio mancunien avec les Breeders, même s'il aurait mieux fait de naître au pays de l'once Sam; et encore moins avec Polly Harvey, avec laquelle elle ne partage le même intérêt que pour les questions relatives à la sexualité...

Avant de fonder Bandit Queen, tu as joué dans un groupe qui répondait au nom de Swirl. Vous y étiez tous les trois?

Oui, mais il y avait également un violoniste et un autre guitariste. Et Janet jouait également de la guitare. C'était totalement différent. Notre line-up a compté jusqu'à cinq musiciens. Nous avons décidé de le réduire à un trio pour simplifier, pour faciliter notre tâche. Notamment au niveau de la structure mélodique. Et puis, je dispose de davantage de liberté d'action pour le chant.

Souffres-tu encore d'être comparée à PJ Harvey?

Seuls les journalistes paresseux ont colporté ces âneries. Ils l'avaient sans doute lu dans un autre canard qui nous comparait à PJ Harvey ou aux Breeders. Le Melody Maker et le New Musical Express, par exemple. S'ils s'étaient donné la peine d'écouter notre musique, ils n'auraient sans doute pas tiré les mêmes conclusions hâtives. A moins qu'ils ne soient très influençables...

Pourtant, tu as un jour déclaré que vous pourriez devenir les Breeders britanniques si le public vous en laissait le loisir.

C'est une déclaration que j'ai faite dans un certain contexte. Je ne pense pas que notre musique ressemble aux Breeders. Mais bien notre attitude et notre sens de l'humour. Notre bassiste, Janet, est une fan du groupe. J'ai émis cette réflexion un jour où j'étais particulièrement fâchée. Car en Angleterre, peu de monde s'intéresse à nous, alors qu'aux States nous sommes accueillis les bras ouverts. Nous ne voulons pas devenir des autres Breeders. Cette affirmation était sans grande importance. Mais apparemment personne ne l'a oubliée.

N'est-il pas paradoxal de jouer une musique comme la votre lorsqu'on vient de Manchester?

Ce n'est pas parce qu'on vit dans une ville que l'on doit fatalement s'identifier aux groupes qui en ont fait sa notoriété musicale. J'aime les Stones Roses, et particulièrement leur premier album, Inspiral Carpets, Happy Mondays... Mais mes influences, je les puise plutôt dans la musique américaine, le post punk et puis surtout chez Bowie et Bolan...

Face à la multiplication des groupes drivés par des femmes, ne penses-tu pas que vous auriez mieux fait de vivre à Boston ou à Chicago?

J'aime beaucoup Boston. Mais par dessus tout San Fransisco. C'est vraiment une chouette ville. Je pense souvent que l'Angleterre est une petite île. Et pour obtenir plus d'espace, nous sommes obligés de tourner sur le vieux continent. L'Angleterre est isolée, entourée par la mer. Ce qui explique sans doute pourquoi tant d'insulaires ont l'esprit aussi étroit. Nous serions plus heureux si nous pouvions vivre dans un monde plus ouvert. C'est vrai que parfois nous rêvons de partir ailleurs. Même le monde musical britannique manque d'ouverture d'esprit. Et il est à la fois stupéfiant et consternant de constater que la presse entretient cette carence...

Est-il exact que plagier toutes les formes d'art, et en particulier la littérature constitue votre forme de sampling? Quel rapport y a t-il entre la peintre mexicaine Frieda Khalo, dont la photographie illustre votre pochette (voir la reproduction ci-dessous), et votre musique?

J'aime la peinture de Frieda Khalo, parce qu'elle est directe et personnelle. Mais il est difficile d'établir une comparaison entre son art et notre musique. Elle existe, mais je suis incapable de l'établir. C'est beaucoup trop abstrait... Aujourd'hui la musique est devenue hybride. Certains n'expérimentent même que les samplings. Par exemple dans le domaine de la musique de danse. Nous n'utilisons pas de samplings. Cette technologie coûte beaucoup d'argent. Et puis nous essayons de respecter une ligne de conduite. De perpétuer une certaine approche de la poésie. Nos lyrics obéissent d'ailleurs à une forme poétique. Janet et David écrivent également des poèmes. Nous nous inspirons beaucoup de la littérature. Et en même temps, nous nous intéressons à de nombreuses formes d'art. Pour illustrer la pochette, nous avons fait appel à un peintre et à un photographe. Je pense qu'il est très créatif de mêler des formes artistiques différentes avec la musique. Elle ne se limite pas qu'au son. Les notes et les images peuvent également susciter des émotions...

Le nom du groupe provient du surnom de Phoolan Devi (NDR : elle a été assassinée le 27 juillet 2001), une femme indienne qui fut kidnappée et violée par des gangsters avant de devenir leur leader. Intentionnel ce choix?

Oui. J'ai lu ce bouquin consacré à cette histoire, il y a deux ans. Il m'a beaucoup plu et j'ai pensé que Bandit Queen recelait suffisamment de signification politique, sociale et féministe pour représenter une bonne image du groupe. Et nous l'avons adopté.

La chanson "Scorch" parle de sexualité, de sexe, et d'attitude vis à vis de la sexualité. Penses-tu que le combat entre les identités sexuelles exerce une fascination. Es-tu intéressée par la poétesse grecque Sappho?

Oui, parce que je pense qu'elle était la première femme poète. J'aime la poésie simple et directe. Parfois ses vers ne comptent que deux lignes, mais traduisent une sensibilité hors du commun... De quoi parlions-nous encore? (rires). De la sexualité. Une question très intéressante. Je suis bisexuelle. Je ne m'en cache pas. Chaque être humain connaît une sexualité différente. Je ne sais pas si le combat entre les identités sexuelles est fascinant. C'est un facteur de la vie. Adolescente, j'étais fascinée par ces questions. Aujourd'hui, j'ai pris davantage de recul. Je suis comme je suis. Et je n'ai pas connu plus d'expériences sexuelles que les autres. Simplement, j'estime que la sexualité est un phénomène dont il faut parler. Il est aussi important que le problème du racisme, de la politique ou du féminisme. Aussi, pas plus.

La chanson "Miss Dandys" traite de problèmes de la prostitution: "Miss Dandys montre moi un peu de paradis". Pourtant, ne dit-on pas que la prostitution conduit en enfer?

