Steve Wynn fait ce qu’il faut…

Le dernier elpee de Steve Wynn, "Northern aggression" remontait à 2010. Son prochain, "Make It Right", paraîtra ce 30 août 2024 et coïncidera avec son nouveau livre de souvenirs ‘I Wouldn't Say It If It Wasn't True’ (Jawbone Press). Lors des sessions, il a…

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Une piqûre de rappel pour Pond…

Le nouvel elpee de Pond, « Stung ! » paraîtra ce 21 juin 2024. A ce sujet, Nick Allbrook a déclaré : ‘J'ai écrit la plus grande partie de cet album en tondant la pelouse de quelqu'un. Je suis rentré chez moi, j'ai posé mes doigts sur le piano et j'ai joué la…

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Isobel Campbell

J’ai encore parfois du mal à croire que Mark Lanegan ne soit plus de ce monde…

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Ex-chanteuse de Belle and Sebastian, Isobel Campbell poursuit une carrière en solitaire et a sorti un nouvel opus. Intitulé "Bow To Love", elle y exprime des considérations autant intimes qu'universelles sur la domination masculine. Notamment !

La native de Glasgow, plus connue pour sa voix éthérée que ses talents indéniables de violoncelliste (NDR : son instrument de référence), revient quatre ans après avoir gravé "There Is No Another", paru en pleine pandémie, qui faisait suite à une décennie de silence forcé consécutif à des litiges avec son ancien label. 

Ce "Bow To Love" se révèle toujours aussi intimiste, aérien, porté par sa voix d'ange, laquelle adopte cependant une attitude de révolte face à la domination du patriarcat, les agressions sexuelles ou la phallocratie toujours bien vivante.

L’Ecossaise s'insurge d'une voix suave, sans éclats, mais pas sans éclat, s'en explique et évoque également la disparition de Mark Lanegan, en compagnie duquel elle a publié trois magnifiques long playings au cours de ce millénaire.

Touchée par la grâce et la spontanéité, Isobel Campbell l'est aussi par l'humour...

Pourquoi ne pas avoir intitulé “Everything Falls apart”, le morceau d’ouverture, "Son of a Bitch", insulte que vous proférez sans arrêt ?

Dans mon esprit, il s'est toujours appelé "Everything Falls Apart". Cette phrase s'est imposée, sans que je sache pourquoi. Un peu comme si tout s'effondrait dans mon cerveau également... (elle rit).

J'ai trouvé cette situation plutôt drôle… et qu’elle correspondait à ma vision des choses…

Cette invective n’est donc destinée à personne ?

En fait, si... mais elle pourrait s'adresser à beaucoup d'hommes et à quelques-uns en particulier (elle rit). Mais, rétrospectivement, et plus sérieusement, je me suis rendu compte à quel point dans la langue anglaise, conçue par le patriarcat, il existait énormément de mots et d'expressions afin d'exprimer des propos désobligeants à l'égard des femmes. Si vous cherchez l'équivalent en insultes concernant les hommes, une telle ‘diversité’ n'existe pas. J’estimais cette disproportion injuste, d'où cette répétition... (elle sourit)

Vous évoquiez le patriarcat. Cet elpee se veut-il féministe ?

Il y a de cela ; même si la société progresse, parfois il m'arrive encore de me retrouver face à un véritable dinosaure misogyne (rires). Je suis quelqu’un de très patiente, mais parfois je pète un câble et je me dis : ‘Waouh, on en est encore là !’ Mais pour le moment, grâce au mouvement #MeToo, la situation est très polarisante. C'est un véritable champ de mines ! Entamer une conversation à ce sujet au travers d'une chanson, me semble une bonne façon de procéder pour aborder le sujet...

Vous évoquez la perversité narcissique dans "Spider To The Fly". Correspond-t-elle également à certains types d'hommes ?

Je ne m'en suis rendu compte qu'après l'avoir enregistrée et écoutée ; mais j'ai fait l'expérience de ce genre de personnes dans ma vie.

Ma musique se veut personnelle. Il serait donc étonnant que ce qui constitue ma passion, mon travail et mon domaine de créativité, ne se révèle pas intime.

En fait, c'est comme si j'avais fait un doctorat sur le narcissisme (elle rit) ! Mais tout est un traumatisme... même si ce mot est parfois un peu galvaudé. Cependant, à ce stade, je pourrais en effet probablement donner une conférence sur le sujet (rires).

D'ailleurs, je connais pas mal de choses dans le domaine de la psychiatrie comme le DSM 5 (NDR : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques de l'Association américaine de psychiatrie).

Désormais, j'essaie de faire preuve de sagesse en étant consciente de ce qui arrive… J'aime à penser que je suis née existentialiste (elle rit).

Quelle est l'importance du violoncelle dans vos compositions au moment de l'écriture ?

Parce que je suis violoncelliste, certaines lignes mélodiques peuvent fonctionner ou attirer mon attention. Lorsque j'écrivais pour Mark Lanegan, je l’adaptais pour un baryton, en tenant compte de la fréquence de sa voix et celle de mon violoncelle. Car lorsque je joue d'un instrument à cordes, il existe certains types d'arrangements et de lignes auxquels je me réfère. Mais je suis avant tout une auteure-compositrice qui compose d'ailleurs aussi au piano. L'influence du violoncelle se limite à environ 20% au sein de ce processus.

Avez-vous pensé à Mark Lanegan, disparu l'an dernier, lorsque vous avez enregistré et composé ces chansons pour cet opus ?

J'étais occupée d'écrire “You”, le jour où Mark est disparu. Une journée très étrange. J'avais passé toute la journée à bosser sur cette compo et à écouter “Anthem” de Leonard Cohen. Les paroles racontent : ‘There is a crack in everything’ (Trad : Il y a une fissure dans tout...)

J'ai appris qu'il était décédé vers 19 h 30 ce soir-là, alors que j'avais passé ce morceau toute la journée. J’avais la chair de poule. Il était probablement à l’article de la mort au moment où je l'écoutais.

Certains jours, j'ai encore du mal à croire qu'il ne soit plus de ce monde. C'est comme si c'était un chapitre de ma vie s'était clos ce soir-là. Mais, de temps en temps, je reçois de petits signes de sa part, et je souris…

Isobel Campbell : Bow to Love (V2) 14/06/2024

 

Nile Rodgers

La musique est ma vie, ce que je respire, mon oxygène…

Écrit par

Légende vivante du disco, qu'il a grandement contribué à populariser, Nile Rodgers est un auteur, compositeur, arrangeur, producteur et guitariste, qui a fondé le groupe Chic en compagnie du regretté bassiste Bernard Edwards. Cet ancien Black Panther –il a notamment bossé avec David Bowie, Madonna ou Diana Ross– continue à inspirer et à collaborer auprès des jeunes générations, et notamment Daft Punk, Sam Smith et Lady Gaga. A 72 ans, et malgré deux cancers, l'inventeur du ‘Freak’ continue à se produire ‘live’ et prend toujours du ‘good time’...  Let's dance !

Bernard Edwards et vous formiez le cœur de Chic. Depuis sa disparition en 1996, ressentez-vous sa présence lorsque vous vous produisez en concert ?

Parfois... selon les chansons et l'ambiance.

Mes sentiments pour Bernard me suivent constamment, même sans musique. Je pense souvent à tout ce que nous avons vécu ; à nos hauts comme à nos bas, et à notre première rencontre... 

Mais, ayant survécu à deux cancers, désormais, lorsque je monte sur les planches et regarde la foule, la première chose que je vois, ce sont des milliers de personnes qui m'ont aidé à m'en sortir. Je les considère comme des amis, des proches qui tiennent à moi et m'ont soutenu durant la maladie. C'est une sensation bouleversante....

Vos deux cancers ont-ils déclenché chez vous une sorte d'urgence de création ?

Non, la musique est ma vie, ce que je respire, mon oxygène. Et de temps à autre, j'ai envie de la capturer et de la transformer en composition que d'autres puissent entendre. La plupart du temps, je compose juste pour moi. Je m'assois, je joue avec la musique... je m'amuse tellement et me sens en paix. Je ressens toutes sortes d'émotions. Et parfois, je me dis : ‘Tiens, je suis occupé d'écrire une chanson que d'autres pourraient écouter’.

Croyez-vous à l'effet curatif de la musique ?

Oh mon Dieu, oui ! S'il n'y avait pas eu de musique dans mon existence, honnêtement, je ne crois pas que j'aurais surmonté mes deux cancers. La première fois, j'ai eu peur. Je n'arrêtais pas de pleurer. 

Bon, je ne souhaite pas avoir l'air d'une sorte de super héros ; mais, la deuxième fois, j'ai eu l'impression d'avoir un rhume. Je ne me suis même pas inquiété (il rit) !

Est-il vrai que le patronyme Chic se réfère à Roxy Music et Brian Ferry ?

Oui, c'est une trouvaille de Bernard Edwards. Mais je n'avais jamais vu un groupe s'habiller de manière aussi classieuse sur scène !

Je suis issu d'un milieu hippie ; au départ, tout ce que nous portions le matin correspondait à ce que nous allions arborer en ‘live’, le soir même (rires).

Lorsque j'ai assisté au concert de Roxy Music, à Londres, qui était le groupe préféré de ma copine de l'époque, j'ai d'abord vu un public magnifiquement fringué, puis surgir ces musiciens tirés à quatre épingles. De plus, Brian Eno imposait un son immersif. J’ai ainsi assisté à ce que je considère comme une expérience musicale totalement artistique et en effet immersive. 

J'ai tout de suite appelé Bernard et lui ai confié : ‘Mec, il faut que nous incarnions la version noire de Roxy Music et se montrer dans des vêtements créés par de grands couturiers’.

Il faut se rendre compte qu'au cours de cette période, tout le monde s'habillait comme les Jackson Five et exécutait la même chorégraphie. Au sein de Roxy Music, chaque membre avait sa propre personnalité, même si c'était un groupe.

À l'époque, nous nous appelions Big Apple Band. Mais un type de mon école avait sorti une chanson intitulée « A Fifth of Beethoven » qui figure dans la b.o. de "Saturday Night Fever" ; il avait choisi pour nom de scène, Walter Murphy and The Big Apple Band. Le public confondait...

Bernard a alors proposé d’opter pour Chic, puisque nous étions vêtus de vêtements chics. Le batteur, Tony Thompson et moi, avons estimé cette idée, au départ, drôle et saugrenue, et puis finalement...plutôt cool !

La légende voudrait que l'enregistrement de l'album "Let's Dance" de David Bowie ne se soit pas bien déroulé…

Ah bon ? "Let's Dance" est l'album le plus facile que je n'ai jamais produit de ma vie. J'ai mis en boîte toutes les démos de "Let's Dance" en deux jours, en Suisse. Lorsque je suis revenu en Amérique, j'ai enregistré le long playing en 17 jours, et tout en une seule prise. Une pour les solos de guitare de Stevie Ray Vaughan, une pour la voix de David... tout en une seule fois !

Quel est le lien entre le disco et le mouvement des Black Panthers auquel vous adhériez ?

La première fois que je suis entré dans ce club disco éphémère situé au croisement de Soho, China Town et East Village, où vivait la grande communauté gay new-yorkaise, j'y ai croisé toutes sortes de personnes : homos, hétéros black, portoricains, blancs...

Je n'arrêtais pas de penser à nous, les Black Panthers qui défendions l'unité. Tout le monde oublie que notre slogan était ‘Black power to Black People, Brown Power to Brown People, White Power to White People’. ‘Tout le pouvoir au peuple’, c'était notre devise.

Alors, quand je suis entré dans ce club et que j'ai vu toutes ces personnes différentes danser à n’importer quelle heure sur le "Love to Love You" de Donna Summer, "San Francisco" de Village People, et "Girl, You Need A Change of Mind" d’Eddie Kendricks, j’ai vraiment été frappé. Donna Summer et sa chanson étaient sexy ! Village People incarnait la communauté gay hardcore ! Eddy Kendricks chantait ‘All men don't discriminate this man emancipates. Now I am for women's rights, I just want equal nights. Girl you need a change of mind’

Tout ce que les Panthers et moi défendions figurait dans ces trois morceaux que le DJ mixait sans pause. J’en ai conclu : ‘C'est le monde auquel je souhaite appartenir. Je veux faire partie de cet univers connecté dans lequel nous opérons ensemble, même si nos philosophies diffèrent. Il y a cette sorte d'amour qui nous unit.’ Aucun autre genre musical ne ressemblait à ce concept...

