Sous des allures de fête nationale, ce 21 juillet rime aussi avec la fin du festival de Dour ! Inutile de dire que les festivaliers mettent le paquet pour insuffler ce qui leur reste d’énergie afin de mettre une ambiance de feu.
‘Te Deum laudamus’ (Trad : ‘Nous te louons, ô Dieu’) ! Alors que les calotins se pressent dans les églises dans le cadre du Te Deum, à Dour on continue de communier comme des enfants de chœur.
La pluie que l’on avait prédite en abondance n’a finalement pas été dévastatrice. Juste quelques gouttes éparses qui ont fort bien été accueilles, d’autant plus que la veille, l’air étant devenu complètement irrespirable. La météo, n’est-elle pas censée prédire le temps ?
L’affiche du jour recèle bien des surprises aujourd’hui, à commencer par Hansel. Le groupe, pas le frangin de Gretel, référence au célèbre conte.
Le combo est drivé par Mathieu Buisson, un gars à la chevelure de lion. Armé d’une guitare, il est accompagné de Christian, Julien et Bob. Ce dernier, gratteur, n’est pas un inconnu, puisqu’il s’agit d’Eric Robette, un vieux de la vieille que l’on a notamment croisé chez Starving. Construit autour de Boods (un personnage notoire dans la région), ce groupe a sévi, il y a quelques années, et connu un joli succès.
Hansel fait office d’OVNI au ‘Garage’. Pourtant, le style expérimental semble plaire. Les festivaliers se sont rués en masse sous la tente, la musicalité intégrant les caractéristiques d’un univers allant du faux-romantisme désabusé à la métaphysique psychédélique avec ces riffs de guitares électrifiés qui s’enfoncent dans les portugaises jusqu’à marteler les tympans. Ce qui conduit à des chansons pas simples du tout sur le plan technique, mais d’une efficacité redoutable. Un jeu d’instruments d’une précision chirurgicale et qui cognent dans les gencives, comme l’uppercut du boxeur.
Si vous aimez les profondeurs abyssales sonores et les rêves subconscients accessibles, réjouissants et jouissifs à l’instar du morceau « First Fruit », Hansel et son post-rock intense et progressif est taillé pour vous !
Ceux-là bourlinguent depuis quelques années et ça s’entend !
RORI, la petite belge qui monte, est plantée sur la main stage. Sa taille est inversement proportionnelle à cette scène, qui pour le coup, paraît immense.
Votre serviteur l’a déjà vue à plusieurs reprises, tant sous cette formule que lorsqu’elle militait chez Beffroi en compagnie de son Valentin Vincent, décédé à l’aube de sa vie. Entre rap et électro, le cœur de votre serviteur chavire au contact de cette expression sonore desservie avec justesse et émotion par Camille Gemoets.
Toujours flanquée de ses fidèles serviteurs, l’ex-The Subs, Hadrien Lavogez, préposé à la guitare, et Loïc Lavogez, caché derrière les fûts, la demoiselle entame son tour de chant par « Ma Place », dont le phrasé, les sonorités pop et les appuis rythmiques sont très communicatifs. Le band livre une forme de pop/rock chanfreiné, qui lui va comme un gant.
Un set qui épluche une carrière jeune, mais fort prometteuse. Elle s’épanche éperdument dans son « Loser » ; mais elle comprend vite que « C'est la vie » révèle là aussi de beaux accents qui lui rongent le corps.
Le public, enivré par cette fausse nonchalance dont elle a le secret, n’y tient plus, l’exaltation des débuts rend les aficionados subversifs.
Et que dire lorsque, elle se rend chez son « Docteur » pour y décrire la syncope d’une foule en délire.
Capable de vous retourner de solides punchlines, l’ingénue est devenue une figure de proue de la scène musicale noir-jaune-rouge. Elle s’affranchit des préjugés pour servir une sauce pop acidulée devant un public que l’on dit souvent élitiste.
Retour au ‘Garage’, non pas y réparer sa bagnole, mais pour assister au set de Joshua Murphy. Avez-vous, lorsque vous étiez jeune, découvert que le cadeau dans le kinder n’était pas celui auquel vous vous attendiez ?