Miss Dandys est le personnage d'un livre qui s'intéresse à la culture nippone. Une histoire au sein de laquelle les prostituées sont travesties en hommes. C'est à la fois étrange et destructeur. Un peu fou, mais terriblement passionnant. Je suis passionnée par à la face cachée des autres civilisations. Du Japon ou du Mexique, par exemple. Là où je vis, à Manchester, de la fenêtre de mon appartement, j'observe le manège des prostituées dans la rue. C'est un phénomène qui marque ma vie quotidienne. Je ne pense pas que la prostitution mène en enfer. C'est peut être un mal, mais nécessaire. Elle permet de libérer l'homme de ses frustrations, de sa violence intérieure. C'est un peu une forme de garde-fou pour la société. Mais si le plus vieux métier du monde est un exutoire, il pose le problème des conditions dans lesquelles il est pratiqué. Absence de droits. De sécurité sociale. Exploitation par les souteneurs, destruction de sa propre identité. Je ne pense pas que j'aurais pu être une prostituée. Dans les rues, à Manchester, il fait très froid. Je me vends déjà à la musique, pas mon corps!

Version originale de l'interview parue dans le n° 34 (juin 1995) du magazine Mofo.

Beck

Ni clown, ni glandeur

Écrit par

Beck le retour. Après « Mellow gold », album de l’année pour de nombreux magazines pop/rock et deux autres opus plus discrets, l’Américain revient avec « D-De-Lay ». On craignait l’essoufflement. On avait tort. Chez Beck, l’inspiration et le goût pour les mélanges impossibles ne se sont pas émoussés.

Rencontre au Vooruit voici quelques semaines à quelques heures du concert programmé en première partie de Sonic Youth ; entretien au cours duquel Thurston Moore intervient ici très brièvement. Beck s’explique d’abord sur cette sortie tardive puisqu’il affirmait fin 94, disposer en réserve de plusieurs long playings, prêts à sortir. On aura donc attendu longtemps…

J’ai beaucoup tourné. Il me restait donc très peu de temps pour vivre chez moi, à accomplir des choses normales, et plus forte raison, pour me rendre dans un studio. Aujourd’hui, j’ai quatre albums qui sont prêts à paraître. Quand « O-De-Lay » sera lancé, le premier suivra rapidement. Pour les autres, rien n’est encore prévu.

C’est la première fois que tu enregistres un disque qui soit attendu par le public. Cette situation a-t-elle changé quelque chose pour toi ?

Difficile de ne pas y penser. Les gens vont m’attendre au tournant et peut-être me rejeter. Mais ils en feront ce qu’ils voudront ; finalement je m’en fous. Je n’ai de toute façon aucun contrôle là-dessus. J’en suis arrivé à un point où ce qui compte n’est pas de sortir un disque en tant que tel, mais de faire ce que j’aime. C’est ma vie, mon travail. Qu’importent les albums, c’est la musique qui est importante. J’essaie de penser à plus long terme. Je ne me dis pas ‘C’est ma dernière chance et si je me plante, c’est fini’. Il faut assumer le risque d’erreurs. C’est inévitable.

N’est-ce pas même utile d’en commettre ?

Bien sûr, elles permettent de progresser. Il y en a sans doute sur cet album. Je suis perplexe vis-à-vis de certaines chansons, presque ridiculement pop. En même temps, c’est ce qui est sorti à ce moment-là et je veux y rester fidèle, je ne souhaite pas me censurer. De toute façon, il est illusoire de penser qu’on peut contrôler le processus créatif. En même temps, je suis aussi assez sensible à l’idée selon laquelle on doit savoir ce qu’on veut. Mais finalement à quoi bon ? On ne trouve sa vraie voix que beaucoup plus vieux, alors en attendant… Cette façon de voir les choses est acceptée pour les écrivains, alors pourquoi pas pour les musiciens ? Un des grands avantages à être jeune c’est que tu n’es pas tenu de sortir ton œuvre la plus ‘mâture’. J’ai vu pas mal de choses, mais je ne pense pas avoir assez de bouteille pour permettre à ma musique d’avoir une portée universelle. Je n’ai envie ni d’être pris pour un clown, ni d’être pris trop au sérieux. Tant de jeunes musiciens veulent produire une sorte de manifeste définitif alors qu’ils devraient se contenter de parler d’eux-mêmes (NDR : à cet instant, Thurston Moore passe à proximité, et lance la fameuse formule habituellement réservée aux attachées de presse, lorsqu’elles souhaitent que l’interview se termine, en lâchant ‘Cinq minutes !’) (rires) C’est mon manager. C’est lui qui écrit toutes mes chansons. Je ne suis que son patin.

La répartition des chansons entre les différents albums s’opère-t-elle facilement ?

Les délimitations ne sont pas toujours claires. Des chansons comme « Sleeping bag » ou « Asshole » incluses sur « One foot in the Grave » auraient sans doute pu figurer aussi sur « Mellow gold ». Superficiellement, les chansons des trois premiers albums sont différentes, parce qu’elles ont été enregistrées dans des endroits et à des moments différents, en compagnie de personnes différentes. L’année prochaine, je sortirai un album de blues assez classique. Depuis deux ans, je n’ai jamais cessé d’écrire des chansons sans avoir un but précis dans la tête. Pour « O-De-Lay », j’ai simplement cherché à adopter un côté plus hip hop.

Plus Beastie Boys ?

(souriant) Je ne sais pas. Nos influences sont tellement différentes ! Moi, c’est plutôt un certain blues traditionnel alors que chez eux, c’est plutôt le hardcore et le punk de la vieille école. Mais j’admets qu’eux comme moi, nous essayons d’explorer différents aspects d’un hip hop plus marginal (NDR : Thurston Moore repasse et rebalance un bruyant ‘Cinq minutes’).

Tu connais Baby Bird qui a gravé 4 albums en quelques mois ?

Non, mais fais-le tourner pendant deux ans. Ca le freinera. Moi j’essaie de ne jamais arrêter d’enregistrer. Il est très dangereux de se contenter de jouer toujours les mêmes chansons.

Tu as parlé un jour de composer une chanson en utilisant tous les accords que tu connaissais…

Pendant des années, j’ai écrit des chansons qui n’avaient que deux accords. Si j’ai été attiré par le folk, c’est en raison de sa simplicité. Dans le format chanson, pop ou non, deux accords permettent de se concentrer sur l’essentiel. Un jour, un producteur m’a demandé de lui jouer quelques morceaux. Après les avoir écoutés, il m’a conseillé d’en concevoir d’autres avec plus d’accords. Plutôt que de me vexer, je suis rentré chez moi et j’en ai écrit un en utilisant tous les accords que je connaissais. Donc, cette compo existe. Elle s’appelle « Cyanide breath mint » et figure sur « One foot in the grave ». Ce qu’il y a de bien dans l’aspect limité du folk, c’est justement l’absence de ‘jouets’ qui distraient du boulot. Même si les jouets sont marrants et si c’est amusant de réaliser des disques comme « Mellow Gold » ou « O-De-Lay ». Si une chanson à deux accords est mauvaise, ça s’entendra toujours tout de suite parce que rien ne dissimulera ses faiblesses.