Grâce au le disco, on pouvait être gros, moche, noir, portoricain ou gay... peu importe !

Nile Rodgers et Chic se produiront le 15 juillet dans le cadre du Gent Jazz www.gentjazz.com

Palace

La découverte de soi à travers la musique…

Écrit par

Survolé par la voix angélique de Leo Wyndham, Palace, trio de blues-rock londonien, signe « Ultrasound », un opus éthéré et habité de musique des limbes, celles où erre l'enfant que portait la compagne de Léo, victime d'une fausse couche. Cet accident a chamboulé la vie de couple. D’autant plus que doté d'une sensibilité à fleur de peau, il avait déjà été marqué par les drames personnels, dont la séparation de ses parents et la mort d'un proche. Ce long playing à la beauté émouvante voire poignante, au spleen mélancolique, à la splendide ambivalence entre perte et espoir, se veut avant tout un hommage au courage de sa compagne et à la puissance des femmes en général.

En compagnie de Rupert Turner, guitariste du groupe, il évoque ce quatrième elpee et sa... conception.

Vous avez ‘accouché’ de quatre elpees en huit ans. C'est peu ou c'est beaucoup ?

(rires)

Rupert : Ce n'est pas excessif. Nous avions besoin de temps afin de vivre des expériences et ensuite pouvoir les traduire en chansons.

Mais pourquoi dès lors avoir publié deux Eps l'an dernier, plutôt qu'un album entier ?

Leo : Il est préférable que les idées très soient claires quand on souhaite enregistrer un album, à la fois unique et original. Les Eps sont destinés à combler les intermèdes et permettre à la musique d'éclore entre-temps. De plus, c'est amusant à réaliser.

Pour vous, Leo, la formation représente-t-elle une famille, et notamment à la suite des épisodes douloureux que vous avez personnellement traversés ?

Leo : Certes, mais tout le monde en connaît dans sa vie. Pour nous tous, Palace est comme une famille élargie, un endroit où nous pouvons nous sentir en sécurité et partager ce que nous ressentons.

Avez-vous été touché par la réaction des autres membres à ce qui vous est arrivé ?

Léo : Absolument. Lorsqu'on passe dix ans dans un groupe, chacun de ses membres, un jour ou l’autre, est confronté à ce type d'événement. Chaque fois qu'un drame est survenu dans mon existence, le soutien reçu de la part de mes deux comparses a été remarquable, et plus qu'essentiel. La compréhension est immédiate, notre amitié très forte et le soutien profondément enraciné. Ce qui en dit long sur notre entente…

Quel est l'origine et le sens du morceau « Cocoon » ?

Rupert : Une idée émanant de « Love Is The Precious Thing », la chanson qui la précède sur l'album. Cet instrumental s'est développé à partir de ce titre dont nous avons en quelque sorte utilisé des éléments pour ensuite les inverser, les manipuler, les démembrer afin que la trame s'effondre dans une sorte de désordre intense.
Leo : Oui, c'est un beau bordel (il rit) ! L'album traite, en profondeur, des idées de la création, de la vie et de la mort ; le son de ce magnifique morceau permet d'imaginer ce qu’on éprouve quand on est dans le ventre de sa mère : un cocon sécurisant, enveloppant, fait d'énergie et de chaleur. Le titre s'imposait de lui-même. Nous l'avons placé au milieu de l'album pour obtenir cet effet de pause, de calme... sans voix ; une sorte de sanctuaire au milieu du disque.

Sur « Goodnight Farewell », dernier titre de l'elpee, on a l'impression d'entendre un cœur battre.

Leo : Exactement ! La grosse caisse constitue le cœur qui bat tout au long de la plage. Il y a, en quelque sorte, l'idée de donner vie dans cette chanson. Ce qui semblait la meilleure façon de terminer l'album…

Ce disque rendrait-il un hommage à la femme et à l'amour ?

Leo : Oui, à bien des égards, et à ma partenaire en particulier. J'ai été témoin de son incroyable force et de sa résilience. Je n'aurai pu faire preuve d'une telle force. Nous souhaitions célébrer la puissance des femmes.

Vous avez accordé un premier concert, il y a un mois. Était-ce compliqué d'interpréter des chansons aussi intimes en public ?

Léo : Elles peuvent l'être lorsque les évènements sont récents, dans votre esprit et votre chair. Lorsque je les ai interprétées pour la première fois, en direct, je l'ai ressenti de manière très intense et émouvante. Je revivais les événements, mais, par ailleurs, chanter ses chansons devant une foule, m'a obligé à lâcher prise. C'est un processus très cathartique qui participe à ma convalescence.

« Say The Words » exprime le sentiment d'inutilité d'un homme dans ces circonstances…

Leo : Un sentiment de désespoir et une perte de soi. Mais il témoigne également que je suis devenu conscient de la pression exercée sur les femmes pour qu'elles aient des enfants, de faire passer au second plan leur indépendance et leur carrière, pour rendre un homme heureux, notamment.
Par ailleurs, lors d'une fausse couche, nous pouvons ressentir en tant qu'homme un sentiment de perte et de désespoir ; il est très perturbant, et troublant de ne pas savoir où se situer et quel rôle tenir au cours de ce drame.

Cet opus incarnerait-il, dès lors, l'enfant que vous n'avez pas eu ?

Leo : Je ne crois pas. L'album est plutôt un moyen, comme la musique l'est souvent pour beaucoup, de découvrir et de comprendre une situation incroyablement difficile, de créer des liens, un moyen de trouver une sorte de carte intérieure pour donner du sens à un événement traumatisant. La musique est une manière de se connecter à soi-même et à ses expériences, de s'adapter au monde qui vous entoure et de donner un sens aux événements, à un traumatisme, à la perte, à l'amour et à toutes ces choses. C'est une découverte de soi.

Palace : « Ultrasound » (Virgin) sortie le 5 avril 2024

En concert à l'AB le 30 octobre prochain

Eosine

Un plus un est égal à trois…

Écrit par

Eosine constitue sans doute l’une des révélations belges musicales de cette décennie.

Drivé par la frêle et énergique Elena Lacroix, le combo a décroché, haut la main, une victoire au Concours Circuit, en décembre 2022, devant un parterre de 120 professionnels ; ce qui démontre son potentiel

Comptant deux Eps à son actif, « Obsidian » (2021) et « Carolline » (2023) (ce dernier a été mixé et masterisé par Mark Gardener – un des deux chanteurs/guitaristes du légendaire Ride), Eosine s’apprête à en sortir un troisième, précurseur d’un premier elpee.

Elena, petit bout de femme, la tête bien sur les épaules, accompagnée de ses fidèles acolytes Dima Fontaine (guitare, chant) et Benjamin Fransen (batterie), se livre sans détour aux lecteurs de Musiczine sur sa nouvelle vie, désormais starisée, ses rêves et ses envies.

Décryptage !

Vous comptez deux Eps à votre actif. Un troisième est une préparation et devrait paraître en septembre de cette année. Elena, tu es aujourd’hui sous les feux des projecteurs, alors qu’au départ, tu composais seule dans ta chambre. Si le succès est soudain, est-il inattendu pour autant ?

E : C’est une bonne question !
D : Ce n’est pas inattendu, Elena réalise un travail de fou depuis le début avec pour objectif de porter le projet le plus loin possible. Elle récolte simplement les fruits de son travail.
E : En réalité, j'ai toujours beaucoup bossé, effectivement. Confidence pour confidence, j’ai arrêté mes études, il y a trois semaines pour me consacrer pleinement à la musique. Le moment de mettre toutes les chances de notre côté s’est présenté. On a un nouveau label et un nouveau booking. Les bases doivent être construites maintenant si jamais, un jour, le projet décolle véritablement.

Vivre de la musique est un rêve et j’ai envie de m’y consacrer pleinement, raison pour laquelle il est impératif de mettre toutes les chances de son côté.

Arrêter ses études si près du but, alors que la musique est aléatoire et donc par définition incertaine, c’est une sacrée prise de risques, non ?

E : J’ignore franchement si cet arrêt est définitif. Tout dépendra de la manière dont les disques seront accueillis par le public ainsi que par les plateformes. J’ai pas mal de temps pour reprendre les études. J’espère qu’un jour, je pourrai les terminer. Mais ma priorité est la musique. Je mets donc tout de côté pour pouvoir m’y investir pleinement et en vivre. C’est un rêve de petite fille.

Et toi Benjamin, tu poursuis les mêmes ambitions ?

B : Je termine mes études cette année. Il me reste deux mois à tirer si tout va bien. Si ce n’est pas le cas, ce sera une seconde session.

Quant à toi Dima ?

D : J’ai déjà le pied dans la vie professionnelle. Je réalise une thèse en physique également. Je suis donc encore étudiant, par définition.

Comment vous organisez-vous, compte tenu du caractère chronophage de vos obligations professionnelles et/ou scolaires ?

B : J'ai une défense de mémoire courant du mois. Le matin, on se tape quadruple concert et l’après-midi, je bosse sur cette étude. Sachant que la distance s’invite aussi dans l’équation. On vient de Liège ; alors, imagine les bornes à se taper entre les concerts et les obligations scolaires. Mais globalement, comme Elena, la musique reste aussi une priorité, l’objectif étant de pouvoir en vivre un jour. J’aime aussi mes études de graphisme. Si je peux concilier job et musique, ce serait parfait.

Hormis Benjamin qui épouse des études artistiques, Elena et Dima trempez plutôt dans le scientifique, soit un domaine très cartésien à l’opposé du champ musical, dont le spectre est plutôt intuitif. On a dû mal à imaginer que les deux puissent coexister. Le paradoxe m’interpelle pour être honnête…

E : Je ne suis pas convaincue que l’un soit artistique et l’autre cartésien. Je ne me pose pas la question, très franchement. J’estime mes études intuitives. Et c’est une chance ! Je n’ai jamais dû beaucoup travailler. Les événements s’enchaînent, naturellement. Il est vrai que, parfois, dans la musique, l’inspiration tombe du ciel. On se dit, tout à coup, tiens c’est ça la bonne idée, c'est cette partie que je devais mettre sur le morceau. Et ce phénomène, je ne peux absolument pas l’expliquer. Tu sais, si on rajoute un temps à moment précis dans la compo ou si on change la dominante de basse, par exemple, ça va provoquer un truc qu'on sait plus ou moins prévoir.
Dans la musique, il y a des formules qui sont quand même relativement quasi-mathématiques. A commencer par le rythme. Dans la science, c'est pareil. Parfois, on a des affinités avec certaines choses, certains concepts qui coulent de source et deviennent par essence intuitifs.
D : Je pense aussi que, lorsqu’on vient d'un background scientifique, il y cet amour de la complexité. Quand j'écris de la musique, je vois cette pratique comme un puzzle. Je dispose d’un tas de pièces différentes et j’imagine comment je peux les assembler pour que le tout devienne cohérent. Il y a un truc très scientifique, très mathématique là-dedans.
E : Oui, ça n'enlève pas du tout le côté émouvant, tout simplement parce qu’apporter des modifications dans la structure du morceau, comme ajouter un temps par exemple, c’est purement du ressort des mathématiques. Mais, qui impacte le prisme du physiologique, au sens large du terme, et donc de l'émotion. Et l’émotion met le corps en mouvement. Je pense donc que les deux sont complètement liés.

Naviguant entre dreampop et shoegaze n’est-il pas frustrant d’être systématiquement comparé à des formations qui ont marqué de leur empreinte tout un pan de la culture musicale comme Slowdive ou Cocteau Twins ?

B : Nous avons un style qui nous est propre. Nous nous éloignons de tous les clichés auxquels on peut rattacher le projet. Pour que ce soit plus authentique.
E : On y ajoute des influences. Auparavant, j’écoutais beaucoup ce genre de groupe. Sois attentif aux chansons que l’on va interpréter ce soir ou celles qui figureront sur le nouvel Ep ; on y rencontre des dimensions plus baroques, plus sombres, même parfois doom metal, classiques ou encore hard rock.

