Le centre historique de la cité millénaire fondée au VIIème siècle par Vincent Madelgaire (Saint Vincent) est une nouvelle fois en effervescence.
Et pour cause, la Ville de Soignies accueille, en grande pompe, son festival familial et pluridisciplinaire, le bien nommé ‘Août en Eclats’, un festival particulier puisque les belles découvertes musicales côtoient spectacles, village des enfants, marché du monde, saveurs et animations de rue, autour des places Verte et Van Zeeland.
En termes de facilités économiques, on ne peut pas faire mieux ! Ici, les spectacles et concerts sont proposés gratuitement !
Côté musique, deux scènes se côtoient, la grande pour les artistes confirmés comme Mud Flow et Les Innocents chargés de présenter une rétrospective de leur carrière respective ; la plus petite pour celles et ceux, qui pourraient le devenir. Et à voir ceux qui vont s’y produire, il y a fort à parier que, méconnus, ils pourraient devenir rapidement de grandes stars, comme cette jeune et presque inconnue, Epona.
C’est justement par cette frêle artiste que la journée de votre serviteur débute. Alors qu’elle n’a que 24 printemps, elle possède déjà une belle carrière au théâtre, au cinéma et évidemment dans le domaine de musique.
Elle a enregistré un premier Ep 4 titres, intitulé « Help I’m Fine », en 2023. Une œuvre dont les thématiques tournent autour d’histoires personnelles. Si se mettre à nu demande du courage et une bonne dose d’introspection, s’agit-il peut être dans son chef d’une manière pudique de rendre hommage à toutes ses victimes, voire d’exorciser quelque chose de plus profond qui sommeille en elle… Dieu seul le sait !
Quoiqu’il en soit, c’est par « Computer » qu’elle entame son concert. Les accords de guitares de Dimitri Eggermont se marient parfaitement aux frappes de Merlin Vanitterbeek, expression sonore sur laquelle se pose la voix crépusculaire d’Epona Guillaume, son nom à l’état civil.
Après l’excellent « Witches », c’est encore par cette superbe reprise guitare/voix d’un titre de Kavinsky (« Nightcal ») que l’identité vocale de la gonzesse prend une dimension toute particulière, entre candeur et douceur. Une chanson popularisée par Angèle également, lors de la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques de Paris, en 2024, en compagnie du groupe Phoenix.
Mais ne vous fiez pas aux apparences, la post-adolescente sait aussi se montrer sauvage et déterminée, à l’instar de ces « Wrong » et « Louise », à l’intensité bestiale.
Alors que jusqu’ici son terrain de jeu était l’anglais, elle surprend avec un titre interprété dans la langue de Voltaire, « Peine pour toi », issu d’un single tout frais ; une chanson dans laquelle elle narre l’histoire d’un type qui a voulu la salir en lui dérobant des photos personnelles, que l’on devine intimes. Un texte où elle dévoile une facette plus vulnérable de son répertoire, en général, plus engagé.
Et une nouvelle reprise plus tard, le combo adapte une compo des Strokes, un groupe de rock américain, originaire de New York, drivé par Julian Casablancas, dans une version iconoclaste de « Ode to the mets », une comptine dans laquelle la jazzcaster du préposé aux cordes émet un son d’une finesse inouïe. La classe !
Epona est issue d’une famille nombreuse puisque la fratrie compte 10 enfants, dont 7 filles, nés de deux pères différents. L’une de ses demi-sœurs est relativement connue dans le milieu, puisqu’elle est impliquée au sein du binôme Colt, auparavant Colline et Toitoine, et avec lequel une collaboration pourrait voir le jour prochainement. Et au vu des univers foudroyants des frangines, on ne peut s’attendre qu’à de belles surprises.
La maman d’Epona se tient à une encablure de la scène. Pour lui rendre hommage, Epona se livre magistralement dans un « Mom » qui touche au plus profond celle qui n’est autre que la principale concernée, accompagnée par d’autres enfants. Les regards qui s’échangent en disent long sur la complicité qui règne au cœur de cette famille.
Le féminisme et les thématiques liées à l'égalité femmes-hommes appartiennent, depuis longtemps, à l’identité de l’artiste. Elle le prouve encore ici à travers un « Voice », plus significatif jamais. Une guerre idéologique, certes, mais a-t-elle aujourd’hui toujours une raison d’exister, en Europe occidentale ?