Tes albums sont toujours assez accidentés, jamais lisses. Pourquoi ?

Un album, c’est comme un voyage auquel on convie l’auditeur. Je ne veux pas d’un trajet en voiture sur une route droite et plate. J’aime arriver à une sorte de grâce zen. Tu as, par exemple, des sons ‘difficiles’ suivis d’un certain refrain très accrocheur. Ce qui est aussi intéressant dans la musique, c’est qu’en définitive, elle ne compte que par l’effet sur celui qui l’écoute.

Tu te soucies de l’image qu’on a de toi, telle qu’elle émane de « Loser » ?

Quand j’ai enregistré ce morceau, je ne soupçonnais même pas l’existence de ce mouvement ‘slacker’ (NDR : à son corps défendant, Lou Barlow, le leader de Sebadoh, a aussi été traité de ‘glandeur’). Je me contentais d’enregistrer une chanson rap, sans rapper très bien, d’ailleurs. Le rap que j’écoute est généralement assez dur et charrie tous les clichés sur ce qu’on a ou pas : le fric, les femmes et les bagnoles. C’était une sorte d’hommage rigolo à tout ça. ‘Je suis un perdant, je n’ai rien et je ne suis qu’une merde…’ C’était juste une blague que certains m’ont volée en lui donnant une autre vie. C’est leur droit le plus strict, mais qu’on ne s’attende pas à ce que je ne sois qu’un personnage de dessin animé, un symbole unidimensionnel de la jeunesse apathique. Parce que ça n’a rien à voir avec moi. J’ai toujours été intéressé par une foule de choses de la vie. ‘Slacker’ est vraiment un terme trop réducteur, qui tend à uniformiser les gens alors que tous sont différents. En fait, c’est avant tout une création de marketing, une façon d’identifier un segment d’acheteurs potentiels pour leur confectionner des produits sur mesure. Heureusement je crois que ce mot est déjà occupé de disparaître.

(Article paru dans le n° 44 du magazine Mofo de juin 1995)

  

Moby

Une bible dans le sampleur

Écrit par

Richard Melville Hall aurait-il tout compris? D'où viens-je, où vais-je, dans quel état j'erre? Vous savez, toutes ces angoissantes questions existentielles qu'on se pose le matin en se rasant face à son miroir, en journée coincé du côté de la Drève de Bonne Odeur ou le soir face aux navrantes séries télévisées destinées à combler notre trou noir culturel? S'il n'a pas encore répondu à toutes celles-ci, Moby a néanmoins le mérite de les affronter bien en face dans un album qu'il a intitulé "Everything Is Wrong"!

Moby aurait créché à Nazareth et eu un papa charpentier qu'on ne se serait pas, outre mesure, étonné de son discours. Seulement voilà, son message, ce n'est pas du haut d'un quelconque Mont des Oliviers qu'il le délivre, mais sur CD, disponible dans tout rayon techno un peu garni. Mais oui, derrière les tubes que sont "Go", "Hymn" ou "Feeling So Real", il y a des idées! Le SyQuest au service d'une philosophie chrétienne, c'est tout nouveau! Et le credo de ce jeune Américain de 28 ans, à ses heures perdues toujours DJ et remixeur (des Pet Shop Boys à Michael Jackson en passant par Depeche Mode), c'est pas entre deux vagues de la Mer Rouge qu'on a été vous le pêcher! Et si Moby était...

Un humain bourré de contradictions ?

Je suis un activiste qui défend les droits des animaux, un environnementaliste, un chrétien qui ne va pas à l'église mais qui aime Dieu. J'ai étudié un peu de philosophie quand j'étais encore à l'école, et j'aime m’amuser comme peut le faire un gosse. J'apprécie tous les genres de musique qu'on puisse imaginer, même le country & western et le Top 50. J'ai commencé à gratter de la guitare il y a 20 ans, en jouant de la mauvaise pop au lieu de pièces classiques et de suivre des cours de solfège. J'ai participé aux aventures de groupes punk, new wave, reggae, folk, jazz. J'ai grandi en écoutant ce qu'écoutait ma mère, de Bartok aux Doors. C'est la raison pour laquelle "Everything Is Wrong" est aussi varié. Je n'aime pas les classifications ; au nom de quelle loi ne devrait-on aimer qu'une seule chose?

Un flippe de première ?

Je suis réellement persuadé que tout est faux. La façon dont les humains vivent leur vie, dont ils tombent amoureux, ce que nous faisons... Tout ça n'a pas de sens pour moi. Je me crois sans repères. Les seules choses que je comprenne sont les états émotionnels : plaisir, douleur, souffrance. J'essaie de vivre sans causer de souffrance ; c’est pour cette raison que je me bats pour les droits des animaux. Je ne veux imposer ma volonté à aucun être vivant.

L’Iggy Pop de la techno ?

Oui, j’ai lu ça quelque part. Peut-être m’a-t-on comparé à lui à cause de la façon dont je joue. La plupart des ‘techno acts’ se résume à une bande de types en fond de scène, planqués derrière des machines, la tête penchée sur des claviers, passant leur temps à tourner des boutons. Chiant, donc. C'est comme toute cette vague intitulée ‘Intelligent Techno’, Autechre et compagnie. Beuark! Le premier concert que j'ai vu, c'était Yes ; eh bien, c'était encore plus marrant que tous ces trucs-là. Je sais que c'est à la mode, que tous les gens cool se doivent d'aimer ce genre et je concède que par certains aspects musicaux, c'est parfois agréable. Mais je suis beaucoup plus extrême. Je joue de la guitare, de la batterie, des claviers, des percussions. Je cours partout, je crie, je saute, parfois je démolis mon matériel...

Un fumeur de pétards ?

Certains se droguent pour pouvoir danser pendant de heures... Soit, mais aussi longtemps qu'ils ne se blessent pas eux-mêmes! Je me soucie de gens, pas des drogues. Si quelqu'un se prend de l'ecstasy tous les week-ends, comment sera-t-il à 25, 30 ou 40 ans? Aura-t-il une bonne vie ou cela le détruira-t-il? Si c'est le cas, il faut arrêter ; c'est de cela dont je me soucie. Si de l'ecstasy l'aide à se sentir bien toutes les deux ou trois semaines, c'est une liberté par rapport à son corps. S'il veut se gonfler d'héroïne, se piercer : c'est son choix. S'il détruit son corps, tout ce que je peux faire, c'est lui montrer des gens qui arrivent à se sentir bien sans se détruire et lui dire : ‘Pourquoi n'essaierais-tu pas plutôt de faire comme eux?’

Un type avec du cœur ?