Benjamin amène un élément plus groovy également. La reverb, la delay ou encore le chorus, sont des codes que l’on rattache forcément aux sonorités shoegaze. Mais je pense vraiment qu'on embrasse une perspective plus baroque dans le chant et les mélodies.

Si à l’écoute de vos deux Eps, on sent clairement cette volonté de vous vous éloigner peu à peu de ces références en vous forgeant votre propre identité musicale, pourquoi ne chanteriez-vous pas en français, afin de faire davantage dans l’originalité ?

E : Jamais !

Je dois dire que je suis assez étonné d’entendre des jeunes d’une vingtaine d’années, connaître Cocteau Twins, et sa chanteuse Elizabeth Fraser, groupe qui a été actif de 1979 à 1997. Quel est l’elpee qui t’a le plus touché, Elena ?

E : J’en ai beaucoup écouté dans le passé, mais plus maintenant. L’album intitulé « Blue Bell Knoll » m’a marqué. Ce n’est pas du shoegaze classique à proprement parler car on y perçoit du clavecin. Ce disque recèle des éléments très contrastés et très sombres. A la fin, on y découvre cette touche post-rock absolument fantastique. C’est ce que j’aime chez Cocteau Twins. A vrai dire, le volet dream pop m’affecte moins. J’ai aimé « Victorialand », également pour ces raisons. J’apprécie le groupe, non pas pour le côté planant, mais davantage pour son volet très intime et très sombre.

A son origine, le shoegaze était un terme péjoratif. Il s’agissait quasiment d’une insulte. La presse britannique parlait de shoegaze parce qu’en concert, les musiciens jouaient de la guitare en fixant (gazing at) leur chaussures (shoes). En gros, c’était une façon détournée de dire qu’ils étaient introspectifs et ennuyeux. Désormais, l’étiquette shoegaze est enviable, réunissant même quelques millions d’adeptes sur les plateformes de streaming. Comment expliquez-vous ce réveil du style ?

E : C’est une bonne question !
D : De nos jours, il existe une résurgence du son issu des 90’s. A l’époque, ce genre n’était pas étiqueté ‘rock commercial’. Je pense que le public s’identifie à cette culture, de nos jours. Il ressent le besoin de s’y (re)plonger. Si l’univers est peut-être vintage aujourd’hui, il ne l’était pas à l’époque.
E : Il y a encore beaucoup à creuser. Ce style n’était pas très populaire pour le grand public car peu se démarquaient sur cette scène. Aujourd’hui, les gens perçoivent ces sons, comme quelque chose de nouveau. Il est assez accessible, l’aspect technique n’y primant pas. Pour tout dire, il existe sur le marché une panoplie de logiciels d’enregistrement et d’effets digitaux qui permettent de faire sonner un morceau très rapidement. En réalité, il est très facile de s’exprimer à travers cette musique parce qu’il n’est pas nécessaire de s’y mettre complètement à nu. Des effets bien calibrés et des paroles qu’on ne comprend pas toujours nécessairement peuvent trouver écho chez ceux qui n’ont, à la base, aucun background musical.
D : Une forme de nostalgie ?
E : Oui, l’anniversaire de la mort de Kurt Cobain n’y est peut-être pas étranger.
D : Perso, je ne suis pas du tout bercé par ce style. C’est en intégrant le projet que j’ai compris à quoi il correspondait. J’ai fait fi de cela en partant du postulat suivant : ‘Pour Eosine, qu’est-ce que j’ai envie de faire ?’ C’est ma ligne de conduite. La base est très shoegaze des années 90, mais les influences sont nombreuses, le but n’étant pas de suivre les codes du genre. Le projet évolue bien.
B : En ce qui me concerne, j’ai été bercé par le rock classique. Pour ensuite m’intéresser au funk, au jazz et tout récemment au post-rock. J’aime aussi le post-punk, dans une proportion moindre. J’ai aussi eu une période metal. De manière générale, j’aime tout ce qui est groovy et très dansant.
D : Etonnamment, je n’écoutais pas énormément de musique lorsque j’étais gosse. Mais lorsque j’ai commencé à en jouer, vers l’âge de 14-15 ans, j’étais focus années 60 dont les Beatles. De nombreuses années ont été nécessaires pour en sortir (rire). Je ne renie absolument pas cette époque, car j’y ai engrangé une multitude d’informations. Mes influences sont éclectiques ; elles oscillent du rock en passant par la musique classique. Paradoxalement, je ne connaissais pas le shoegaze et ne le maîtrise pas encore. Venir d’un horizon complètement très différent peut-se révéler intéressant, également.

Elena, je te sens assez nerveuse et touche-à-tout au sens noble du terme. Hormis Eosine, j’imagine que tu explores des tas d’autres projets ?

E : A commencer par Tokyo Witch, en solo. Un album est sorti en décembre. Je me produis la semaine prochaine à Bruxelles. Je joue aussi au sein d’un groupe de doom metal, Lethvm. Et puis chez OOOTOKO, qui réunit 18 musiciens. On y mêle des musiques traditionnelles comme le jazz, la chamber pop et le classique. Il est constitué de musiciens issus du conservatoire, mais également du rock ; le résultat est très éclectique et très festif. Nous nous produirons d’ailleurs, dans quelques jours, au Botanique. Pour terminer, je chante dans une chorale.

Eosine, c’est évidemment la musique, une prose poétique, mais aussi une esthétique et une culture à l’image très imprégnée, notamment à travers les artworks et projections scéniques. Et si Eosine était plutôt un concept avant même d’être un groupe ?

D : C’est une super bonne question, j’adore !
E : Je ne sais pas pourquoi, nous devrions dissocier les deux. Je pense que dans l'art, il existe ce côté mathématique : un plus un est égal à trois. Et cette somme constitue le concept.
Il y a une relation de cause à effet entre l’identité d’un groupe et la manière dont la musique va se propager. La formation l’associe à des images et des émotions. Je crois donc que le tout fait plus que la somme des parties. C’est le principe du concept. Eosine est donc les deux à la fois, un groupe et un concept.

Elena, pourquoi accorder une attention particulière aux thématiques des compos, sachant que l’utilisation de voix éthérées et la puissance des effets que l’on a déjà soulevé précédemment, rend difficile la compréhension des paroles ?

E : Je commence toujours par écrire les textes des chansons et la musique s’articule autour. Elle va soutenir une émotion dictée par les paroles. Elles ne constitueront pas le squelette de la compo, mais elles créeront l'univers qui l’entoure. C'est vraiment la ligne directrice. J'y attache énormément d’importance. J'adore écrire. J’ai toujours adoré ça. Les effets de guitares ne sont pas destinés à cacher une peur d’être comprise. Ni même pour masquer une écriture d’une qualité dont certains y verraient de la médiocrité. Au fond, ma plume n’est peut-être pas aussi qualitative que je ne le pense. Je n’en sais rien. Les effets amplifient davantage la voix en créant une unité dans les sons, en particulier entre nos deux voix. Les paroles sont vraiment la base de tout, même si, à la fin, elles ne deviennent plus qu'une partie du morceau.

Elena, lorsque je t’entends parler musique et de l’amour qui l’entoure, j’ai l’impression, sans aller jusqu’à dire que cet exercice est facile, qu’elle est en tout cas accessible à tous…

E : Personnellement, je ne possède que quelques notions de solfège, Benjamin compte quelques années de cours derrière lui. Dima n’a aucune formation musicale.
Oui, je crois sincèrement que l’on peut créer de la musique sans avoir nécessairement une culture ni bénéficié d’un enseignement musical au préalable. Si effectivement, certains ont l'immense chance de naître avec une bonne oreille, on peut aiguiser un sens naissant à force de travail. C’est pareil pour la rythmique. Donc, oui, sans aucune formation, il est tout à fait possible de faire de la musique. En ce qui me concerne, j’ai perdu pas mal de notions de solfège. Je ne suis pas convaincue que je parviendrai à lire une partition aussi facilement qu’auparavant. Je n’en utilise d’ailleurs pas pour le groupe.
Je préfère me débrouiller vite fait dans plein de domaines plutôt que de maîtriser parfaitement un seul instrument. Ce qui me permet d'exprimer tout ce que je veux sur le vif, même si je n’en ai pas le contrôle total. Et puis, confidence pour confidence, je dénicherai toujours bien quelqu'un qui joue de la batterie (rires). C’est la façon dont j’appréhende les événements. Le plus important est de pouvoir dégoter des musiciens qui possèdent la complémentarité dont le groupe a besoin pour exister.

Ado, tu écrivais dans ta chambre, j’imagine pour son côté libérateur. Avec la maturité, l’expérience, la vie, le succès, as-tu enfin trouvé la paix intérieure aujourd’hui ?

E : Je confirme le côté libérateur de la musique, j’écris encore d’ailleurs seule aujourd’hui.
Ai-je trouvé la paix intérieure ? Non ! Ce serait d’ailleurs un désastre si je devais la trouver un jour. Le mouvement vient toujours d’un déséquilibre. Quand il y a de l’équilibre, il n'y a pas de goût. Quand il n'y a pas de mouvement, il n'y a rien à exprimer, il n'y a pas de son, c'est le vide sidéral. J’aime donc le déséquilibre. Mais, attention, être en déséquilibre ne signifie pas pour autant être instable. Ce sont des notions complètement différentes. Perso, c'est cultiver ce que l’on ressent, les embrasser et les regarder sous toutes les coutures. Il est opportun de trouver quelque chose dont on peut tirer un sens. Toujours.

En décembre 2022, vous avez participé au Concours-Circuit, le plus grand concours de musiques actuelles et alternatives en Belgique francophone pour écraser la concurrence en raflant tous les prix. Certaines formations mettent dix ans pour acquérir un tel niveau. D’autres n’y parviennent jamais. Le côté dilettante de vos débuts a donc convergé vers quelque chose de plus professionnel ?

E : Nous avons toujours travaillé de manière professionnelle.
B : Je confirme les propos d’Elena. Le Concours-Circuit a sans doute accéléré les événements, mais cette dynamique a toujours été en nous.
E : Nous avons dû nous réinventer lors de chaque épreuve. Entre résidences, interviews, etc., nous avons appris à sortir de notre zone de confort. Le concours crée une dynamique intense : monter sur scène, jouer vingt minutes, en sortir pour laisser la place à un autre groupe. Cette expérience nous a permis de mieux gérer la pression ou des situations difficiles comme jouer loin de chez soi en supporting act d’un groupe face à un public qui n’est pas là pour vous. Nous avons déjà eu la chance de nous produire en première partie de DIRK., ce sont des mecs très cool, je suis donc rassurée. Le Court-Circuit nous a permis d’être booké rapidement. Nous avons majoritairement joué devant des fosses réceptives, hormis l’une ou l’autre date où cela s’est avéré un peu plus compliqué. Nous en sommes ressortis plus solides. Je dirais que nous sommes devenus tout terrain en quelque sorte.

Votre dernier Ep a été mixé et masterisé par Mark Gardener, l'un des deux chanteurs/guitaristes de Ride, groupe de shoegaze. Cette collaboration vous a-t-elle ouverte des portes sur le plan international ?

E : Non, pas spécialement. Nous n’avons pas bénéficié de contacts particuliers à l’extérieur. Nous n’avons pas cherché, non plus, à lui piquer ses relations professionnelles, à ce brave monsieur. Mark Gardener est une personne très chouette et d’une grande humilité. C’est un pionnier dans le genre, dont Eosine est apparenté. Mark a toujours été très à l’écoute, bienveillant. Travailler en sa compagnie a été une formidable expérience. Mais nous ne sommes pas allés jouer à Oxford, non (rires). Cette collaboration nous a, en tout cas, permis de présenter une belle carte de visite et de la crédibilité dans le milieu.

Le travail de Mark Gardener a permis de restituer cette atmosphère live aux chansons que l’on ne rencontrait pas sur le premier Ep. Je dois dire que c’est sans doute là votre terrain de jeu et la raison d’exister d’Eosine. Qu’en pensez-vous ?