Il y a des combats qui ne peuvent être menés que par la parole. C’est le cas de cet étrange « Naked man (in the forest) », l’histoire véridique d’une rencontre fortuite et malheureuse de l’une de ses sœurs avec un exhibitionnistes, alors qu’elle se soulageait en forêt. Si de prime abord, le sujet pourrait prêter à sourire, la demoiselle est parvenue à le transformer en une chanson satirique d’une intensité rare. Un délice pour les oreilles, moins pour l’imaginaire collectif.
Le concert touche doucement à sa fin. Après une heure d’un set qui aura dévoilé bien des facettes d’une personnalité protéiforme, Miss Guilaume a tout d’une grande artiste : une voix, un univers musical percutant et des thématiques qui interrogent à l’instar du rock très coloré « Siner, you », qui traite des agressions sexuelles.
Et si Epona était une ambassadrice qui dénonce tout ce qui n’est plus possible d’accepter ?
La grande scène se situe à quelques pas. C’est Orlane qui s’y colle ! Deux jeunes gens sont postés côte à côte. Ils ont la lourde tâche d’alimenter des sons à l’aide de leurs synthés. Un des proposés aux ivoires se charge aussi de la gratte électrique.
Elle est venue proposer des compos issues d’un premier album intitulé « Aller-Retour ». L’amour et la solitude seront au cœur des débats, à l’instar de « Mal d’amour », une chanson pop dans laquelle elle aime se mettre à nu, armée de son saxophone, un instrument dont elle se sert merveilleusement bien. Musicienne chevronnée, la belle manie la gratte également.
La jeune Belge impose son style et ses couleurs comme sur ce très caustique « 23/09 ». Ce morceau ravit la ‘fan base’ qui a découvert Orlane sur les planches de l’émission ‘The Voice’, il y a déjà quelques années.
Malheureusement, votre serviteur doit écouter le set, car une interview d’Epona est prévue au sein de l’hémicycle du Centre culturel.
Dommage, car l’univers coloré d’Orlane Willems, influencé par sa synesthésie, une condition qui lui permet d’associer des couleurs à des lettres et des notes de musique, avait tout pour plaire.
A son retour dans la fosse, les portugaises de votre serviteur sont irrésistiblement attirées par le son que libère le concert de Yolande Bashing.
N’y voyez aucune connotation féminine, car Yolande Bashing est un personnage de fiction, un patronyme derrière lequel se cache une grande soif de liberté. Un personnage à deux têtes aussi ; celle de Baptiste Legros et Aurélien Gainetdinoff.
Aurélien se poste derrière des machines électroniques. Il a un look déluré : training bleu, coupe mulet, et grandes lunettes rouges. Baptiste, quant à lui, marcel blanc sur le dos, qui lui procure un côté vieille France, se charge du micro. Comédien à ses heures perdues, il avait milité au sein de la formation électro-punk Les Dents avant de se lancer définitivement en solo, gravant un tout premier elpee baptisé « Yolande et l’amour », qui a rencontré un joli succès.
Au milieu de l’estrade, trône un vieux téléphone beige, dont le cadran est composé d'un disque rotatif autour duquel sont portés les chiffres de 0 à 9. Un objet qui interpelle les plus jeunes à l’heure des téléphones portables. Quant aux plus nostalgiques, il se remémoreront les canulars d’antan.
S’il fallait cerner l’univers de cette formation singulière, on indiquerait que ce n’est pas tellement la chanson qui caractérise Yolande Bashing, mais bien la dérision, voir l’autodérision, le duo n’hésitant pas à dépeindre le quotidien tantôt façon Docteur Yolande, tant façon Mister Bashing, c’est selon. En tous cas, l’univers dans lequel ce concept fantasque baigne est un savant mélange de Flavien Berger, Sttellla et Odezenne, l’exercice consistant à lancer, rattraper et relancer de manière continue et méticuleusement les mots et leur sens.
Legros et Gainetdinoff connaissant parfaitement la recette d’une journée réussie. C’est donc à coup de beats lancinants et de synthés épileptiques, agrémentés d’un phrasé désabusé, que le chanteur éveille un mouvement festif presque incontrôlable.