Je fais de la musique qui procure une émotion et qui, heureusement, touche les gens sur le plan de l'émotion. C'est mon but. Composer quelque chose qui puisse captiver l'auditeur et auquel il puisse donner une réponse émotionnelle puissante. Je fais de la musique pour la vie de tous les jours, pour les automobilistes, les piétons, ceux qui travaillent... Si l'on m'écoute, je souhaite qu'on puisse en retirer quelque chose et me répondre.

Un lanceur de pavés ?

Quand je démolis mon matériel, j'attends une réponse tout aussi extrême. Que le public s'amuse dans la salle autant que je le fais en ‘live’. C'est plus facile d'être motivé par quelqu'un qui fait des choses intéressantes en concert. Si je ne m'amuse pas sur scène, je ne peux pas attendre du public qu'il danse et prenne du bon temps. J'essaie d'être moi-même, honnête, un être humain passionné ; de ne pas être détaché des choses que je fais. Je déteste ce qui ne contient ni émotion ni passion. A ce niveau, le punk rock a été bénéfique, arrivant à point pour balayer tous ces groupes dits ‘progressifs’. Aujourd'hui, la ‘dance’ est devenue une sorte de punk rock sans rébellion, elle verse dans le conservatisme. Oui, les kids qui vont danser prennent leur pied, mais les gens qui sont derrière ceux qui font les disques, les vendent ou en parlent dans les médias s'inquiètent encore d'une seule chose : savoir si telle ou telle musique est ou non à la mode. Qu'elle provienne de Detroit, Sheffield ou Düsseldorf, on s'en contrefiche!

Un écolo rusé ?

Je suis une masse de contradictions : je vis à New York, mais je suis un écolo. Cela dit, quelque part, c'est logique : je peux ne pas rouler en voiture, il y a plein de restos végétariens... Quant à la techno... J'ai un problème avec ma carrière : pour l'assumer, je dois voler en avion, rouler en voiture, faire des disques en plastique, des livrets en papier. C'est un problème, et je ne sais pas comment le résoudre. Peut-être en arrêtant de faire de disques? Mais pour l'instant, c'est aussi ma façon de communiquer avec les gens. Oui, je suis impliqué ‘dans une industrie destructive, mais heureusement, je peux parler aux gens’.

Tout simplement Jesus II ?

Je regarde le monde autour de moi. Pas le monde de l'homme, celui de la nature et je vois comme il est beau, phénoménal, complexe. Et je n'ai pas de moyen pour l'exprimer. Regarde mon corps, mes yeux, mes nerfs optiques, tout ça m'indique l'existence d'un dieu. Une belle toile dans un musée renvoie à un peintre remarquable. Le monde naturel, lui, me renvoie à son remarquable créateur. D'une certaine manière, je voudrais voir cette passion se retrouver dans ma musique, qu'elle exprime ce que je ressens, alors que je me trouve au milieu d'un champ en me disant que cette planète existe depuis des milliards d'années. Ou quand je pense à ce procédé que je ne peux saisir et qui fait qu'Adam a été recombiné pour devenir moi.

Un doux rêveur ?

Si un disque ne peut pas changer le monde, il peut au moins fournir de l'information à ceux qui l'écoutent. Celui qui a mon album entre les mains prendra peut-être le temps de lire le livret et de modifier ainsi sa façon d'être : avec les gens, avec le milieu naturel. Il y réfléchira. Si c’est difficile à mettre en musique, je l’exprime en tout cas plus facilement par des sons, par la musique. Les mots sont beaux, je les aime, mais je me sens meilleur compositeur qu'auteur. Et puis, la musique est plus universelle que ce que je pourrais écrire. Mes compos sont des émotions. C'est pourquoi j’accorde des interviews, c'est un peu ma façon de chanter. Quant à faire bouger les choses à l’aide de sons... Si j'écris un tube, je peux toucher 50 millions de personnes. Si 1% de ce public se dit, par exemple, qu'il pourrait devenir végétarien parce qu'il aime les animaux, le chiffre est déjà conséquent. Le disque m'aide ; si je tenais un discours au coin de la rue devant l'hôtel, j'aurais moins d'influence et je serais peut-être même embarqué par les flics.

Un mec remuant ?

Je suis quelqu'un d'engagé. Je crois que c'est normal. Depuis 70 ou 80 ans, la vie aurait pu devenir si belle. Le ciel, les arbres... La vie est phénoménale et malgré tout, l'homme continue à poser des actes qui nient son potentiel. C'est ce qui m'a poussé à agir. Dans une maison qui brûle, l' 'attitude la plus logique est de combattre l'incendie. Aujourd'hui, la plupart des gens restent à l'intérieur et continuent à regarder la télé.

(Article paru dans le n°33 du magazine Mofo de mai 1995)

 

Faith No More

On n’est pas un groupe heavy, ni pop… ni black…

Écrit par

Début janvier. Temps frais, mais sympa, sur Amsterdam la terrible. Ambiance cotonneuse dans un hôtel de luxe de la cité de l'herbe. Les Faith No More sont là, cool, relax. Ils viennent présenter leur nouvel album, "King For A Day... Fool For A Lifetime" à une partie de la presse européenne. Conférence de presse pour tout le monde, d'abord. Discussion ‘privée’ ensuite avec Bill Gould, l'énergique bassiste, en ce qui nous concerne. Très carré, Bill Gould! On l'imaginait bien de cette trempe. Il fixe droit dans les yeux, appuie ses paroles d'une gestuelle nette et volontaire, s'exprime de façon condensée, focalisant un maximum d'impact dans chaque mot.

T'as écouté l'album?

Bien sûr que j'ai écouté l'album! Je me suis même jeté sur la cassette. Et je n'ai pas été déçu. D'autant que FNM a remis une grosse dose de guitare dans le jeu de quilles et que je les préfère comme ça. Varié, diversifié, amusant, perturbant, captivant, le nouveau Faith No More (NDR : comme les autres, d'ailleurs) et solide en plus. C'est une bombe, ce disque, c'est clair. Tiens, à propos de guitare, en quoi les problèmes de guitariste rencontrés par le groupe ont-ils influé sur l'identité de l'album?

Jim (Martin, le grand clown chevelu à lunettes, arrivé en 83 et débarqué onze années plus tard) a été crédité deux fois, pour avoir composé autant de chansons, en cinq albums ‘NDR : une réponse assénée un peu sèchement, par Bill). Pourquoi voudrais-tu que son départ soit tellement problématique à ce niveau? Nous, le groupe, avions envie d’en revenir à davantage à la guitare pour notre nouvel cd. C’était instinctif. Un point c'est tout. Peut-être, aussi, avions-nous encore ce son ‘live’ dans la tête, depuis notre longue tournée consécutive à la sortie d’"Angel Dust" ? Peut-être aussi, est-ce une réaction contre cet "Angel Dust", qui avait fait la part belle aux claviers ? Non, je crois qu'on voulait surtout retrouver le son de la scène. Quand on écoute "King For A Day", on retrouve vraiment celui du groupe en ‘live’. On avait envie, besoin de cette sonorité. C'est ce qui nous convient le mieux.