E : Figure -toi que le prochain Ep a justement été enregistré dans les conditions du live. Je suis une grande fan de production. Simplement, le travail ne sera pas brut de décoffrage car il y il y aura une part belle consacrée aux effets. L'énergie sera au rendez-vous, ce sera un nouveau son, une nouvelle étape. Nous évoluons, y compris dans la maturité. Nous ne sommes qu’au tout début de notre carrière. Eosine est mon premier projet, je poursuis donc mes premières expériences. Et nous apprenons vite.

Tiens Elena, en tant que femme, que penses-tu de leur sous-représentation dans une multitude de domaines, et notamment dans celui de la musique. Y consacres-tu une idéologie particulière ?

Un malaise s’installe tout à coup …

E : Question suivante, s'il vous plaît !
D : C’est le genre de sujet pour lequel nous préférons ne pas prendre position.
E : Je suis désolée, mais mon propos se voulait sans agressivité. Ce n’est pas la première fois que l’on essaie de taxer Eosine de ‘nouvelle sensation rock féminine’. Ce n’est pas cette image que l’on défend. Je suis un être, né avec deux chromosomes x. Franchement, je n’ai pas du tout l'impression que ça change la manière dont je fais de la musique. Je n’ai même jamais revendiqué d’être une femme dans les textes des chansons. Mettre en avant cette idéologie et concevoir des festivals féministes est discriminant à mon sens. N’avons-nous pas la même légitimité que les formations masculines ? Je suis favorable à l'universalisme. Il est nécessaire de considérer le tout comme n'importe qui et de ne pas nous faire nous battre, nous les femmes. Nous avons les armes nécessaires pour se démarquer comme n'importe quel autre groupe. Je suis consciente que tout le monde ne partage pas ces positions et je respecte tout à fait les festivals qui, justement, prônent la non-mixité, en poursuivant dans une direction féminine ou ‘sexisée’. Perso, je n’y adhère pas, que ce soit, pour ce projet ou d’autres d’ailleurs.

Auriez-vous quelques infos croustillantes au sujet du nouvel Ep, au stade de la préparation, en exclusivité pour les lecteurs de Musiczine ?

E : Notre premier single s’intitulera « Progeria ». Nous le dévoilerons d’ailleurs en exclusivité ce soir puisqu’il ne paraîtra officiellement que le 15 mai chez notre nouveau label flamand. Une chance parce que je sais qu’il n’est pas toujours facile de percer dans ce petit coin de la Belgique. Est-ce que je vais te dévoiler le titre du prochain Ep ? Pas encore, je préfère faire durer le suspense.
Cet Ep sera un seuil, une dernière étape avant l'album. J’aime l’idée d’une eau frémissante, avant de passer à un autre état. En tout état de cause, il sera plus ouvert et beaucoup plus mis à nu. Davantage cathartique également.

(Photo : Christophe Dehousse)

And Also The Trees

Nous avions envisagé de reprendre “Hiroshima Mon Amour” d’Ultravox…

Vous l’avez constaté si vous suivez Musiczine : le groupe anglais And Also The Trees est un des ‘chouchous’ de la rédaction. Et pour cause, cette formation originaire d’Inkberrow, un petit village sis dans le Worcestershire, pratique, depuis 1979, une musique inclassable, enracinée dans le post-punk et rehaussée par un parfum néo-classique voire néo-folk. En outre, elle baigne dans une atmosphère tellurique, romantique, quasi mystique. La voix principale du groupe, Simon Huw Jones, est une personnalité attachante, authentique et d'une remarquable sincérité. Musiczine a eu la chance de pouvoir le rencontrer, dans le cadre du concert exceptionnel accordé par les ‘Trees’ dans l'église ‘La Nef’, à Namur (photos Christophe Dehousse ici). 

Bienvenue à Namur, Simon.

Bonjour, Phil. C'est bon d'être de retour ici.

Comme la dernière fois, je vais te soumettre quelques citations, et dans ta réponse, tu me diras si tu les reconnais et ce qu'elles évoquent pour toi.

Citation n° 1

‘Woods like towns with their sweet deceptive shade
Thorn locked and poison laced
To the outmost and human-less place
Lying foetal unwatched in uprooted earth
A distant ox baying, Still as a boulder cursed…’

‘Les bois ressemblent aux villes avec leur douce ombre trompeuse
Épine verrouillée et poison lacé
Vers l'endroit le plus éloigné et dépeuplé
Fœtus allongé dans une terre déracinée
Un bœuf lointain aboyant, immobile comme un rocher maudit…’

Oui ! C'est un extrait d'une des chansons de notre dernier album, “Mother-of-Pearl Moon”. Elle s'intitule “This Path Through The Meadows”.

La dernière fois que je t'ai interviewé –c’était l'an passé à Bruxelles– vous prépariez l’elpee, mais vous ne saviez toujours pas si vous l’attribueriez à votre projet acoustique, Brothers of the Trees ou à And Also The Trees.

Exact ! Au départ, il était destiné à Brothers of the Trees, à cause de son style plus acoustique. On l'avait même envoyé au mastering. Mais quand on a reçu le ‘master’, mon frère Justin et moi, nous nous sommes posé la question : est-ce un Brothers of the Trees ou un And Also The Trees (AATT) ? Serait-il trompeur pour notre public de sortir cet album sous le nom d'And Also The Trees vu qu'il est peut-être trop différent ? Serait-il déçu ?

A ce moment-là, les chansons étaient sans doute composées sous une forme acoustique, plus dépouillée ?

Non, elles étaient exactement comme elles sont aujourd'hui. L'album avait été enregistré, mixé et masterisé, et était prêt à être gravé. Mais, après l'avoir écouté, j'ai conclu que c'était à 100% du AATT, et Justin m'a confié qu'il était du même avis. Et maintenant, nous constatons que la plupart de celles et ceux qui suivent AATT sont très heureux d'entendre quelque chose d'un peu plus expérimental, de différent. Et la réaction de la presse a également été étonnante.

Comment décrirais-tu ces différences ?

Les chansons ne sont pas tellement différentes mais les arrangements sont plus dépouillés. Il y a pas mal de ‘parlando’ (‘spoken word’) et la batterie est moins présente. En conséquence, on peut davantage se concentrer sur le son des instruments individuels. Je n'ai rien contre les drums, mais j’aime pouvoir identifier clairement la clarinette, par exemple. Distinguer chaque son se déployer. C'est ce que j'ai vraiment aimé dans cet album, et je pense que les auditeurs, en général, ont également apprécié cette nouvelle approche.

A propos de “This Path Through The Meadow”, il existe deux parties dans la compo. La deuxième se distingue par un changement de ton, qui fait l'effet d'une belle surprise. La modulation est un peu progressive, un peu expérimentale, et d'une inspiration très classique. Elle me fait penser à Vaughan Williams et au morceau “Fantasia on a theme by Thomas Tallis”, dont tu avais parlé dans une interview.

Oui, je vois ce que tu veux dire.

Le début de “Fantasia” est étonnant. Les sept premières minutes sont à couper le souffle. J'ai été très ému la première fois que j'ai entendu cette composition : c'était une interprétation réalisée par l'orchestre de Toronto. Tu vois ce que je veux dire ? Il y a une amplitude, une puissance, un souffle, que l'on retrouve dans votre morceau.

Je me souviens de la première fois que j'ai écouté “Fantasia”. La copropriétaire de Reflex Records me l'a fait découvrir quand j'avais 23 ou 24 ans. J'avais entendu beaucoup de musique classique, mais sans y prêter un intérêt particulier. Et puis, j'ai tendu l’oreille à “Fantasia” et il ne sonnait pas du tout comme de la musique classique. Il y avait une véritable modernité. A chaque moment, je me demandais : est-ce que la voix de quelqu'un va entrer ici ? Scott Walker va-t-il commencer à chanter ?

Oui ! J'ai pensé la même chose (rires) !

Ensuite, elle m'a expliqué que c'était une composition d'un musicien anglais, Vaughan Williams. Cette information a complètement changé mon opinion sur la musique classique. Et j'ai voulu en découvrir davantage.

Ce morceau me fait penser à “This Path Through The Meadow”...

Je vois ce que tu veux dire. En général, on nous raconte que notre musique ressemble plus à celle d’Ennio Morricone.

Oui, bien sûr, c'est aussi vrai !

Vers la fin de cette section, il y a un son d'autoharpe ou de dulcimer, qui ressemble à une voix de femme. L'effet produit est assez 'morricone-esque'. Mais en effet, je vois ce que tu veux dire.

Il sonne comme la bande originale d'un film.

Citation n° 2 :

‘Even when lovers twist their naked bodies, skin against skin, seeking the position that will give one the most pleasure in the other, even when murderers plunge the knife into the black veins of the neck and more dotted blood pours out the more they press the blade that slips between the tendons, it is not so much their copulating or murdering that matters as the copulating or murdering of the images, limpid and cold in the mirror.’

“Même lorsque les amants tordent leurs corps nus, peau contre peau, cherchant la position qui procurera le plus de plaisir à l'autre, même lorsque les meurtriers plongent le couteau dans les veines noires du cou et que le sang impur coule à mesure qu'ils appuient la lame qui se glisse entre les tendons, ce n’est pas tant leur copulation ou leur meurtre qui importe que les images de la copulation ou du meurtre, limpides et froides dans le miroir.”

Qui est-ce ? Le Marquis de Sade (rires) ?

Non. Pense à votre dernier album. À ton avis, que représente ce miroir ?

Oh, ne serait-ce pas un texte d'Italo Calvino ?

Oui, c'est extrait du bouquin ‘Invisible Cities'...

C'est le livre dont je me suis inspiré pour écrire “Valdrada”. Mais je ne connais pas bien 'Invisible Cities'. En fait, j'avais déjà écrit un texte de chanson à propos d'une ville imaginaire, sans nom. Ensuite, j'ai lu des extraits du livre de Calvino et j’ai estimé que “Valdrada” était un nom parfait pour ma ville imaginaire. J'ai relié les deux sources au sein de ma chanson.

Pour la 3ème citation, voici un cadeau : c'est un livre. Et il y a un signet, qui désigne une partie précise du texte.

Oh merci ! C'est ‘The Marriage of Heaven and Hell’, de William Blake ! Merveilleux ! Alors, la citation...

Citation n° 3 :

‘If the doors of perception were cleansed, every thing would appear to man as it is : infinite...’

‘Si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est : infinie…’

Vois-tu le lien ?

Oui, bien sûr. Le lien, c'est Aldous Huxley, qui a intitulé son livre ‘The Doors of Perception’ en référence à Blake, et puis, bien sûr, les Doors, qui ont baptisé leur groupe en référence à tout cela.

Et après les Doors, des tas de groupes et artistes ont été influencés par les Doors et toutes ces thématiques...

Merci beaucoup pour le livre !

De rien ! Le livre original de Blake était constitué de plaques en cuivre, sur lesquelles il avait combiné ses poèmes et des gravures. Il n'aimait pas l'industrie du livre, qui était déjà présente à cette époque. Il voulait que chaque exemplaire soit unique. Il était incroyable, William Blake. Un vrai rebelle.

Oui, un vrai rebelle.

Citation n° 4 :

‘He that isn’t growing up is growing down.’ Such a man might end his life not as a ripened human being, but as an aged foetus. Adult in worldly wisdom and professional skills ; embryonic in spirit and even in character.’

‘Celui qui ne grandit pas régresse.’ Un tel homme pourrait finir sa vie non pas comme un être humain mûr, mais comme un fœtus usé. Adulte doté de la sagesse du monde et de compétences professionnelles mais embryonnaire dans l’esprit et même dans le caractère’.

Je ne vois pas...

C'est une citation assez difficile à identifier. Je peux te dévoiler que tu as parcouru ce bouquin, il y a longtemps... Il se pourrait même que ce soit le premier que tu aies véritablement lu...

Oh ! C'est ‘Time Must Have a Stop’ de A. Huxley ?

Exact !

D'accord. Justin aurait probablement deviné car il le relit tous les cinq ans...