Les thématiques s’enchaînent et ne se ressemblent pas. On passe du marteau à l’enclume en une fraction de seconde, du « Le chat » à « Claude », l’esprit dialectique des lascars s’imprégnant dans chacune des compos.
Tout au long d’un set savamment construit autour de titres les plus improbables, Y. B. réinvente magnifiquement la chanson pop et francophone entre techno, poésie, mélancolie, synthés désaccordés et ‘spoken word’ tremblant (‘Tu te répètes’).
Caractérisé par son spectaculaire crescendo, « Solitude » constitue un paradoxe des temps modernes. Quant à « Les Vivants » et son refrain entêtant, il suggère que les quelques centaines de festivaliers présents vont éprouver toutes les difficultés du monde à s’émerveiller dans une réalité plus sombre que celle dans laquelle le duo les a entraînés durant une heure.
La fiesta est terminée, malgré les demandes de rappels…
Mud Flow embraie. Il s’agit d’un collectif belge de rock alternatif, originaire de Bruxelles, et formé autour du chanteur-guitariste Vincent Liben.
Mud Flow appartient à de cette vague de groupes belges de pop/rock qui a connu un certain succès à l’aube des années 2000, comme Girls in Hawaii, Ghinzu ou encore Hollywood Porn Stars, qui revient à la surface.
Après cinq albums et plus de dix ans d'existence, le combo s'était séparé officiellement en 2010. Mais, nonobstant la carrière solo de Vincent, une envie de reprendre la route des tournées s’est progressivement manifestée. Alors, il s’est offert le luxe d’ouvrir la parenthèse pour le plaisir de tous. Une ultime fois ?
La formation réputée pour ses riffs de guitare dynamiques et sa rythmique palpitante a décidé de rejouer sur scène et dans son intégralité, l’album « A Life on Standby », une œuvre remarquable qui plonge l’auditeur dans l’univers sonore particulier du band, tout en y incorporant quelques pépites des long playings « Ryunosuke » (« Planes »), « Re-Act » (« Panic »), ou encore « Amateur ».
Caractérisé par ses envolées aériennes, « The sense of me » rappelle combien la richesse mélodique constitue la source de cette formation décidément bien en forme, porté par un Liben qui n’a pas perdu de son aura, ni sa superbe voix rauque et ténébreuse, malgré le poids des années.
Un concert d’une intensité rare où le public a pu (re)découvrir une salve de compos, tantôt ouatées à l’instar du chaud et envoûtant « Unfinished Relief », tantôt percutants comme ce « New Eve », des morceaux qui ont, au moins, gagné l’attention de tout un auditoire et sans aucun doute ravivé un sentiment de nostalgie chez les admirateurs de longue date. D’ailleurs, la foule reprend en chœur le refrain de « Today », titre qui n’a pas pris une ride.
Et « Tribal Dance », porté par une énergie brute et un son authentique parfaitement reconnaissable, mérite la mention ‘Plus que parfait’.
Durant une heure, Mud Flow s’est offert un concert d’une dimension incroyable. Et pourtant, les musiciens n’ont pas perdu leur âme d’enfant, s’amusant tout en se produisant sur les planches.
Alors que Jean-Pol Groove s’excite sur la petite scène, votre serviteur décide de rester sur place, afin de conserver le meilleur angle possible pour assister à la prestation des Innocents, un groupe qu’il a découvert pour la première fois, en 1989, au festival de Dour.
Depuis, le line-up a bien évolué. En 2000, peu après la sortie du quatrième opus, Sieur Urbain décide de voler de ses propres ailes. La formation implose et l’aventure se termine aussi brutalement qu’elle a commencé…
Entre-temps, JP s’accorde une parenthèse et entame une carrière solo. La critique salue sa première œuvre, mais la défection d’une partie du public lui laissera un goût amer… Le come-back du tandem n’était donc pas tout à fait… innocent.
Il faudra attendre une quinzaine d’années pour que les chevilles ouvrières se croisent à nouveau, au détour de l’enregistrement d’une compilation confectionnée sous la forme d’un ‘best of’ et se réunissent sous un line up minimaliste. Il devient alors duo réunissant simplement Urbain et Nataf.