Guitaristes successifs

Jim Martin a été un certain temps remplacé par Trey Spruance, complice de Mike Patton au sein de Mister Bungle, avant que celui-ci ne disparaisse à son tour de la circulation et soit remplacé par un autre gratteur, Dean Menta. C'est quoi, cette histoire?

De la merde! Jim est un drôle de type avec qui il était devenu impossible de travailler. No way, plus moyen. On n'était plus sur la même longueur d'ondes. Jim était en marge. C'est moi, le bassiste du groupe, qui est responsable d'une grande partie des guitares sur "Angel Dust", parce que Jim n'en avait rien à cirer! Il fallait qu'il parte. C’était évident, même si on savait qu'on prenait un risque. Pas mal de gens appréciaient la présence de Jim parce qu'il incarnait une certaine identité heavy metal au sein du groupe. Il était le seul à avoir ce look, tu vois? On savait aussi que ce ne serait pas très simple de le remplacer. Dans le groupe, on s'est presque construit un langage à nous. On aurait dû apprendre à un autre type de parler notre langue ; pas simple! On a engagé Trey parce qu’on le connaissait déjà. Mike n'était pas très chaud pour qu'on le recrute ; mais on a fini par l'embaucher. Trey s’est montré tout de suite très gentil et son comportement nous a paru suspect... On sentait bien qu'il n'était pas très clair. Enfin, il bossait bien, c'était pas mal. On a enregistré l'album et on était satisfaits de son travail. Et puis un jour, il est arrivé et nous a dit qu'il n'avait plus envie de continuer. On n'a toujours pas compris ce qui s'est réellement passé. Mike avait raison de s'en méfier, en tout cas... On l'a remplacé par Dean Menta. On connaît Dean depuis un certain temps aussi. Il nous avait accompagnés lors de la tournée "Angel Dust" ; et il avait vachement envie de faire partie du groupe. On lui a demandé s'il voulait franchir le pas. Il nous a dit: ‘Je peux jouer tous les titres sans problème’. Dean est notre guitariste maintenant. Bien, on se méfie un peu, désormais (NDR : Bill affiche un sourire en coin un peu crispé), mais tout se passe bien. Dean a de bonnes idées, un comportement clair. Il se comporte naturellement et ça semble coller au groupe.

Trey a-t-il été impliqué dans l'écriture de l'album?

Peu, parce que 90% du travail avait été effectué avant qu'il ne débarque. Ce n'est pas un problème pour nous. On avait l'habitude de travailler sans l'aide d'un guitariste, ou presque.

Tu as dit tout à l'heure que vous aviez votre propre langage. Cela sous-entend clairement l'existence de certains automatismes entre vous, alors qu'une des principales particularités de Faith No More est de se remettre sans cesse en question. Comment gérez-vous ces paramètres ?

Nous avons besoin de motivation et nous sommes des gens très créatifs, il nous suffit de combiner les deux. Nous n'avons aucune envie de faire sans cesse la même chose et nous n'éprouvons pas beaucoup de mal à trouver des idées et à les exprimer.

Briser la ligne droite

Vous aimez prendre des risques. Pour le jeu, par insouciance ou par souci stratégique?

Parce que c'est notre manière d’avancer. On sait bien qu'on se complique la vie, mais on n'a pas envie de travailler autrement. On veut découvrir des choses, à commencer par des trucs sur nous-mêmes. Je connais bien mes limites, je sais qui je suis et le fait de tenter de dépasser ces limites est très grisant. On n'était pas obligé de tout changer après "The Real Thing", mais on l'a fait et "Angel Dust" a super-bien marché. Même si on s'est vachement posé des questions parce que cet album était vraiment très différent! A nouveau, on a brisé la ligne droite sur "King For A Day" ; mais les lignes droites, c'est pas notre truc, c'est pour le business...

Il vous laisse tranquilles, le business?

Non, on lui botte plutôt les fesses! Les radios heavy ne veulent pas trop passer nos trucs s’ils ne sonnent pas heavy. On doit forcer le passage, tu vois? Idem pour les radios pop. On n'est pas un groupe heavy, ni un groupe pop, ni un groupe black. On est partout à la fois et le business n'aime pas ça. Il faut bosser comme des fous pour arriver à faire ce qu'on fait. Mais quand ça marche, c'est drôlement gratifiant.

Votre relation avec le public?

On a une relation avec le public, ce que beaucoup d'autres groupes n'ont pas! Le principe de base, généralement, c'est ‘nous sommes le groupe, vous êtes le public, on vous donne ce que vous voulez et vous alimentez notre tiroir-caisse’. Ce n'est pas notre crédo. J'ai l'impression que nous communiquons avec notre public, justement parce qu’il n’y a pas de règles entre nous. Les gens ne savent jamais à quoi s’attendre, ça les pousse à être plus ouverts, à faire preuve de sens critique aussi. La communication fonctionne donc dans les deux sens, il y a une réaction intelligente. Ce n’est pas facile à construire comme processus ; mais quand ça donne de bons résultats, le bénéfice qu'on en retire est plus grand, pour tout le monde.

Tu te reconnais, personnellement, dans tout ce qu'a réalisé Faith No More jusqu'ici?

Excepté l'un ou l'autre petit détail, oui. Et je reconnais que c'est une grande chance. On discute de tout entre nous et c'est notre force. C’est ça le langage Faith No More dont je parlais. Je suis parfois surpris. J'ai écrit "Take This Bottle" il y a un an et je jouais de temps à autres cette chanson chez moi; pour moi uniquement, parce que je pensais qu'elle ne convenait pas au groupe. Un jour, je l'ai fait entendre aux autres qui m'ont dit ‘C’est super, elle doit être sur l'album’. FNM, c'est vraiment ça.     

Vous n'avez pas de problèmes d'ego?

Nous sommes des fortes personnalités, nous avons tous un caractère, des ambitions, des aspirations personnelles mais nous nous respectons et nous utilisons nos capacités et nos énergies à défendre un but commun. Nous ne sommes pas toujours d'accord entre nous –et je trouve cela plus que normal– mais nous nous respectons et nous dialoguons. A partir de là, tout est ouvert.

J'ai demandé tout à l'heure à Mike de parler de ses textes et il m'a dit ‘Je ne suis pas la meilleure personne pour en parler puisque je les ai écrits’... On connaît ce type de comportement de sa part, mais cela reste toujours un peu étonnant, non?

