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Sergent Garcia

Tombe le masque

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Physiquement, Bruno Garcia est tout le contraire de son maladroit homonyme popularisé par les aventures de Zorro. Entre la casquette vissée sur un crâne rasé de près et le cigare cubain qui jette un max', l'ex-Ludwig Von 88 a par ailleurs les idées beaucoup plus claires, poursuivant toujours les mêmes buts: l'engagement, mais aussi la fête et l'évasion momentanée hors des problèmes du quotidien. Sa recette sud-américaine tient en un mot: salsamuffin...

D'où te vient cette volonté de métissage? L'avant Sergent Garcia était pour toi un carcan?

Les Ludwig? Ouais... mais en même temps, c'était un groupe déjà un peu à part sur la scène punk alternative. Nous n'étions pas spécialement calibrés punks car nous opérions déjà des incursions dans le reggae, le ska... Personnellement, je me suis aussi impliqué dans d'autres travaux: j'ai produit deux albums de Timide & Sans Complexe, un groupe de hip hop et joué au sein d'un soundsystem, Bawawa. Sergent Garcia est un peu la résultante de tout ça.

Ce n'est donc finalement pas un projet bien neuf ?

Il compte quelques années d'existence. Je suis apparu sous le nom de Sergent Garcia au sein de Bawawa Soundsystem. J'y faisais juste du ragga en espagnol. Et un jour, je me suis dit pourquoi ne pas mixer, ne pas aller vers d'autres cultures, les musiques latines, les musiques africaines plutôt que la soul américaine? Mes origines latines me facilitaient la démarche. J'ai commencé à bidouiller, ce qui a donné lieu à un premier disque enregistré chez moi, seul, et composé à l'aide de machines. Ensuite, j'ai monté le groupe pour jouer cette musique et de fil en aiguille, nous en sommes arrivés à ce second album...

Pourquoi cet univers à la Zorro? Bien sûr, il y a ton nom...

Voilà, ça aide, hein (rires)! C'est uniquement pour ça. Quand j'ai commencé à faire du soundsystem, je cherchais un nom de personnage. C'est vrai que les raggas en Jamaïque ont toujours des noms un peu imagés: Clint Eastwood, Ninjaman, Charlie Chaplin... Sergent Garcia collait bien à l'ambiance générale de l'histoire. J'aime bien son côté anti-héros; personne ne veut être le Sergent Garcia, tout le monde a plutôt envie d'être Zorro... C'est un peu une façon d'ironiser. Et aussi de me cacher derrière un personnage.

Certains textes et certaines notes de pochette laissent penser que tu t'intéresses au mouvement zapatiste...

Par exemple... Le mouvement zapatiste m'intéresse dans le sens où c'est un peu la première fois qu'on voit un mouvement qui ne se bat pas forcément pour prendre le pouvoir mais qui se bat pour sa propre dignité. C'est une des nombreuses causes perdues de ce siècle, mais elle vaut le coup de s'y intéresser, ne fut-ce que pour la vie. C'est le combat de la vie quoi.

Tu as eu l'occasion d'aller au Chiapas?

Non, mais je me sens proche dans la mesure où le mouvement zapatiste réclame juste la reconnaissance, la dignité d'incarner un être humain et de pouvoir vivre dignement une vie d'être humain. Ça, on y a droit dans tous les pays du monde. C'est aussi le problème de l'éducation, de la misère qui n'est pas seulement propre au tiers-monde, mais aussi celui de la France, la quatrième puissance mondiale, où vivent des gosses de 15 ans qui sont à moitié analphabètes. C'est aberrant! Ce genre de problèmes prépare les futures intolérances, les futurs intégrismes et les futures guerres. C'est le sens d'un morceau comme "Acabar Mal": 'Tout ceci peut se terminer très mal si on continue à mettre une telle pression sur les gens. Un jour, la marmite explose'.

Tu revendiques donc un certain côté engagé à cet album...

Oui, bien sûr. On y trouve des chansons de fête, des chansons d'amour, des chansons de révolte. Et puis des émotions, des réactions face à des événements qui se produisent dans nos quartiers, aux problèmes sociaux qu'on connaît ou rencontrés par des gens qu'on fréquente. Je viens aussi du rock alternatif réputé, quand même, pour être un mouvement musical assez politisé. C'est de cette façon que ça ressort. Et puis j'aime bien des artistes comme Ruben Blades, des gens qui diffusaient, dans les années 70-80, un message social, sur une musique festive et très joyeuse, mais qui étaient néanmoins des acteurs dans leur époque...

D'où vient, à ton avis, l'intérêt actuel pour cette musique sud-américaine?

Je crois qu'il y a quelque chose de plus large qui se passe. Aujourd'hui, il y a tout simplement une place pour la musique métissée. Elle est une des conséquences des flux migratoires de ces 40 dernières années. Pas seulement pour la musique latine. Elle est peut-être un peu plus latine parce qu'en France, cette communauté est importante ; mais c'est un mouvement général qui se traduit par les gens de Gnawa Diffusion comme par une scène indopakistanaise en Angleterre... On assiste en gros à une espèce d'émergence des musiques du tiers-monde mais vécue dans les pays industrialisés.

Au fait, les Ludwig existent toujours?

Le groupe existe toujours, mais nous n'accordons plus de concerts et n'enregistrons plus de disques. Donc j'en parle un peu au passé. Il n'existe pas de date officielle pour la dissolution, mais nous avons encore quelques projets. Nous sommes occupés de préparer une comédie musicale en compagnie d'enfants à Paris. Des projets du style, qui n'ont pas grand-chose à voir avec les Ludwig même si le nom reste quelque part derrière. C'est quand même pratiquement fini en tant que groupe...