Citation n° 5 :

‘The other song was a simple piece where Justin, Steven and Nick played in waltz time. I sang the words of an old, anonymous rhyme our grandmother used to narrate to us as children through a haze of cigarette smoke, called ‘There was a man of double deed’. And it was whilst recording this that Justin spontaneously played an accompanying guitar part in the style of a mandolin. It came quite naturally to him and we thought it added a nice touch.’

‘L’autre chanson était un morceau simple où Justin, Steven et Nick jouaient au rythme d’une valse. J’ai chanté les paroles d’une vieille comptine anonyme que notre grand-mère nous racontait quand nous étions enfants à travers une brume de fumée de cigarette, intitulée ‘There was a man of double deed’. Et c'est pendant l'enregistrement que Justin a spontanément joué un accompagnement à la guitare qui sonnait comme une mandoline. Ça lui est venu tout naturellement et nous avons pensé que cela rehaussait le morceau.’

Facile ! C'est moi qui ai écrit ce texte ! Il est extrait de la biographie du groupe, que je rédige en ce moment, et dont je publie des extraits sur notre site web.  

Et ma question est : vas-tu publier cette biographie sous la forme d'un livre ?

Je pense que oui. Ce projet a déjà suscité un certain intérêt de la part des éditeurs, mais je dois d'abord l’écrire. Je ne sais pas encore si j'arrêterai l'historique à la fin des années 80. Ce sont probablement les premières années du groupe qui sont les plus intéressantes.

Ce qui est incroyable, c'est le niveau de détail dans les souvenirs que tu as de l'époque !

Je tenais un journal. Et je peux aussi compter sur Justin et Steven Burrows, notre premier bassiste ; ils ont tous deux une bien meilleure mémoire que moi !

Citation n° 6 :

‘The next instant, I saw her rain-stained tombstonerear an illegible epitaph
under the gnarled branch of a small tree in the wild grass of an unvisited garden in Mexico.’

‘L'instant suivant, je vis sa pierre tombale tachée de pluie à côté d'une épitaphe illisible sous la branche noueuse d'un petit arbre dans l'herbe sauvage d'un jardin non-visité à Mexico.’

C'est le poème ‘A Dream Record’ d'Allen Ginsberg ! Il l’a écrit à la suite d’un rêve qu'il avait fait à propos de Joan, la femme de William Burroughs. C'est un poème que je récite sur l'album de Catherine Ginsb... euh Gainsbourg...

Qu'est-ce que tu as dit ? ‘Gainsbourg’ ?

Je voulais dire ‘Graindorge’, évidemment (rires) !

Catherine va aimer ça (rires).

C'est pour l'album de Catherine Graindorge, “Songs For The Dead”. Je participe à 2 ou 3 chansons, comme chanteur et auteur.

Si je ne me trompe, il s’agit de “Eurydice”, “Orpheus's Head” et “Time Is Broken”.

J'aime beaucoup les albums de Catherine. C’était un bonheur de travailler en sa compagnie. Je n'ai pas encore eu l'occasion de réécouter le ‘produit fini’ mais, en studio, il sonnait vraiment bien. L'enregistrement était vraiment très amusant. Il s’est déroulé à Gand.

Oui ! Au studio La Patrie, de Koen Gisen, le compagnon d'An Pierlé !

Ah tu les connais ?

Oui ! Je suis allé chez eux pour réaliser une interview, il y a quelques années.

J'ai rencontré An là-bas pour la première fois. C'est une artiste incroyable. Elle m'a filé des CD de sa discographie et je lui ai envoyé des albums des Trees.

Tu dois absolument écouter son elpee “Arches”.

Elle m'en a filé cinq, mais je ne connais pas les titres par cœur. Il faut encore que j'écoute. Mais j’aime beaucoup “White Velvet”. J'ai eu un véritable coup de cœur. J'aime la musique pop quand elle est de cette qualité.

Oui ! Ce disque est merveilleux également. Mais tu vas avoir une surprise en écoutant “Arches”. Personnellement, c'est son meilleur album. Tu comprendras pourquoi en l’écoutant. Je n'en dirai pas plus...

Citation n° 7 :

‘Meet beneath the autumn lake
Where only echoes penetrate
Walk through Polaroids of the past
Futures fused like shattered glass, the sun’s so low
Turns our silhouettes to gold...’

Se voir près du lac automnal
Où seuls les échos se font entendre
Marcher dans les polaroïds du passé
Futures fusionnées comme du verre brisé, le soleil si bas
Transforme nos silhouettes en or...’

C'est Ultravox !

Juste ! Et quel morceau ?

“Hiroshima Mon Amour”.

Bravo ! Sais-tu que le titre est tiré d'un roman français ?

Ah non... lequel ?

‘Hiroshima Mon Amour’ de Marguerite Duras.

C'est étrange car cette chanson d'Ultravox, nous avions envisagé de la reprendre, à l'époque...

Quelle belle coïncidence ! J'ai tapé dans le mille (rires) ! C'est étrange car elle est à 90% électronique. Comment comptiez-vous l'adapter à votre style, qui est plutôt acoustique ?

On a tenté quelques essais et puis, à un certain moment, j’ai jugé qu'il fallait que ce soit un hommage réussi, qui rende justice à cette magnifique composition. Finalement, on a laissé tomber. Mais j'adore vraiment ce morceau !

Sais-tu que j'ai interviewé John Foxx ? L'as-tu déjà rencontré ?

Non.

Oh, c'est un homme incroyable. Un véritable gentleman ! On a envie de l'appeler ‘Sir’... (rires)

Pendant l'interview, je lui ai soumis une de mes théories. J'estime en effet que “Hiroshima...” est la première chanson new-wave orientée synthés de l'histoire.

Oh !

Bien sûr, auparavant, on ne peut oublier Kraftwerk, ce sont des pionniers, et ils n’appartiennent à aucun mouvement. Cependant, au début de la new-wave, en Angleterre, Gary Numan a composé “Are Friends Electric ?”, mais il a avoué qu'il s'était largement inspiré d'Ultravox.

Ultravox était aussi un groupe punk.

Au début, oui.

Justin et moi, nous écoutions en boucle les deux premiers albums d'Ultravox. Et puis, bien sûr, Ultravox est devenu le groupe de Midge Ure.

Oui, mais avant Midge Ure, un 3ème long playing est paru en 1978, “Systems of Romance”.

Ah, celui-là, je ne le connais pas.

C'est un opus très important. La formation y a développé le côté hybride ‘synthé’ évoqué dans “Hiroshima Mon Amour”. Elle s’est éloignée du post-punk pour créer ce style de new-wave synthétique et un an plus tard, Gary Numan a sorti “Are Friends” et est devenu numéro 1.

Dans ce contexte, on devrait probablement aussi mentionner les Young Marble Giants.

Effectivement ? Ne sont-ils pas apparus un peu plus tard ?

Oui, c'est possible.

Simon, merci beaucoup pour cette interview !

Merci à toi : c'est toujours très 'fun' !

Pour écouter et acheter le dernier album d'And Also The Trees, “Mother-of-Pearl Moon”, c'est .

Pour en savoir davantage sur AATT cliquez sur le nom du groupe dans le cadre ‘Informations complémentaires’.

(Photo : Christophe Dehousse)

 

 

St. Vincent

Sortir de sa zone de confort…

Écrit par

Nouvel album pour Annie Clark alias St. Vincent, artiste américaine surdouée qui en à peine plus de quinze ans en a déjà sorti six, sans compter celui réalisé en partenariat avec David Byrne, l'un de ses héros. Jouant à saute-mouton entre rock alternatif, jazz et électronique, la touche-à-tout de génie qui multiplie les collaborations (Gorillaz, Bon Iver pour n'en citer que deux) a, pour enregistrer cet opus, reçu le concours de Dave Grohl et Cate Le Bon. Cependant, ce disque ne doit cependant rien à personne puisqu'elle l'a produit en personne. Et s’il s’intitule « All Born Screaming », elle ne s'égosille pas et y joue à merveille de ses cordes… notamment vocales…

Recomposant son personnage à chaque fois, St. Vincent parvient également à se réinventer musicalement, oscillant pour la circonstance d'une électro industrielle vénéneuse à la Nine Inch Nails (« Reckless ») a un reggae-ska vintage (« So Many Planets »), en passant par du Peter Gabriel période « So » (« Big Time Nothing ») et un « Sweetest Fruit » qui résonne comme un écho à sa collaboration avec l'ancien leader de Talking Heads.

Un album coloré, mais, au départ, pas forcément lumineux...

« Violent Times », « Hell Is Near » et « Big time Nothing » sont des chansons très pessimistes...

Si la première moitié de l'album évoque en effet une vie difficile, le disque poursuit en s'achevant sur un mantra extatique, à savoir que nous sommes tous nés en criant (NDR : « All Born Screaming », le dixième et dernier morceau) que la vie est courte, mais qu’il n’existe qu’une seule raison qui vaille : faire des choses par amour. Ce n'est pas un album pessimiste, mais plutôt un voyage vers la lumière.

« So Many Planets » adopte un profil plutôt reggae. Pourquoi avoir abordé ce genre musical ?

J'étais obsédée par les productions de Lee Scratch Perry et King Tubby ; par ailleurs, je suis devenue accroc aux Specials et à la deuxième vague de ska de la fin des 70’s, en Angleterre.

Pour cette compo, j’envisageais un ska de la deuxième vague, voire un faux dub (elle sourit) ?

« Sweetest fruit » évoque certains albums solos de David Byrne ?

C'est l'un de mes musiciens favoris et l'une des personnes que je préfère.  Mais je me référais plutôt à la pop nigériane ; et plus particulièrement à Roselia, un quintet féminin nippon qui mêle pop japonaise et style gothique ou au reggaeton ; mais David possède en effet un ADN musical similaire…

Ce genre de collaboration, initiée par le passé avec l'ancien leader des Talking Heads, est-il essentiel pour votre créativité ?

Toujours. Ce type de coopération m'oblige à sortir de ma zone de confort. Il s'agit de projets que vous n'initieriez pas seul. Son avantage, c’est qu’il provoque une étincelle entre deux ou plusieurs personnes afin de donner naissance à une création originale. Tout ce qui me met au défi en tant que musicienne ou m'attire, me permet d'apprendre.

« Reckless » évoque Trent Reznor et Nine Inch Nails...

 J'adore Nine Inch Nails ainsi que Trent et j'apprécie le travail de production de Flood sur les albums de NIN. 

« Broken Man » bénéficie de la participation de Dave Grohl des Foo Fighters. Te plairait-il de rejoindre Them Crooked Vultures que Josh Homme du Queens of The Stone Age et Dave Grohl avaient formé avec John Paul Jones de Led Zeppelin ?

J'aime ces deux mecs. Et j'ai la chance de pouvoir affirmer que Josh et Dave sont mes amis. Par ailleurs, je suis fan de leur musique. S’ils cherchent à fonder un nouveau supergroupe, ils peuvent m'appeler (rires) !

Vous étiez également une grande fan de Soundgarden. Pourriez-vous, un jour, reprendre un de ses titres ou mieux encore enregistrer en compagnie des membres survivants de la formation, après le décès du chanteur Chris Cornell ?

Lorsque j'ai invité on amie Cater le Bon, qui a participé aux sessions de l’album, à écouter « Broken Man », pour la première fois - morceau sur lequel figure ce cri, à la fin - Cate m'a simplement regardée et a clamé à son tour : ‘Jésus-Christ !’. Et nous avons éclaté de rire... En effet, ce cri final adresse sans doute un petit clin d'œil à Chris Cornell… (elle rit)

Ce titre se réfère-t-il ton père et son séjour en prison, purgé il y a quelques années ?

Non, il nous arrive tous d'être brisés dans la vie. Il ne concerne que ma propre expérience.

Mais sur « Daddy's Home », paru sur votre elpee précédent, vous faisiez allusion à l’épisode d’incarcération de votre paternel, en 2010. Aurait-il eu un impact sur votre carrière musicale ?

Ma musique reflète mon parcours de vie et ce qui s'y passe à certains moments. Sur « Daddy's home », je jouais avec mon personnage et à l’aide de la musique que j'aime ; celle du début des années 1970, à New York : Stevie Wonder, Steely Dan... Celle que mon père m'a fait écouter. En quelque sorte, j’ai voulu approfondir cette partie de mon éducation musicale en réincarnant mon père tout en me consolant grâce à cette exploration de cette musique.