Mike est un type instinctif qui livre quelque chose et puis s'en va. Il ne passe pas son temps à analyser ce qu'il fait et il n'en a d'ailleurs absolument pas envie. Il considère que le plus important réside dans ce qu'il fait et non pas dans le discours sur ce qu'il fait. Je peux comprendre son raisonnement. Je suis un peu comme ça, moi aussi. Nous comprenons ses textes, nous les interprétons.

La merde en blanc

Comment interprètes-tu, dès lors, un titre comme "Cuckoo For Caca"?

Amusant, pas vrai? Plusieurs des textes de Mike sur l'album concernent Trey. A notre relation avec lui. A son comportement (NDR : relisez le début de cette interview et écoutez, par la suite, "The Gentle Art Of Making Enemies", par exemple). Pour te donner la signification de "Cuckoo For Caca", rien de tel que d’avoir recours à une image : si tu peins de la merde en blanc, la merde deviendra donc blanche en surface, mais cela restera de la merde à l'intérieur.

Il y a des cuivres sur l'album, notamment dans "Star AD". Ce sont des vrais ou bien vous vous êtes amusés à échantillonner des sons?

Non, ce sont des vrais. J'aime bien sampler, je le fais facilement ; je peux donc t'en parler en connaissance de cause et je peux te dire qu'un sampling ne remplacera jamais tout à fait des sons originaux. Nous avions envie de cuivres qui claquent, de cuivres forts, intenses. Il n'y avait donc guère de meilleure solution que d'en mettre de véritables sur l'album.

Y a-t-il, pour toi, un lien entre les différentes chansons de "King For A Day"?

Assurément. Chacune de nos chansons est une image et un album forme un tout cohérent. Nos chansons sont plus que des mélodies. Il y a un gros impact visuel chez nous. J'aimerais d'ailleurs que nous travaillions un jour sur une musique de film. Nous sommes des gens parfaits pour ça. Je trouve aussi que nous devrions encore améliorer l'impact visuel de FNM. Je pense qu'il nous manque quelqu'un qui puisse bien nous comprendre et sortir de bonnes images, de bonnes photos, de bonnes peintures pour nos T-shirts ou nos couvertures de Cd. Celle de "Angel Dust" était très bien. Notre démarche nous pousse à dépasser le stade de l'écriture musicale simple. Nous voulons nous accorder plus d'espace, donner plus de sens au groupe...

C'est donc un processus que vous pouvez contrôler, forcer si besoin en est?

Oui, c'est clair. Il est nécessaire de se faire violence quelquefois. Tu ne te réveilles pas tous les jours avec 25 nouvelles idées en tête! Ces jours-là, il faut faire fonctionner la mécanique en donnant des décharges. C'est normal.

Vous portez une part de responsabilité dans l'avènement de la scène rock dite alternative...

Je n'aime pas les clichés. Mais je dois bien reconnaître qu'il en existe au sein de la scène alternative aussi. Là, encore une fois, c'est le business qui joue et à ce niveau-là, nous ne contrôlons pas tous les paramètres. En tant que musicien, tout ce que tu contrôles à 100%, c'est ta propre créativité et ce qu'elle te permet de faire. Le reste, c'est aléatoire. Mais c'est ainsi. Le public aussi, quelquefois, se fait peut-être une opinion de nous qui ne correspond pas exactement à notre point de vue. Pas trop grave, l'important c’est qu'il ressente déjà cette envie de comprendre.

Article paru dans le n°35 d’avril 95 du magazine Mofo

 

Siouxsie & The Banshees

La peur de l’inconnu, c’est dans la nature humaine…

Écrit par

Trois ans de silence radio pour Siouxsie & The Banshees et enfin s'annonce le successeur de « Superstition », dernier effort studio du groupe, à ce jour. Rencontrée dans un grand hôtel parisien, Siouxsie Sioux, grande prêtresse du band, évoque ses projets, la musique en général et sa collaboration avec John Cale, qui produit le nouvel album, « The Rapture ».

Confortablement installée sur un sofa moelleux, ses longs cheveux noirs ramenés en chignon, le visage couvert d'une couche épaisse de fond de teint (elle est tombée dedans, à mon avis), ses grands yeux fixant vos moindres mouvements et vos plus discrètes réactions, Siouxsie Sioux se confie paisiblement. Elle avoue une grande admiration pour John Cale et explique le choix de ce dernier comme producteur.

Nous avons terminé l'enregistrement de l'album, au cours de l'été 93. Peu de temps après, nous devions nous produire dans plusieurs festivals. Avant notre départ, je suis allée à Paris pour vivre le concert du Velvet Underground : un des meilleurs shows auquel je n’ai jamais assisté. Ensuite, nous nous sommes embarqués pour cette tournée de festivals : Reading, le Portugal, la Grèce etc... Quand tout s’est terminé, j'ai réécouté « The Rapture ». Il comptait neuf titres à l'époque, et j'ai eu le sentiment qu'il n'était pas achevé. Je voulais y ajouter d'autres morceaux. La firme de disques était prête à sortir le CD, mais j'ai refusé. Je voulais disposer d’un peu plus de temps, écrire d'autres chansons, et peut-être rencontrer quelqu'un susceptible de le finir, parce que jusque-là, nous l'avions produit entièrement nous-mêmes.

6 mois de recherches

Vous avez cherché longtemps?

Pendant six mois! La maison de disques nous suggérait des titres... débiles! Ils prenaient la liste des hit-parades et disaient: " Voyons un peu... qui s'en sort bien? ". Les noms étaient suggérés en fonction du classement!! Bref, on commençait à devenir nerveux... A la même époque, Budgie et moi devions nous rendre à Paris. Nous avions été invités par Hector Zazou (Sahara Blue) pour participer à quelques sessions de son nouveau disque, « Songs From the Cold Sea », une œuvre consacrée à des chants lapons norvégiens, de la mer des pays nordiques... Une très belle idée à laquelle je prête ma voix. Un dimanche de février, nous étions en studio. Et là, nous avons appris que John Cale devait venir chanter sur un des morceaux. Nous l'avons approché.

Sa réaction?

Il était très flatté, mais il désirait d'abord écouter une cassette avant de s'engager. Nous nous sommes rendu compte qu'il était fort occupé : musiques de films, composition d'un opéra, réalisation d'un nouvel album... Il a écouté la cassette et a conclu: ‘Je serais enchanté de produire votre disque, mais tentons d'abord de trouver un moment pour s’y mettre’. Il a débarqué à Londres fin mars, début avril. Nous avons opéré les réenregistrements et mis en boîte les chansons que nous avons composées avec lui. En une semaine, tout était terminé! Puis nous nous sommes repartis à New-York où John connaissait un studio pour remixer les morceaux enregistrés, ainsi que « Fall From Grace » qui demandait à être retravaillé. Voilà pour l'histoire...