C’est le cas ici ! Chanteur, multi-instrumentiste et auteur-compositeur, Murphy est épaulé par un préposé aux percus et aux effets, ainsi que trois demoiselles : deux violonistes et une violoncelliste.
Le public a déserté les lieux. Trois pelés et deux tondus scrutent les lieux comme de vieux cons qui guettent le bus.
Joshua s’avance d’un pas plutôt timide et entame tout de suite le concert. Une évidence saute aux oreilles : son timbre de voix –quelque part entre celui de Léonard Cohen et Nike Cave– ressemble à une ondulation grave qui viendrait d’outre d’outre-tombe. On est ici proche du spoken word (littéralement ‘mot parlé’), une façon particulière d'oraliser un texte, qu'il soit poétique ou autre.
Ses compositions hantent le même monde onirique et sourd que celui d’un dépressif. Sa silhouette dessinée en contre-jour, lui confère un côté mystérieux, voire gothique.
Très objectivement, les sonorités du lascar sont très intéressantes lorsqu’il effleure les cordes de sa gratte de ses doigts ou encore en se servant d’un archet (qu’utilise régulièrement Jónsi), telle l’arbalète de Guillaume Tell dont la flèche cible une brutalité cachée.
Les vagues sonores déclenchées par l’artiste, pourtant confirmé, ont dû mal à s’imposer. Il aurait été sans doute beaucoup intéressant de le découvrir au sein d’un endroit plus feutré, comme une église, cierge à la main ou alors dans son salon, une bouteille de whisky dans une paluche, et un cigare dans l’autre.
Joshua Murphy, c’est l’antithèse de Brutus qui se produit dans la Petite Maison dans la prairie. Il s’agit un groupe belge de post-hardcore, originaire de Louvain, formé en 2014.
Un trio. D’abord deux mâles, Peter Mulders à la basse et un Stijn Vanhoegaerden à la sixcordes. Ensuite, une gonzesse, Stéphanie Mannaerts, une petite brune aux allures de première de classe, dont les cheveux sont impeccablement lissés. Originaire de Louvain, le band s’est établi à Gand, une ville flamande réputée pour sa scène rock locale, et qui a notamment enfanté Soulwax, Too Many Dj’s ou encore Balthazar.
La fille se poste en front de scène, le micro posé à la hauteur de sa bouche pour chanter tout en jouant de la batterie. Ses compagnons préfèrent s’éloigner et se plantent à l’extrême gauche de l’estrade. La trouille ? On verra !
Après une longue intro au synthé, elle frappe les peaux, avec une violence telle que la rage se lit dans ses yeux, alors qu’elle affichait, jusqu’à présent, des airs angéliques.
La musique de Brutus oscille entre post-hardcore, alt rock, shoegaze, et sludge. Parfois elle fusionne les genres ou simplement les juxtapose, suivant les morceaux. Elle est à la fois étrange, pêchue, engageante, mélodieuse et rigoureuse, malgré les épisodes de saturation.
Les titres s’enchaînent. Les mélodies ondoient ; ce qui permet aux morceaux de respirer. Tantôt, ils accélèrent, tantôt ils décélèrent, dans un ballet de va-et-vient qui donne le tournis.
La chanteuse braille comme un cerf en rut, jusqu’à son point de non-retour. Elle vocifère, crache sa haine et ses sentiments les plus profonds à travers un flow de paroles écorchées vives. La demoiselle possède du coffre et pas seulement dans le sous-tif. Ses envolées lyriques empruntent quelquefois des références à Amy Lee, la leader d’Evanescence.
Les chansons sont puissantes. Le kick vous rentre dans les tripes, la basse vous creuse le cervelet et les riffs de guitare cisèlent le slip. C’est viscéral, ça pue la rage et c’est d’une maturité rarement observée pour des jeunes musicos. Un régal pour les yeux et les oreilles. Un concert ultradynamique, riche et complet alors que le combo n’est, rappelons-le, constitué que de trois personnes. Force et respect !
Brutus porte un patronyme qui lui va bien ! A ce jour, c’est l’une des formations les plus excitantes programmées lors de cette édition du festival de Dour.
Putain, que ça fait du bien !
