Au début des années 70, le label Chess avait immortalisé une série d'enregistrements de ses artistes les plus prestigieux. A Londres. Pour y mêler le son original et authentique du blues à celui de la nouvelle génération. Celle qui avait tant fait pour le populariser, en ramenant à l'échelle universelle la connaissance de ses créateurs d'outre-Atlantique. Après le "BB King in London", paru chez Probe en 1971, Chess empruntait même chemin avec Chuck Berry, Bo Diddley, Muddy Waters et Howlin' Wolf. Epaulé par Eric Clapton, Steve Winwood, Bill Wyman, Charlie Watts, Ian Stewart et de son fidèle guitariste Hubert Sumlin, le vieux Chester Burnett concoctait donc cet album. Un elpee découpé en treize fragments et habillé d’une très belle pochette. En 2002, Chess a décidé de ressortir ces ‘London Sessions’ sous la forme d'un double CD. Richement illustré, ce box réunit ici 28 titres, au lieu des treize initiaux.
Le premier disque épingle l’intégralité de l’elpee original et trois bonus tracks issus des mêmes sessions d’enregistrement. Trois fragments qui figuraient sur "London revisited", édité en 76. Le second collige douze prises alternatives issues des sessions originales qui s’étaient déroulées entre le 2 et le 7 mai 1970. Mieux connu pour avoir réalisé le double "Fathers and sons" de Muddy Waters, en compagnie de Paul Butterfield et de Mike Bloomfield, Norman Dayron signe ici la production. A l’instar du long playing originel, la première plaque s’ouvre par "Rockin' daddy". Personnellement, ma plage préférée demeure "I ain't superstitious". Pas parce que la section rythmique est composée de Klaus Voorman et de Ringo Starr, mais à cause de la participation du groupe américain 43rd Street Snipers. Réputée pour ses cuivres, bien sûr, mais surtout pour le talent de l'harmoniciste Jeffrey Carp qui participait à toutes les sessions. Soutenu par un bon Clapton aux cordes, cet excellent instrumentiste tire son épingle du jeu sur "Sittin' on top of the world". Carp devait malheureusement décéder peu après, en se noyant dans la mer des Caraïbes. Accompagné par Lafayette Leake au piano, Wolf souffle sur "Worried about my baby". La voix particulière du Wolf est omniprésente. Face aux cuivres, elle se fait tranchante sur "Built for Comfort". Arc-bouté sur la section rythmique des Rolling Stones et l'orgue de Steve Winwood, "Who's been talking?" est peuplé de rythmes syncopés. L’interprétation y est excellente. Mais l’émotion atteint son paroxysme sur "The Red Rooster". Les musiciens anglais qui venaient de persuader Wolf de prendre son bottleneck, provoquent un faux départ. L'attaque abrupte opérée sur "Do the do" rend cette plage très contemporaine. Le "Highway 49" de Joe Williams est interprété de manière classique, moins primaire que la version de Hound Dog Taylor. Parmi les bonus tracks, "Goin' down slow" et "I want to have a word with you" ont été réalisés le premier jour des sessions. Ringo Starr est aux drums, mais il ne s’y montre guère brillant. Par contre, "Killing floor" est beaucoup plus saignant. Faut dire que Charlie Watts et Bill Wyman y sont très efficaces.
La deuxième plaque débute par une prise tout à fait intéressante et dépouillée de "Worried about my baby". Wolf est au chant et à l’harmonica. Clapton et Wyman l’accompagnent. Plusieurs plages ont été remixées, histoire de leur conférer un son plus actuel. C’est incontestable sur "What a woman", une plage bien plus longue que l'originale. Elle libère pas mal de groove et épingle un joli travail sur l'harmonica. "Who's been talking" est ici profilé sur un monologue de Wolf qui précise ce qu'il attend des divers intervenants, notamment dans la reproduction du rythme de la rumba. Un morceau fort intéressant. Clapton se réserve un solo sur la prise suivante. Il y est excellent, comme sur un autre titre très proche : le "All your love" d'Otis Rush. Pour restituer un son contemporain à "Worried about my baby", un travail minutieux a été opéré sur la nouvelle prise. Une réussite ! Surtout dans le chef de l'harmonica qui met en évidence le talent de Karp, alors qu’il passait inaperçu sur l’opus original. Faut dire qu’à l’époque, l’accent n’avait certainement pas été mis sur les évasions instrumentales. Et c’est encore le cas pour les nouvelles prises de "I ain't superstitious", "Highway 49" et de "Do the do", au cours desquelles le jeu de Clapton est très distinct. Les quatre dernières plages sont des versions alternatives des sessions originales, mais non remixées. Epaulée par une forte section de cuivres, "I ain't superstitious" constitue une excellente surprise. Il s’agit probablement de la meilleure version réalisée à ce jour. Répétitif, "What a woman" a subi un remodelage. Sous cette forme, il fait même penser à des productions bien actuelles. Chess a manifestement soigné cette édition dite Deluxe. Elle allie à la fois qualité et originalité, notamment à cause du second morceau de plastique, dont les fragments affichent une différence marquante.