Quels sont les avantages et les inconvénients de l'autoproduction?

J'avais l'impression que nous avions perdu une partie de notre âme sur « Superstition » : trop de computers, de mixages, etc. Cette succession de traitements avait fini par dénaturer notre musique ; et puis je ne voulais plus entendre parler de boîtes et de machines. En 92, j'ai définitivement quitté Londres pour m'établir en France. J'ai emmené avec moi tout le groupe et nous nous sommes  installés dans ma nouvelle demeure. J'avais des idées très précises sur la façon dont je concevrais ce nouvel album. Nous l'avons produit nous-mêmes, nous avons pu faire sonner les morceaux exactement comme ne le souhaitions. Le problème, c'est que lorsqu'on travaille intensivement sur un projet, on ne peut plus le mettre en perspective et prendre le recul nécessaire. Nous avons compris qu'il nous fallait quelqu’un d’extérieur pour superviser le travail. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à John Cale de nous épauler. C'est quelqu'un que nous respectons et qui a engendré chez moi une confiance que je n'aurais ressentie avec personne d'autre. Je crois qu'on peut dire qu'il y avait entre nous une vraie complicité : il était très facile de lui expliquer ce que nous voulions.

Facile d'intégrer des instruments comme le violoncelle et l'accordéon dans votre musique?

Oui, parce que Martin est accordéoniste de formation. Il s’était surtout chargé des synthés sur « Superstition ». Je lui ai demandé de jouer du violoncelle, parce que c'est un instrument plus physique: on peut facilement entendre les cordes et l'archet ; et de plus il peut être utilisé de façon très agressive. Sa place est importante dans la construction du son de l'album.

Ce projet semble plus calme et reposé ?

Il est certainement plus relax. Nous nous sentons beaucoup plus en paix avec nous-mêmes qu'avant. Mais cet album a ses humeurs; il commence de façon très innocente et stupide (« O Baby ») mais il évolue ensuite au fil du voyage au pays des sentiments, des dilemmes sur la vie et l'amour…

Avez-vous déjà pensé à changer complètement le style de votre musique?

Non, parce que je ne conçois pas Siouxsie & The Banshees comme un concept limité par ses influences… Nous n'avons jamais prétendu être un groupe de jazz, de rock ou une formation punk ou blues. Nos goûts sont très éclectiques. Si nous entendons quelque chose d'intéressant, nous essayons de le réinterpréter à notre façon: nous reprenons à notre compte plusieurs styles sans jamais les parodier.

Creatures

The Creatures, est-ce une sorte d’échappatoire aux Banshees ?

Perso, The Creatures est un projet beaucoup plus simple et dépouillé que les Banshees : c'est un croquis par rapport à une peinture à l'huile. C'est rapide, ce sont des percussions et des voix, c'est instantané ; l'approche est plus simple, on s'embarrasse moins de détails.

Mais un croquis peut être très réussi?

Oui, bien sûr. Je ne donne pas l'avantage à l'une ou l'autre formule. Mais The Creatures est un travail spontané et vite fait.

Peut-on espérer un nouvel album des Creatures?

Oui, mais je ne sais pas quand, dans un an ou deux...

La musique des Creatures utilisait des ingrédients de la world music...

Les Creatures intégraient des influences espagnoles, et des séquences de tambours japonais, dont Budgie est grand amateur.

Comment jugez-vous la musique actuelle de Robert Smith ?

Je ne l'écoute pas. Je ne juge personne.

Vous n'aimez pas ce qu'il fait?

Je ne connais pas son emploi de temps. Il a été guitariste des Banshees durant quelques mois, il y a très longtemps. Je n'ai plus de contacts avec lui.

Vous jouez de la musique depuis longtemps... N'y a-t-il, à vos yeux, pas quelque chose d'injuste dans le statut de musicien rock confirmé? En comparaison avec le blues, le jazz et la musique classique, plus un rocker dure, plus les gens ont tendance à se méfier de lui...

C'est une ‘disposable attitude’. Sans doute parce que le culte de la jeunesse est très important ! Pour ceux qui baignent dans la musique rock, le fait de vieillir pose problème: ils n'acceptent pas que ce qu'ils écoutent vieillisse aussi. Donc ils mettent une date de péremption sur tous les produits musicaux qu'ils écoutent. Ils refusent d'évoluer. Mais c'est leur problème.

Sur l'un des morceaux, « The lonely one », on remarque la présence d’un accordéon et puis d’une voix qui s’exprime en français. Un hommage à la France, pays où vous vivez à présent?

Non pas vraiment. En fait, c'est John Cale qui a suggéré l'idée. Elle s'intégrait bien au morceau, il n'y a pas d'autres significations. C’est un peu cliché, mais il était amusant de jouer avec cette fausse image de la France qu'ont les Anglo-Saxons.

Pauvre scène anglaise

Quel regard portez-vous sur la scène anglaise actuelle?

Je crois que la presse britannique est un élément destructeur. Les journaux musicaux y tentent désespérément de trouver ‘the next big thing’, la prochaine sensation. De jeunes groupes se retrouvent ainsi à la une alors que leur premier single vient à peine de sortir. Le poids à porter subir pour ces artistes est énorme pour la suite de leur carrière qui vient à peine de commencer. Ils sont portés au pinacle instantanément pour être aussitôt descendus en flammes et oubliés au plus vite.

C'est dommage, parce que la scène anglaise a toujours joué un rôle important dans la musique rock?

Oui, mais plus maintenant! Le public écoute plus volontiers des formations ou des artistes américains, aujourd’hui. Et c'est inévitable. Pour deux raisons: d'une part, aux States, il existe la tradition des ‘colleges radios’ ; d'autre part il faut analyser la façon dont les maisons de disques et la presse musicale anglaises se comportent. J'espère que les Anglais se réveilleront bientôt et mettront fin à ce phénomène. Les groupes eux-mêmes doivent être assez intelligents pour prendre leurs distances vis-à-vis des médias et se protéger.

Un nouveau courant, baptisé nouvelle vague de la nouvelle vague, serait occupé de prendre la relève, en Angleterre. Votre opinion?

C'est un signe d'appauvrissement, je pense. Mais ce phénomène renvoie à mon opinion sur la presse musicale anglaise qui veut être la première à dénicher la nouvelle ‘hype’ et pouvoir annoncer que c'est à la mode. C’est le résultat de la compétition entre les magazines. Si j'étais un de ces groupes, je détesterais cette appellation, comme d'ailleurs je détestais qu'on nous définisse comme un groupe punk. Qu'est-ce que cela signifie? Trop limité et si pratique pour les paresseux qui manquent d'imagination. On ne laisse pas les gens décider eux-mêmes, j'ai horreur de ça!