Était-il libérateur de produire ce nouvel opus, vous-même ?

C'est à la fois libérateur et en même temps se révèle plus compliqué que l’on imagine. Vous passez sans cesse du statut d'interprète à celui de producteur, tout en conservant une vue d'ensemble. Un peu comme un cameraman qui passerait son temps à zoomer dézoomer ; mais c'était nécessaire parce qu'il y a certains endroits où musicalement je ne me serais pas risquée si je n'y étais pas allée seule.

Quels sont vos modèles de vocalistes ?

J’en apprécie tellement que je ne suis pas certaine d'être inspirée par l'une ou l'autre en particulier ; j'ai juste appris à utiliser ma propre voix et à expérimenter ce dont elle est capable. Mais j'adore Élisabeth Fraser, Ella Fitzgerald, Tori Amos, David Bowie, David Byrne... et la liste des interprètes est encore longue…

Mais je ne me suis jamais vraiment considérée comme une chanteuse. J'ai appris à utiliser ma voix à la manière d'un autre instrument, comme une guitare par exemple. Mais évidemment, la voix est bien plus intime parce qu'elle vous appartient ; il s'agit de votre musculature, de votre ADN, de votre physique. Elle sort de votre être grâce à des muscles qui ressemblent à une... chatte, un sexe féminin (rires). Sans blague !

Je m'en suis rendu compte en allant consulter un phoniatre, afin de contrôler mes cordes vocales. Elles sont en bon état. Lorsque le médecin m'a montré le cliché, je me suis exclamé : ‘Oh, mon Dieu, c'est un cliché pornographique (rires) !’

St. Vincent « All Born Screaming » (Virgin) – date de parution 26 avril 2024

En concert à De Roma (Anvers) le 4 juin 2024

 

 

Thot

A la rencontre du Mystère des voix bulgares…

 Il existe des groupes inclassables. On les appelle ‘crossover’ et ce mot ne se réfère pas à un modèle de voiture. On pense ici à Nine Inch Nails, Radiohead, Dead Can Dance, etc. Thot, le projet fondé en 2005 par le Franco-bruxellois Grégoire Fray, appartient à cette ‘non-catégorie’. Tout au long de ses 3 elpees et 4 Eps, la formation, dont le patronyme a été emprunté à un personnage du dessin animé ‘Les Mondes engloutis’ ainsi qu’au dieu égyptien du même nom (‘Thoth’), a évolué d'un style post-indus / post-metal très brut vers un post-rock plus sophistiqué. Ce 10 mai 2024, Thot a publié son 4e album. Baptisé “Delta”, il s’agit clairement de la production la plus ambitieuse et la plus aboutie du combo. Un signe qui ne trompe pas, Grégoire Fray est parvenu à convaincre le Mystère des voix bulgares de participer aux sessions. Le collectif est d’ailleurs présent sur plusieurs pistes. Musiczine a rencontré Grégoire Fray et Michael Thiel.

Commençons par préciser les rôles. Grégoire, tu es le fondateur de Thot ?

Grégoire Fray : Oui. Je me charge de l'écriture des morceaux, des paroles, de la guitare, des claviers, de la programmation et de la production. J'assume aussi la direction artistique pour les créations visuelles, et entre autres pour le design des pochettes. Je ne réalise pas les pochettes, mais j'apporte les idées. Tout comme pour les clips vidéo.

Et toi, Michael, tu te consacres aux percussions ?

Michael Thiel : Effectivement. Les percussions depuis fin 2018 et je m'occupe aussi du volet visuel, notamment des vidéos. Ainsi que de certains aspects graphiques comme les artworks.

Votre nouvel opus s’intitule “Delta”. Comment évaluez-vous l'évolution par rapport aux précédents ?

GF : Le titre a été pensé comme l'image de cette évolution. Un delta, c'est un triangle. Chaque facette représente un des trois albums précédents. D'un point de vue musical et artistique, “Delta”, c'est donc la somme quantique des trois précédents. C'est aussi l’embouchure d'une rivière qui se jette dans la mer. Il se reporte un peu à l'album précédent dénommé “Fleuve”. L'évolution a également été humaine puisque le line up a changé au gré des sorties. Et, en toute logique, notre progression musicale a été nourrie par les personnes actives au sein du projet.

Faisons le point sur les membres du groupe.

MT : Alors, outre Grégoire et moi, Stéphane Fedele se réserve la basse, Lukas Melville la batterie et Anaïs Elba les claviers. Lukas et Stéphane participent aussi aux arrangements.

Juliette est également de la partie.

GF : Juliette Mauduit, active au sein du groupe entre 2018 et 2020, a participé aux sessions. Au moment de la crise du Covid, elle a changé de vie et est retournée vivre en France. Elle n’est plus membre de la formation, malheureusement. Mais, avant de partir, elle avait conduit le projet “Delta” jusqu’au bout, tant au niveau de l'écriture que pour les enregistrements. Et elle sera présente au Botanique le 13 juin, lors du concert.

“Sleep Oddity” est ma compo préférée. La chanteuse Lenka Dusilová y est créditée. Qui est-ce ?

GF : Lenka Dusilová est une musicienne tchèque très connue et reconnue dans son pays. Elle joue de la musique depuis plus de 20 ans et a décroché de nombreuses récompenses en République tchèque. Je l'ai découverte en 2022. Je séjournais à Prague et un de mes amis, Tomasz, était son manager. C'est lui qui m'a invité à écouter son album précédent, “Řeka”, un mot qui signifie “rivière”.

Tiens, le monde est petit…

GF : Oui ! Je suis tombé immédiatement amoureux de sa musique et de sa voix. Et, au moment de finaliser “Sleep Oddity”, on a eu l'idée de l'inviter à participer à la chanson.

J'aime particulièrement ce titre parce qu'il affiche un petit côté ‘prog’, surtout à partir du milieu du morceau... Et ce que j'aime aussi, c'est la mélodie de base. A mon avis, c'est la plus belle mélodie composée par Thot depuis les débuts.

GF : Merci ! En fait, la première version de ce titre est parue à l'origine sur l'Ep “Méandres”, en 2022. C'est une ancienne composition que j'ai écrite en formule guitare-voix, fin 2019. J'ai très vite eu envie de la faire chanter par Juliette. Donc, on a réalisé cette version sur “Méandres”. Et puis, quand est arrivé le moment de réaliser les nouveaux enregistrements pour “Delta”, les arrangements ne correspondaient plus à la voix de Juliette. C'est alors qu'on a conclu qu’il était nécessaire qu’une autre voix intervienne. Donc, j'ai contacté Lenka Dusilová et je lui ai donné carte blanche. Elle a repris les choses à sa manière, en ajoutant ses propres idées et je suis très, très content, du résultat.

J'aime beaucoup. C'est superbe !

GF : Après, pour le côté prog, je n'y connais rien, donc je ne peux pas juger (rires).

Bien sûr, c'est un avis subjectif. Le problème de Thot, c'est que votre musique est impossible à classifier. C'est de la musique ‘crossover’. A l'instar de Nine Inch Nails ou Radiohead. Impossible de lui coller une étiquette. On peut avancer des références plus ou moins pertinentes mais pour définir le style de Thot, on en est réduit à devoir combiner des termes comme post / prog / metal / noise / power, etc.

MT : Perso, je dirai tout simplement ‘post-indus’. Le terme ‘post-‘ est maintenant connu, grâce au ‘post-rock’...

Le Mystère des voix bulgares a collaboré aux sessions d’enregistrement. Comment une telle coopération a-t-elle pu se réaliser ?

GF : Je suis fan du Mystère des voix bulgares depuis longtemps. J'ai toujours été intrigué, fasciné, par cette musique, par ces voix, par ces chœurs. Il s'avère que leur musique est présente dans la discographie de Thot depuis longtemps et ce, par le biais de samples.

Sur quels morceaux, par exemple ?

GF : Sur “Icauna”, “Odra”, “Rhein”, “Samara” et “Rhône”.

MT : Et aussi sur “Bosphore” ?

GF : Oui, sur “Bosphore”, également. Et donc, en 2018, j’assiste au concert du Mystère des voix bulgares et de Lisa Gerrard, à l'Ancienne Belgique.

J'y étais également.

GF : Je suis ressorti de ce concert totalement subjugué. J'ai contacté la manageuse du groupe via Instagram et je l’ai invitée à découvrir Thot. Et, plus tard, pendant la conception de “Delta”, je me suis décidé à tenter le coup. Donc, j'ai recontacté cette personne, Boyana Bounkova. J'ai exposé un peu mes envies, mes idées et tout ça. Et puis, après plusieurs échanges de mails, j'ai proposé des idées concrètes. Juliette et moi avons écrit des textes et concrétisé des idées mélodiques. On a travaillé en compagnie d’une amie bulgare, qui nous a aidés à rédiger des paroles dans cette langue, basées sur des contes. Et on a proposé l’ensemble à Boyana, qui en a parlé aux chanteuses. Et la réponse a été affirmative ! Je me souviens du moment où je l’ai reçue. J'en ai presque pleuré.

Bingo ! Et vous êtes allés en Bulgarie ?

GF : On ne voulait pas effectuer ce défi à distance. On voulait y aller. On voulait vivre le truc. Juliette aussi. Michael aussi. On a donc attendu que les règles Covid soient allégées, et on est partis en Bulgarie. On a bossé avec six chanteuses du collectif parce qu’en inviter vingt n'était pas réalisable, ne fût-ce que d'un point de vue financier. On a passé une journée en studio pour enregistrer les morceaux. Et en plus, une version acoustique de “Hüzün”.

“Hüzün” constitue, à mon avis, le ‘magnum opus’ de l’œuvre, le titre le plus ambitieux.

GF : Oui, également au niveau visuel. On a tourné un clip en Bulgarie.

Oui, un clip que j'aime particulièrement, surtout grâce aux références chamaniques.

GF : Tu évoques sans doute le rituel montré dans le clip ? Il s'agit des ‘Kukeri’. Cette tradition existe dans de nombreux pays. On peut la comparer au Carnaval. Les gens se couvrent de peaux de bête, pour chasser les mauvais esprits et annoncer l'arrivée du printemps. Quand on a préparé le voyage en Bulgarie, j’avais l’intention d’en profiter pour tourner un clip. Et “Hüzün”, c'était le morceau idéal pour y parvenir, car la chanson évoque un long voyage. C'est une composition très personnelle pour Juliette, car c'est elle qui a écrit le texte. Elle a directement eu un coup de cœur. On a donc modelé la compo autour de ses idées, et c'est devenu ce que c'est aujourd'hui. Et le chœur des Voix Bulgares occupe une position centrale, au milieu de la chanson. Pour le clip, j'ai passé beaucoup de temps sur internet à chercher des lieux où tourner. Donc, on a vraiment préparé, un peu improvisé, en fonction de ce qu'on voyait, de ce qu'on trouvait, de la météo… favorable, car on a pu bénéficier d’un très beau temps.

Comment avez-vous pu filmer les ‘Kukeri’ ?

GF : Quelques semaines avant le voyage, j’ai découvert, par hasard, des photos des ‘Kukeri’ dans National Geographic bulgare. Des clichés réalisés par un photographe bulgare, Ivo Danchev. Tout s'est organisé dans ma tête. Comme les textes d'“Hüzün” proposent une espèce de rituel intérieur, décrivant ce que Juliette a vécu ; j’en ai déduit qu’il fallait que l'on fasse intervenir les ‘Kukeri’. Ils allaient donner vie à ce passage, au milieu de la compo, où il se produit une sorte d'élévation. Leur présence visuelle allait renforcer cette impression. Donc, j’ai contacté le photographe, Ivo.

Celui du National Geographic ?