Girls In Hawaii est attendu de pied-ferme sous ce même chapiteau ! Les festivaliers, dont de nombreuses filles aux allures de mecs, se pressent en nombre afin d’être aux premières loges pour ce qui reste de devenir un moment d’anthologie.
Le groupe n’est pas venu présenter un nouvel opus, mais bien pour y fêter le vingtième anniversaire de « From Here To There », un premier essai qui les a propulsés au faîte de la gloire.
Il a foulé, à de nombreuses reprises déjà, la plaine du festival de Dour, il en connaît donc les contours, les travers et son caractère décalé et iconoclaste.
Le set commence par « 9.00am », le titre d’ouverture du disque. Antoine précise d’ailleurs que le show sera dispensé dans l’ordre du disque. Une compo percutante qui donne le ton, rapidement suivie par « Short Song For Short Mind » et ses accents vintage.
Alternant gratte électrique et sèche, Antoine Wielemans entame ce qui deviendra le premier succès radio, « Found In The Ground ». Sa voix est admirablement soulignée par celle de Lionel Vancauwenberghe. L’atmosphère s’électrise inexorablement.
Si aujourd’hui, des planchers ont été dispersés sur le sol, autrefois, il n’y avait que de la terre battue, ce qui permettait, lorsqu’on tapait du pied, de soulever la poussière. Puisque cette époque est donc maintenant révolue, le chanteur demande d’utiliser les vaporettos pour recréer cet effet de brouillard à l’instar d’un « Fog » qui enfume les pâquerettes.
Alors que « Fontannelle », morceau peu joué en live dans la carrière du band prend fin, le monstrueux « Flavor », caractérisé par son intro répétitive à la basse, embraie. Ce qui permet aux musiciens de se déchaîner. Si le frontman s’amuse à grimer, ses comparses laissent libre cours à une folie passagère où têtes et membres inférieurs communient ensemble, révélant un spectacle étrange, entre mouvements saccadés et danse de Sioux.
Alors que quelques petites secondes seulement s’écoulent, le sublime « Organeum », confirme que la formation, à l’instar de dEUS, est l’un des porte-étendards du rock belge.
Une chanson durant laquelle, le petit Toitoire, genoux posés au sol, semble entamer une prière.
Ses frasques artistiques ayant causé la perte des piles de son ‘in-ear’ (NDR : système de monitoring intra-auriculaire), un appel au secours est lancé au frontman qui s’élance, tel un guerrier.
Il faut attendre « Bees and butterflies », morceau mélancolique à la douceur âcre, pour retrouver un brin de sérénité, chaque membre du band conjuguant en chœur le refrain entêtant. Une chanson où la tessiture vocale du singer, légèrement éraillée, prend tout son relief.
Le set touche doucement à sa fin. Le leader annonce que le groupe a encore deux titres à caser et que, faute de temps, il faut faire vite.
Les arpèges de « Misses » et ses loops synthétiques sont chargés de souvenirs. L’ombre de feu Denis Wielemans, qui brillait derrière les fûts, décédé tragiquement d’un accident de la route en 2010, plane toujours. Il faut considérer cette sublime compo (elle est issue du remarquable « Everest) comme un vibrant hommage qui lui est rendu. Mais aussi un regard émouvant sur le deuil et cette faculté de résilience auxquels le combo a dû faire face, il y a quelques années.
Enfin, « Rorschach », outil d'évaluation psychologique, souvent perçu à tort comme un test de type projectif, est aussi et surtout un titre emblématique de GIH. Son flot de guitares salvatrices et saturées couronne un live décidemment plein de surprises. La précision du jeu des uns et des autres est impressionnante. Rythmique syncopée et chœurs viennent lécher encore un peu plus ce tableau arc-en-ciel.
Aucun doute, le groupe n’a rien perdu de son potentiel en près de deux décennies. Girls in Hawaii a une nouvelle fois prouvé, ce soir, qu’il reste incontestablement l’un des groupe phares de la scène indé-pop musicale belge.
Le temps d’enfiler ses bottes de sept lieues, des godasses magiques qui s’adaptent à la taille de celui qui les chausse et permettent de parcourir cette distance en une seule enjambée, votre serviteur arrive, en un temps record, au pied de la main stage pour le concert d’Oscar And The Wolf.