Pourquoi le public accepte-t-il très difficilement qu'un artiste change de style, non pas par pur intérêt commercial, mais simplement parce qu'il vieillit et que son approche musicale change au fil du temps?

Les gens, bien qu'ils vous conseillent d'évoluer et de changer, sont coincés par leurs habitudes, ont tendance à écouter ce qu'ils connaissent et n'aiment pas trop l'inconnu. C'est une sorte de filet de sécurité. Ils sont, en fait, très conservateurs. C'est comme ceux qui voyagent : un Anglais au Maroc veut trouver un endroit où on vend des fishs & chips, un Français, un restaurant de cuisine française... C'est incroyable et triste à la fois : l’être humain a peur de l’inconnu. Cette réaction appartient sans doute à la nature humaine.

(Article paru dans le magazine Mofo n°30 de février 1995)

 

The Cult

Le rock a toujours été sexuel

Écrit par

Tailler une bavette avec un type comme Ian Astbury restera toujours pour le journaliste une expérience intéressante. Lorsqu'il le souhaite et cela semble être souvent le cas, le grand Ian est un type d'une grande froideur, le genre de gars qui entre dans la pièce en houspillant un des roadies qui traînait dans le coin, un personnage qui vous toise d'un regard distant, regarde le mur d'en face lorsqu'il vous parle et ne vous fixe dans les yeux que lorsqu'il a envie d'insister sur certaines paroles plus importantes. Ian Astbury veut imposer sa personnalité, son identité sans vous laisser la possibilité de l'amener à aborder un sujet s'il ne le souhaite pas. Il garde la mainmise à chaque minute. Sur scène, pareil, c'est lui qui dirige. Sur disque aussi, Ian Astbury mène la barque selon sa volonté. Et cette attitude peut conduire à des comportements déroutants, comme aujourd'hui, pour parler d’un nouvel opus qui marque une certaine cassure vis à vis de ses précédents. Moins purement ‘metal’, moins puissant, plus varié, "The Cult" (l'album) marque un certain retour pour The Cult (le groupe), dans les eaux d'une musique rock au sens général du terme. Ian Astbury s'explique. Enfin non, il explique...

On a juste enregistré l'album comme on le sentait, rien de plus. A la base, ce n'est pas plus compliqué. Bien sûr, j'admets que je n'étais pas totalement satisfait des précédents. Il y a de bonnes choses sur un disque comme "Sanie Temple" mais lorsque je le réécoute aujourd'hui, je me dis qu'on doit pouvoir faire mieux. Quant à "Ceremony", il a été conçu par une formation en pleine déconfiture ; The Cult n'était plus un vrai groupe à l'époque et cela se ressent. Notre nouveau disque est plus positif, plus intéressant. Il correspond avantage à ce que nous sommes réellement. Lorsque je parle d’art, je pense aujourd'hui plus à Picasso et à Brecht, qu'à Jimi Hendrix et Jim Morrison. Je ne renie rien, mais j'ai envie d'aller plus loin, de réaliser des choses plus significatives. Elles nous rapporteront peut-être moins d'argent, nous vendrons peut-être moins de disques ; mais je m'en fous

Tu veux dire que vous avez d'une certaine manière, accepté des compromissions, avant?

Oui, mais c'était voulu. Au départ, on a été assimilés à la vague rock ‘indé’. On était là pour briser le monopole des grosses machines. Après un certain temps, on s'est rendu compte qu'on nous avait enfermés malgré nous là-dedans, pour des motifs qui n'étaient pas uniquement musicaux. On a voulu nous libérer de cette emprise parce qu'on déteste les ghettos et que celui là en était un. Il y a des dangers, tu vois, à ce genre de situation. T'octroyer un statut de groupe ‘indé’, par exemple, implique qu'on attend de toi des tas de choses dans ce domaine, donc on te pousse dans une certaine direction. Si tu n’y prends garde, tu peux te laisser entraîner et devenir, malgré toi, quelque chose qui ne te ressemble pas. Tu peux inconsciemment pousser le jeu trop loin. Nous, on a choisi de nous échapper de ce carcan en prenant la tangente. On a donc volontairement choisi de quitter la scène ‘indé’ pour rentrer dans le grand bain. Pas pour gagner de l'argent ou accumuler des disques d'or mais bien pour confronter notre travail à un large public et examiner ses réactions. Ce défi là nous plaisait, on l'a tenté. Maintenant qu'on sait ce qu'on voulait savoir, on est plus libres.

Take That et Metallica

Et plus sûrs de vous?

On n'a jamais douté de nous. Là n'était pas la question. De toute manière, on ne pouvait pas agir autrement, on n’a aucune envie de faire n'importe quoi, comme d'autres.

Qu'est-ce qui vous intéresse dans la musique?

Des tas de choses mec, mais c'est surtout un état d'esprit. Il se fait qu'on a choisi la musique pour s'exprimer mais, comme j'ai dit, je m'intéresse aussi à plein d'autres choses. J'utilise la musique comme un moyen d'expression, pour d'autres c'est la peinture ou l'écriture mais le processus est le même: c'est l'expression qui compte. Alors, tant qu'à s'exprimer, autant le faire bien et franchement en accord avec soi, c'est bien le moins.

Le business rock permet cette ouverture ?

Le tout est de ne pas se laisser dominer (NDR : ah, on y revient!) Il faut être attentifs et ne pas se laisser imposer des règles qui ne sont pas les bonnes. Nous voulons communiquer, nous recherchons les échanges mais nous gardons le contrôle.

Crois-tu donc que tout soit aussi rationnel?

Ce n’est pas ce que j’ai dit... Le rock, la musique, la création, le spectacle, ce sont surtout des affaires de pulsions. Sur scène, par exemple, nous libérons nos pulsions, mais celles-ci sont diverses. Le rock a toujours été très sexuel, c'est évident. Nous nous sentons très à l'aise par rapport à ce concept. Dans la salle, aujourd'hui (rappelons que The Cult a joué récemment à La Luna, à Bruxelles), il y aura des mecs mais aussi beaucoup de filles. On en connaît la raison. On sait aussi pourquoi un groupe comme Metallica n'attire que des mecs. Ces types ne doivent concevoir l'amour que sous la représentation de la pénétration. Chez Take That, par contre, le processus est inversé, ils n’attirent que les nanas. C’est intéressant ce genre de constatation, pas vrai? Nous sommes conscients de la situation que nous vivons et l’actuelle nous plaît beaucoup…

Article paru dans le n°30 du magazine Mofo de février 95

Page 23 sur 41