GF : Oui ! Je l'ai contacté sur Instagram. Il connaissait les ‘Kukeri’ mais il a fallu dénicher des candidats prêts à assurer une telle représentation en plein été, parce que, normalement, c'est un rituel qui se déroule à la fin de l'hiver. On avait besoin de costumes, parce qu'après les rituels, généralement, ils les démontent. Finalement, tout s'est mis en place presque miraculeusement et on a pu tourner la séquence des ‘Kukeri’ au même endroit que sur la couverture du National Geographic. On a passé quelques heures en fin de journée devant un coucher de soleil à tourner ces scènes du rituel autour du personnage de Juliette.

Et donc, Michael, au niveau des vidéos, comment as-tu abordé le travail de mise en forme, le travail visuel ?

MT : Je me suis efforcé de traduire visuellement les idées de Grégoire. C'est lui a écrit le script du clip et scénarisé ce périple bulgare. Pour moi, c'était surtout un travail de cadrage et de montage. J'ai essayé de définir et d'appliquer de manière cohérente un concept visuel propre à cet album. Pour l’étalonnage, les clips baignent toujours au sein d’une ambiance très sombre. Il y a un côté très bleu nuit, ‘dark blue’, mais également une pointe de flamboyance. Suivant les couleurs ou la lumière utilisée. Ou tout simplement selon le jeu des personnages ou les effets.

Il est intéressant de retrouver cette dualité, que je qualifierais d'alchimique. On part d'une ambiance très 'dark', mais on assiste à un mouvement qui se dirige vers quelque chose de lumineux, comme si c'était un voyage initiatique. On rencontre ce phénomène au sein d’énormément de projets artistiques depuis cinq ou six ans. C'est vraiment une tendance lourde, dans ce milieu.

MT : Je pense aussi personnellement que les groupes qui ne s’enfoncent que dans le 'dark' commencent tout doucement à m'ennuyer. Il faut qu'il y ait un truc en plus. Sinon, cette démarche devient trop répétitive et finit par lasser.

Elle devrait correspondre à un processus de maturation, d'éveil, un peu comme un passage de l'adolescence, de la destruction à un moment où on construit quelque chose.

MT : C'est aussi ça qui fait la force de Thot. Comme tu le disais, il est difficile de mettre le projet dans une case et c'est ce qui en fait sa beauté.

Quid de la pochette et de l’artwork ?

MT : L'artwork a été 'commis' par David Crunelle, un artiste collagiste bruxellois. Il est très minutieux, voire obsessionnel. Il réalise des œuvres de grande taille, créées à partir de tout petits éléments. Et dans cet artwork, une composante graphique a acquis un rôle central car on l'a utilisée pour la décliner en cartes dans les clips vidéo. On s’en est servi un peu comme une rose des vents. Cet aspect cartographique peut aussi ramener à une forme de chamanisme, d'alchimie. C'est une combinaison entre des éléments numériques et des collages, qui permettent d'introduire une dimension plus organique.

En parlant d'organique, on pourrait se référer au monde végétal, qui est omniprésent chez Thot. Un côté tellurique...

GF : C'est intéressant d’entendre le terme ‘tellurique’, parce lors d’une interview, accordée il y a quelques jours, on m'a signalé que Thot avait quelque chose de ‘minéral’…

C'est quasi un synonyme.

GF : Mais ce que j'ai vu dans les artworks de David Crunelle, c'est quelque chose de plus céleste, de stellaire. Pendant l’écriture de “Delta”, j'ai lu énormément de livres qui traitaient d'astrophysique, de la question du temps et de l'espace, etc. Et quand j'ai vu les œuvres de David Crunelle, j’ai compris qu’il s’agissait de l'univers qui se déploie. Dans ses couleurs et ses formes.

Et, en même temps, il existe un rapport quantique entre l'infiniment grand et l'infiniment petit…

GF : Oui, voilà. Effectivement.

Quels sont vos nouveaux projets ? Une tournée est-elle en voie de concrétisation ?

GF : La release party de l'album se déroulera le 13 juin, au Botanique. Sinon, on se produit le 1ᵉʳ juin au Salon à Silly. Et puis, on est programmé aux festivals ArcTanGent à Bristol le 17 août, puis au festival de Pelagic Records...

… Qui est votre label ?

GF : Oui, qui est notre label. Donc ce sera à Maastricht, le 24 août. Et on attend la confirmation pour d'autres dates.

Pour terminer, je vous ai demandé de sélectionner deux ou trois morceaux qui n’appartiennent pas à la discographie de Thot.

GF : Le premier choisi, c'est évidemment un morceau du Mystère des voix bulgares qui s'intitule “Mome Malenko”. C'est la première plage de leur dernier album, “BooCheeMish”, auquel Lisa Gerrard, de Dead Can Dance, a participé. Et comme deuxième titre, “Justice” du groupe RIVE, un groupe belge que j'apprécie beaucoup. J'aime beaucoup les textes de Juliette, qui n'est pas notre Juliette à nous. Ils m'ont beaucoup nourri lorsque je me suis mis à écrire des textes en français.

En effet, c'est la première fois que tu écris des paroles en français.

GF : J'avais rédigé quelques lignes en français sur “Rhône”, un morceau qui figure sur l'album “Fleuve”. Le français est présent sur de nombreux titres, tout au long de “Delta”, en symbiose avec l'anglais.

Et enfin, la sélection de Michael.

MT : J’ai choisi “Ungod” de la formation Stabbing Westward. C’est le titre éponyme. C'est une fresque sonore, 'indus', sombre, ‘électronisante’ qui, je pense, est assez proche de la musique de Thot, en tout cas dans l'idée du voyage...

GF : C'est marrant que tu choisisses ce morceau et ce groupe. C'est une référence qui est souvent mentionnée dans les chroniques des albums de Thot.

Merci !

GF : Merci à toi, Phil.

Pour écouter et commander “Delta”, c'est ici

Pour voir et écouter les dernières vidéos de Thot

-  “Céphéide” https://www.youtube.com/watch?v=X-zxsYaWyH8

-  “Hüzün” https://www.youtube.com/watch?v=xNZQNKp4G5w

-  “Supercluster” https://www.youtube.com/watch?v=b-b9Q3TZHLk

Ride

Une question de temps…

Écrit par

Porte-drapeau du mouvement shoegazing, qui a sévi au début des nineties, Ride a connu deux existences. La première entre 1988 et 1996. Et la seconde, à partir de 2014. Soit une pause de près de 18 ans au cours de laquelle les quatre membres ont multiplié collaborations et projets en solitaire. A l'instar de Mark Gardener, l'un des deux chanteurs/guitaristes qui, outre un LP solo, a développé une carrière de producteur et d’ingé-son, au point de créer son propre studio au sein duquel le groupe a enregistré et parachevé « Interplay ».

Un opus témoin de la progression d'une formation qui a bien évolué depuis les chevauchées ‘guitaristiques’ de ses débuts, proposant, depuis son retour, une musique plus ample et contrastée, en intégrant des références assumées aux bands que les musiciens appréciaient au cours de leur jeunesse (The Cure, New Order, Tears for Fears), sans pour autant se contenter de simples cartes postales musicales nostalgiques… mais plutôt afin de proposer un véritable voyage.  

Des titres comme « Essaouira », « Monaco », Portland » ou « Rocks » constituent-il une invitation au voyage ?

Chacun de nos albums est en quelque sorte un voyage. Pendant que nous ébauchions les morceaux, parce que nous ne parvenions pas à nous mettre d'accord sur les titres, nous avions choisi de leur attribuer des noms de lieux ; et certains sont restés, comme « Monaco ».

Une grande partie de ceux-ci ont été composés et réalisés dans mon studio, Oxford Sound. Pour la première fois, nous avons eu l'impression de disposer de notre home studio. 

Et nous avons pu prendre notre temps, sans ressentir de pression, comme à l'époque de la création du groupe ; c'est la base de tout cet album, dont pratiquement toutes les maquettes originelles proviennent de ces sessions.

Au début, nous n'avions même pas d'ingénieur ou de producteur ; je coiffais, par moments, une casquette d'ingénieur et à d'autres, celle de membre de Ride.

Après la Covid, être à nouveau ensemble dans une pièce et avoir le sentiment que nous pouvions créer de la musique sans avoir à subir la pression de l'argent et du chrono qui tourne, a été une belle émotion.  Personnellement, j'apprécie disposer de temps ; je ne suis pas très doué lorsqu'il s'agit de travailler de manière systématique en termes de créativité musicale. 

« Monaco » s'est concrétisé un soir où tout le monde était parti. J'ai branché le micro, me suis servi un verre de cidre et observé ce qui allait se produire. Je suis passé sans cesse de la console au studio, et j'ai enregistré toutes mes voix durant cette de soirée d'autothérapie. Cette chanson est devenue, en quelque sorte, un exorcisme des pensées noires qui m'ont rongé pendant et après la covid, quand je me suis retrouvé seul dans mon studio. A l'époque, j'ai même douté que nous rejouerions de la musique un jour et que nous accorderions à nouveau des concerts. Ces moments difficiles ont rendu cet album très puissant.

Comment êtes-vous parvenus à conserver la signature initiale d’un son, pendant 30 ans, sans ‘sonner’, justement, obsolète.

Dès le premier jour, nous avons tenté de proposer de la musique qui, à notre avis, était censée être intemporelle. Mais je ne suis pas certain de savoir ce que ce terme signifie (il rit) ; à mon avis, la musique ska est intemporelle, tout comme le hip-hop des débuts. La musique de bonne qualité s’avère quelque part éternelle, mais si vous optez pour un créneau ou une scène spécifique, elle peut rapidement devenir caduque, notamment si votre son est très typé. Les Sex Pistols demeurent excellents à l'écoute, mais d'autres groupes punks résistent moins au temps qui passe…

Il s'agit également d'une question de public, d'auditeurs et de la façon dont les humeurs changent.

En tant que producteur, mon seul véritable indicateur, c’est quand un morceau me touche vraiment. Il est achevé lorsqu'il enclenche chez moi le curseur émotion. Ce processus reste indéfinissable, magique ; et, ce qui est heureux, impossible à obtenir par le biais de l'intelligence artificielle !

Nous ne fabriquons pas des saucisses, mais parfois, un ingrédient peut manquer, pour en fabriquer une d’excellente qualité (rires).

La musique n'est donc pas une science exacte...

Exactement (rires) ! On a, bien sûr, recours à la science dans un studio, de la science sonore, de la technologie. Une fois que vous y avez accès, le reste n'est que pure créativité. Une sorte de peinture extrêmement colorée, où les tons sont les multiples sons que l'on tente d'agencer afin d'entrer en contact avec son public, son auditoire.

Le titre « Monaco » tourne sur lui-même à la manière d'un carrousel.

Oui comme une attraction de fête foraine.

J'ai écrit cette chanson partiellement en France, à la suite d’une conversation avec un musicien français en compagnie duquel je collabore. Il me confiait bosser huit ou neuf mois, puis disposer de temps, durant lequel le gouvernement le rétribuait, afin de réfléchir à d'autres projets.

Nous ne connaîtrons jamais rien de tel en Angleterre. Et il a ajouté :  ‘les Anglais et les Américains vivent pour travailler au lieu de travailler pour vivre’. Cette réflexion m'a paru juste et m'a vraiment marquée. C'est comme si l'Angleterre était devenue semblable à l'Amérique...

J'ai ressenti cette colère que j'ai insufflée dans cette chanson ; le sentiment que nous sommes trop capitalistes, que le coût de la vie devient insupportable, que nous passons notre temps à éponger nos factures plutôt qu'à vivre. Parler de « Monaco », c'était évoquer le capitaliste outrancier dans toute sa splendeur, dans un lieu grotesque où il se concentre. Un autre monde, un univers de contes blingbling où je ne voudrais jamais vivre. S’il existait un peu plus d’équité dans la société, nous pourrions tous vivre un peu plus aisément et disposer d'un peu plus de temps pour... vivre correctement. Ce qui pourrait se révéler bénéfique pour tout le monde, y compris pour les riches.

« Monaco » est une sorte d'appel aux armes. Nous ne sommes pas obligés de nous soumettre à cette pression que l'on nous impose, de travailler comme des robots...