Si depuis des lustres, les loups ont l'habitude de hurler à la lune tous les soirs pour qu'elle s'illumine et pour pouvoir chasser ensuite, le gars sur scène a plutôt l’air d’un mouton. Et accompagné de brebis, pardi !
Flanqué d’un ersatz de peignoir, agrémenté de légères pointes de brillances, sans doute emprunté à Mike Tyson, Max Colombie, à la ville, est un chanteur de synthpop belge. Après avoir gravé deux Eps qui récoltent un certain succès, il sort, en 2014 un premier long playing baptisé « Entity », d'abord au Benelux puis dans le reste de l'Europe. En 2017, paraît son deuxième, « Infinity », et en 2021, son troisième, The Shimmer ».
Un cube aux allures gigantesques trône au milieu du podium. Plus qu’un simple élément décoratif, la forme géométrique sert d’appui à la diffusion d’images et de support aux scénographies. Et de danses (‘dance’ ?), il y en aura. Beaucoup !
Et dès « Warrior », le morceau d’entrée, l’artiste se transforme en guerrier, alors qu’il se hisse sur le plateau du cube tout en se trémoussant.
Tandis qu’une dizaine de danseurs se sont attroupés au pied du prisme dont toutes les faces sont égales et superposables, le chanteur descend de son piédestal et enchaîne par « The Game et Princes », un morceau chill qui s’inscrit dans une veine électro.
Le petit a livré une prestation haute en couleur, à l’image de ce qui ressemble à un maillot de foot de couleur rouge pétante, confectionné pour l’occasion. On ne peut rater ni l’inscription ‘DOUR 24’ dans le dos, ni l’écusson belge brodé sur le devant.
En tout cas, cet artiste connaît parfaitement les codes du genre et maîtrise la communication vis-à-vis de son public et des médias.
Entre les dansants « Angels Face », « Nostalgic Bitch », « Infinity », c’est encore lors du downtempo « You’re Mine » que la voix du prodige de la chanson devient la plus émouvante. Cette chanson est d’une puissance sidérale. Elle s’enivre d’un goût de bienveillance et de volupté.
Alors que la dynamique du show est bien ficelée, elle s’estompe quelque peu pour laisser place à un hologramme plaqué sur l’énorme cube ; des discours, aux allures philosophiques, apparaissant alors. Celui-ci qui semblait jusqu’alors plein de certitude, devient soudainement vulnérable.
Il s’éloigne de la scène, côté backstage, son avatar prend le flambeau et se livre très sérieusement dans un profond discours ‘Je ne sais plus qui je suis, parfois’ et de réapparaître vêtu d’une cape noire. Si la cape symbolise la puissance de Batman, l’artiste devient soudainement Joker, son ennemi juré, un laissé-pour-compte, abandonné. Une descente aux enfers où un homme fragile sombre dans la folie à travers une métamorphose autant physique que psychologique, reflétant l’image des titres plus sombres qui l’emmèneront jusqu’à la fin du show.
Clou du spectacle et fête nationale oblige, un feu d’artifice conclut une prestation que l’on retiendra tant par son engagement que par son envergure à l’Américaine.
Si le light show s’est avéré discret, à l’issue de spectacle, les inscriptions exposées de part et d’autre de la scène (‘It’s OK not to be OK’) restent visibles.
Une édition digne de ce nom. Des festivaliers curieux, des artistes venus d’ailleurs et une culture de la bonne camaraderie qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
Alors que les plus téméraires quittent d’un pas pressé le site, les autres, plus courageux, se réfugient auprès des nombreux sets dédiés à la musique électronique.
La prairie est impeccablement propre. Demain, le site retrouvera son pristin état et les tentes auront disparu du paysage.
Au loin, certains Borains répètent à tue-tête ‘In V'la Co Pou Ein An !’ D’autres s’efforcent de leur opposer l’imparable slogan ‘Dooouuurrreeeeeehhhhhhhhh’.
Une édition qui se termine dans la joie et la bonne humeur. C’est ça aussi le Festival de Dour !
(Organisation : Dour festival)