En analysant l’auditoire, la pyramide des âges est bien représentée. On y croise aussi bien une bobonne aux cheveux gris que de jeunes enfants d’à peine sept ou huit ans. Sans oublier les fans quinquas à la chevelure plus rare que des spectateurs lambda venus pour entendre des tubes. Et puis d’autres encore qui se sont égarés sur le site…
Les groupies piaffent d’impatience. Faut dire que Les Innocents ont vécu de glorieuses années, entre 1989 et 1999. Un succès couronné de singles platinés, passages radios, tournées à guichets fermés et récompenses aux Victoires de la musique. Les ‘Innos’ ont marqué cette décennie par des standards pop comme « L'autre Finistère », « Fous à lier » ou encore « Colore ».
Les ‘deux frères ennemis’ se sont entourés d’une formule groupe pour l’occasion. Ça risque donc de déménager grave !
Il est 22h30 lorsque JP, vêtu sobrement, sourire aux lèvres, salue le parterre, et sixcordes en bandoulière entame son tour de chant par « Des jours adverses », une compo qui figurait sur l’elpee ‘Post-parfum », en 1995.
Nataf, cernes marqués par des nuits blanches supposées et barbe noire mal entretenue, manifeste déjà une belle connivence musicale avec un Urbain, plus en retrait.
Sans frime ni préméditation, les gaillards s’amusent comme des gamins ! Des regards complices s’entrecroisent. Si ces deux-là n’étaient pas de vrais amis dans le passé, la connexion qui les lie aujourd’hui fait plaisir à voir…
Le duo est influencé par la pop anglo-saxonne. Mais, le fil conducteur de leurs compos reste le français qu’ils utilisent astucieusement pour ciseler des textes qui dépeignent un univers métaphorique, à l’instar de ce « Fous à lier », un hymne que le temps n’est pas parvenu à démoder.
Les chansons s’enchaînent à une cadence folle. Malgré les arrangements subtils, le band laisse pas mal de place à l’improvisation. En quelque sorte, c’est frais, millimétré et exercé avec beaucoup de souplesse. Un travail d’orfèvre ! Les pédales d’effets sont utilisées à bon escient. Le feedback aussi ! L’exercice est suffisamment intéressant pour permettre la découverte ou la redécouverte de morceaux incontournables comme « Quand la nuit », Lune de lait » ou « Apache », même si un parfum de nostalgie flotte dans l’air, tout au long du concert. Il est cependant fortement hanté par l’esprit du leader !
JP est de très bonne humeur ! Le show est ponctué d’anecdotes ! Et à la stupéfaction de tous, JP s’accorde même un pas de danse de Sioux pour le moins contorsionniste ! Un condensé de twist et de polka ! Delirium ? Il est encore plus drôle, lorsque par moment, sa jambe droite croise la gauche. Une position d'unijambiste qui faciliterait son envol en cas d'agression surprise comme le font les flamants rose ? En tout cas, sympa, mais risqué pour le service trois pièces ; fallait voir l’étroitesse du falzar ! Le genre masculin compatira…
Afin de briser la fine couche de glace qui persiste, les blagues émaillent le show. Qu’elles soient rigolotes ou ringardes (façon Carambar), le gars est complètement décomplexé et se fiche totalement de ce que les gens pensent !
Il a bien raison ! Après tout, on est là pour se vider la tête et passer un moment agréable !
« Colore », mais surtout « Finistère » bénéficient de de mélodies simples, mais efficaces, avec en toile de fond des textes bien torchés.
Il est déjà temps de se dire au revoir ! Des cris hystériques s’élèvent ! Le rappel est annoncé ! « Jodie » et « Un homme extraordinaire » s’uniront pour le meilleur et pour le pire, coupables d’un amour périlleux…
Durant une heure vingt Les Innocents ont livré un set haut en couleurs, grâce à « Un homme extraordinaire » : Jean-Philippe ‘Jipé’ Nataf. Et Jean-Christophe Urbain, un homme extraordinaire lui aussi.
« Un homme extraordinaire », une expression qui souligne à merveille le talent et la singularité de chacun des artistes qui se sont produits ce soir ainsi que chacun des bénévoles qui ont œuvré dans l’ombre afin de faire de cette édition, une belle journée qui restera gravée dans les cœurs et les mémoires.
(Organisation : Août en Eclats)