Ride : « Interplay » (Wichita) – sortie le 29 mars 2024

Photo : Cal McIntryre

 

Novastar

Je suis très sensible aux sons, au timbre, à la couleur des mots…

Écrit par

Pilier de la ‘belpop’ depuis 25 ans, le belgo-hollandais Joost Zweegers, mieux connu pour son projet Novastar, a choisi, plutôt que de se remémorer ses succès du passé, de les réinterpréter, à l'instar de « Mars Needs Woman » ou « Never Back Down », en imaginant une musique, fruit d’une une alchimie subtile entre celles des Beatles, de Neil Young, de Tom Petty et de Randy Newman. A ses dix incunables, Joost, accompagné de son combo britannique, en a ajouté un nouveau, « Look At You Know », qu'il compte bien jouer cet été lors de son passage, en tête d'affiche, de la cinquantième édition du festival de Dranouter. Comme d'ailleurs le titre éponyme de cette compilation, opportunément et ironiquement intitulée « The Best Is Yet To Come », qui au lieu d’une compile, et devenue un best ‘tof’…

Pourquoi cette relecture de votre œuvre ?

Parce qu’il y a dix ans que j'enregistre mes disques à Brighton, en compagnie des musiciens et producteurs britanniques, lesquels me réclament un ‘best of’ depuis des années ; ce que je n'ai jamais accepté, refusant de regarder en arrière. Finalement, je me suis dit que si je devais sortir une compilation, c'était maintenant ou jamais, dans le cadre de mon changement de label, et par le biais d'une relecture en compagnie de ce groupe, plutôt qu'au travers des enregistrements originaux.

Je l'ai réenregistré en direct, qui plus est, au studio Abbey Road. Vu l'histoire mythique du lieu, c'était comme un rêve d'enfant pour moi.

Et vous êtes plutôt Harrison, McCartney ou Lennon ?

C'est surtout la synergie entre les quatre musiciens que j'apprécie. The Beatles, en tant que groupe, reste ma plus grande source d'inspiration, tout comme Neil Young. Les Beatles pour les chansons pop et les voix ; et Neil Young pour la vibe mystique.

Quels rapports entretenez-vous avec ce dernier ?

Je suis autodidacte, et j'ai débuté en interprétant des chansons de Neil Young quand j'avais quatorze ans. Et lorsque j'ai connu le succès en 2000, j'ai entrepris une tournée européenne complète en compagnie du grand rocker canadien. Partir en tournée avec mon idole m’a beaucoup inspiré.

Vous êtes toujours en relation ?

Non. Cependant, je communique toujours avec des membres du Crazy Horse, son groupe, et son producteur, Niko Bolas. Mais j'ai eu d'excellents contacts avec Neil pendant cette tournée, et cela s'est révélé primordial pour moi. Je donne souvent des concerts en solo, au piano et à la guitare, et c'est sous ce format que mon côté Neil Young s'exprime. En revanche, lorsque je me produis auprès de mes amis britanniques, le résultat ressemble davantage aux Beatles.

Etes-vous plutôt Elton John, Randy Newman ou Billy Joël ?

La profondeur de Randy Newman correspond mieux à ma musique, surtout en solo. Il en va de même pour l'Elton John des deux ou trois premiers albums. Il est vrai que sur ce ‘best of’, j'ai laissé de côté les guitares acoustiques au profit du piano.

Novastar, est-ce un vrai groupe ou plutôt l'émanation de votre personne ?

C'est plutôt mon personnage public. Je n'ai jamais vraiment disposé d'un groupe stable ; d'une part, parce que je désirais être totalement libre, et de l'autre parce que j’accorde beaucoup de concerts solos.

Désormais, vous vous considérez comme Belge ou Hollandais ?

J'ai vécu en Belgique toute ma vie et je suis un grand fan de ‘notre’ pays. Je suis né dans le sud des Pays-Bas, à la frontière de la Belgique et j'ai toujours demeuré dans le Limbourg. Je me sens comme un Belge sur un vélo hollandais (Il rit)

Mais j'adore jouer de cette ambiguïté. Je me produis également souvent aux Pays-Bas où l'on me pose souvent cette question ; et évidemment, je réponds que je suis hollandais (rires) !

Pensez-vous un jour enregistrer un elpee en néerlandais ou en français ?

Si cela se produit, ce serait plutôt en français. J'adore le son de la langue française qui, comme l'anglais, est très agréable à chanter. Le français a un son totalement différent, mais sa couleur se révèle également très romantique.

Car je suis très sensible aux sons, au timbre, à la couleur des mots. Je travaille une composition jusqu'à obtenir un bon texte en termes de sens, mais aussi de timbre et de tonalité. C'est ce que font également les Britanniques ; parfois, un texte peut être très simple, mais sonner parfaitement et toucher dès lors l'auditeur. Alors que dans le cas des Américains, il s'agit souvent d'une histoire, d'un récit... mais sans les couleurs.

Être invité à vous produire à Dranouter dans le cadre de la cinquantième édition du festival, cela vous honore ?

Oui, je m’y suis produit à plusieurs reprises. A l’origine, c’était un festival très folk. J'adore ce lieu situé au pied du mont Kemmel. Je suis vraiment honoré d'être à l'affiche que je vais partager avec l'un de mes grands amis, Mike Scott des Waterboys, avec qui j'ai composé. Il y a d'ailleurs de grandes chances que nous fassions quelque chose ensemble sur scène lors de cette cinquantième édition...

Novastar : The Best Is Yet To Come (Universal) – paru le16/02/2024

Festival Dranouteur, du 2 au 4 août prochain. Infos : www.festivaldranouter.be

 

Cat Power

Jésus, Bouddha, Marie-Madeleine, Biko, Dylan et les autres…

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Cat Power a adapté le concert mythique accordé par Bob Dylan, à Londres, en 1966, sur un album intitulé "Cat Power Sings Dylan : The 1966 Royal Albert Hall Concert". Et la voix de la chanteuse américaine est parvenue à magnifier les chansons. Dans la ‘conduite’ de son interview, c'est elle, Cat Power, qui fait… Bob

C'est la plus belle voix féminine du rock alternatif, la plus chaude en tout cas. La plus déglinguée aussi. Car, tout au long de ses 25 ans de carrière, Chan Marshall, alias Cat Power, a combattu ses démons : la drogue, l’alcool et la dépression. Et son dieu dans sa lutte face à l'enfer de sa vie répond au nom de Bob Dylan.

Elle qui a pris l'habitude de se reprendre en main en multipliant les… reprises, entonne cette fois non pas une prière mais une messe entière : Cat Power réinterprète, en effet, un opus légendaire et bootleg du ‘Zim’, enregistré live comme son modèle, note à note et mot pour mot, et dans le même temple musical : l'Albert Hall de Londres. En 1966 dans le cas de Robert Zimmerman, en novembre 2022 pour la chanteuse américaine.

Laquelle nous reçoit à Paris dans sa chambre de l'hôtel Costes… aussi baroque qu'elle. Elle est allongée sur son lit. Telle une odalisque, elle réclame au serveur convoqué, 12 verrines de marshmallow et chocolat, tandis que nous prenons place sur une chaise à côté de sa couche, pour une séance de psy à la Henry Chapier dans son fameux Divan, lors d’une interview qui tourne rapidement au monologue... extérieur.

Vous étiez âgée de cinq ans lorsque vous avez découvert cet elpee pirate de Bob Dylan. Ses chansons ont-elles servi de berceuses pour la jeune enfant que vous étiez ?

J'ai été élevé par ma grand-mère jusqu'à mes cinq ans, moment où j'ai enfin rencontré ma mère, peu de temps avant mon père. Puis, mon beau-père… Nous vivions tous ensemble en compagnie des membres du groupe majoritairement black, le Mother's Finest. Ma baby-sitter était afro-américaine, tout comme Patrick Kelley, le styliste qui, à l'époque, remplissait le rôle de père, à mes yeux.

Mon environnement était constitué de jeunes adultes brillants et originaux pour qui la mode, la musique et la drogue occupaient une place essentielle. Ma mère était chanteuse et lorsque je l'ai rencontrée, elle se faisait appeler Ziggy. Elle se prenait pour Ziggy Stardust…

Mon père, musicien dans un groupe de blues et de soul, était moitié Juif allemand, moitié Indien choctaw et un disciple de la Black Church (NDR : églises protestantes fréquentées par des Afro-américains) du Sud de l'Alabama où il a appris à chanter. Il a ensuite déménagé à Atlanta, a rencontré ma mère qui avait quitté l'école. Elle avait 17 ans, fumait de l'herbe, était très belle, amusante, et sauvage.

Vous naissez très vite et votre beau-père s’immisce dans la vie de votre mère...

Oui. Mon beau-père militait au sein d'un autre groupe musical. Il adorait Dylan, Neil Young, Jimi Hendrix, Arthur Lee, Crosby, Stills and Nash, The Byrds, les Stones et les Beatles…

Grâce à mon beau-père, j'ai appris à écouter les paroles de Bob Dylan qu'il fredonnait constamment. Dylan a éveillé mon esprit critique dans la confusion de ma jeunesse. Et à travers les chansons de Bob, il m'a appris à me poser des questions… et à chercher mes propres réponses dans l’existence. Il m'a appris à écouter...

Parce que j'ai été témoin et spectatrice, quelque part, de sa motivation à s'épanouir personnellement grâce aux paroles de Dylan, j'ai passé ma vie à y réfléchir. Bob Dylan m'a enseigné l'esprit critique et m'a ouvert à la poésie.

Mais Bob s'adressait souvent aux femmes dans les chansons, que vous interprétez à votre tour ?

Que je sois une femme interprétant les paroles qu'un homme leur adresse n’a, personnellement, pas d’importance. J’ai d’ailleurs toujours affiché un côté garçon manqué.

Et quand Bob chante "Visions of Johanna", bien qu'il ait connu des aventures avec des femmes sublimes comme Marianne Faithfull, Françoise Hardy ou Eddie Sedgewick, j'ai le sentiment qu'au fond de son cœur, il s'adressait à la figure féminine, féministe avant l'heure, de Jeanne d'Arc.

Votre féminisme serait-il plutôt révolutionnaire à la Angela Davis ?

La photographie qui réunit Gloria Steiner, grande figure du féminisme, et Angela Davis est l'une des plus importantes de tous les temps. Savez-vous que l'ERA, l'amendement sur l'égalité des droits entre les sexes, déposé il y a un siècle, n'a toujours pas été adopté aux États-Unis ? Nous les femmes, sommes toujours deuxièmes...

Avez-vous envoyé votre enregistrement-hommage à Bob Dylan ?

Lorsque l'an dernier, j'ai signalé mon concert du 5 novembre à l'Albert Hall de Londres et deux autres en Grande-Bretagne, le lendemain, Bob a annoncé sa tournée au Royaume-Uni et dans les mêmes villes.

Je l'ai aperçu sur les marches du même hôtel au sein duquel je logeais, la veille de son concert d'Halloween. Je me suis approché et je l’ai interpelé : ‘Bob !’ Mais il a détourné le regard. J'ai alors ajouté : ‘C'est Chan, Cat Power’. Nous nous étions rencontrés 15 ans plus tôt. Il a alors mis son bras autour de mon épaule en disant simplement : ‘C'est bien de te revoir’. Et quand je suis remonté dans ma chambre, une ‘Guest’ pour son concert solde-out du lendemain m'attendait...

Quelqu'un crie Judas durant votre concert, au même moment que sur l'enregistrement original, quand Dylan se met à électriser son style acoustique. Et vous répliquez par un ‘Jésus’... 

Bob n'est qu'un homme. C'est pourquoi j'ai prononcé le nom de Jésus ; n'importe qui, s'il travaille dur, comme Bob, qui a lu toute la littérature du 19ème siècle, peut devenir Malcolm X, Bouddha, Gandhi, Stephen Biko, Bob Dylan... ou Jésus.

Incarneriez-vous, dès lors, Marie ou Marie-Madeleine par rapport à ce Jésus ?

Oh, c'est intéressant... À cause de la fierté que je ressens pour Bob qui s'apparenterait à la fierté d'une mère ? Waouh, c'est magnifique !

"Cat Power Seings Dylan : The 1966 Royal Albert Hall Concert", paru le 10 novembre 2023 sur Domino.

Photo Credit: Inez & Vinoodh.

 

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