Version originale de l'interview parue dans le magazine Mofo n° 74 de juin 99

 

Gomez

La vision panoramique de Gomez

Écrit par

Ils sont jeunes. Très jeunes, même. Et nous viennent du Nord de Liverpool. De Southport, très exactement. Un quintette qui compte, à son actif, quatre singles, dont le remarquable " 78 stone wobble ", et puis un premier album, " Bring it on ", qui a été très bien reçu dans toute la presse spécialisée. Excellents musiciens, les membres de Gomez ne sont cependant pas très loquaces, surtout lorsqu'ils doivent assurer une interview, préférant, soit éluder les questions, soit les tourner en dérision…

La pochette.

Le graphisme du booklet interpelle immédiatement. Des gravures très réussies, mais aux coloris ténébreux et aux motifs torturés qui vous flanquent instantanément une impression troublante de claustrophobie, de désenchantement. Une impression qui pourrait facilement s'expliquer par la situation économique du Merseyside, en proie à un taux de chômage effrayant. Et puis, par l'attitude du multi-instrumentiste, Tom Gray, le moins taciturne des cinq. Il a, en effet, participé aux marches organisées en faveur des mineurs en Angleterre. Maintenant, lorsqu'on lui rappelle cet épisode, il imagine qu'on le charrie. Et si on lui demande si Billy Bragg, régulièrement impliqué dans ce type de manifestation, est pour lui un modèle, il nous rétorque être davantage sensible à l'engagement social et politique de Woodie Guthrie. Mais revenons au graphisme du booklet. En couverture, un homme se pince le nez. Pourquoi ? Paul Blackburn, le bassiste, mais également le responsable de ces fresques n'aime pas trop voir analyser son art pictural. Ses répliques cinglantes corroborent ce point de vue. " Qu'est ce qui pue ? C'est l'haleine de Tom ! "  Et Tom d'en remettre une couche : " Oui, oui, c'est vrai, elle est tout à fait toxique ! "  En ouvrant le dernier feuillet, on découvre un bâtiment lugubre, blafard, jouxtant un autre tableau aussi sinistre, illustré par un visage en détresse, qui contemple cinq traits verticaux biffés d'une ligne horizontale. Est-ce le symbole d'un camp de concentration ? Le cri de détresse d'un détenu qui compte les jours qui lui restent à passer à l'ombre. Paul se défend de véhiculer de semblables desseins. " La tronche du personnage ne transpire pas le bonheur, c'est vrai ; mais le bâtiment n'est ni une prison, ni un camp de concentration ; c'est une usine. J'ai simplement voulu faire passer un message. Celui de l'allergie au travail. C'est tout ! "  (NDR : si on veut bien !)

Le style.

Difficile de comprendre comment de si jeunes musiciens, dont la moyenne d'âge est de vingt-deux ans, ont pu assimiler des styles aussi peu contemporains que le blues, le rythm'n blues, de l'école " Stax " en particulier, le psychédélisme de la fin des sixties ou la country ; et reconnaître pour influences majeures des artistes tels qu'Isaac Hayes, Curtis Mayfield, Marvin Gaye, Canned Heat, les Doors, le Floyd, Flying Burrito Brothers, Robert Johnson et même Ornette Coleman. Leur éducation musicale a-t-elle été tracée par leurs parents ? Tom réagit instantanément. " Pas du tout ! Nos parents n'écoutaient certainement pas Marvin Gaye ou Otis Redding. Un style beaucoup trop sensuel, lubrique pour eux (rires). Ils préféraient se brancher sur une musique plus douce, plus décente. Si nous reconnaissons ces influences, c'est parce que ce sont les disques que nous écoutons depuis notre plus tendre enfance. En fait, nous fréquentions régulièrement les disquaires. De vrais accros. Et dès qu'un vinyle était à notre goût, nous l'achetions. Ce qui explique pourquoi nous possédons une vision aussi panoramique de la musique. Il y a beaucoup d'espace et de volume dans ce que nous faisons. Nous nous intéressons à tous les courants musicaux, pourvu qu'ils correspondent à notre sensibilité. Nous ne nous limitons pas à parcourir un seul style, à adopter une seule formule. Nous élargissons notre paysage sonore, en mélangeant les sonorités les plus diverses. Cela nous permet d'accomplir notre propre voyage sonique, d'affirmer notre propre identité…" Une philosophie partagée par des artistes américains et surtout contemporains tels que Fun Lovin' Criminals, Cake et surtout Beck. Ben Ottewell, chanteur ou plus exactement crooner au timbre vocal aussi rocailleux que Tom Waits concède : " Cake est un très bon groupe. Leur dernier album n'est peut être pas très consistant, mais il recèle d'excellents morceaux. Cependant, je dois admettre ne pas suffisamment connaître ce groupe, pour pouvoir me prononcer à leur sujet. " Tom revient à la charge : " Les comparaisons, on s'en fout. Il faut bien que les médias trouvent matière à disserter. M'enfin, il vaut mieux être comparé à Suede qu'à Slade ! "  (NDR : on voit pas le rapport !) " Je ne vais quand même pas en faire une maladie parce que le groupe est bombardé de références. A priori, elles ne nous dérangent pas, mais il y en a tellement, qu'il faudrait un camion pour pouvoir les transporter ". Intervention soudaine de Ian Ball, le guitariste/harmoniciste : " Je n'aimerais pas que nous soyons comparés à Barbara Streisand ou à quelque chose dans le genre… " Finalement, il est à se demander si Gomez n'incarne pas la réponse britannique au funk post moderniste yankee des Fun Lovin' Criminals, et surtout de Beck. Encore que, côté groove, Gomez semble plutôt marcher sur les plates-bandes de Primal Scream. Et c'est loin d'être une critique négative. Ce qui n'empêche pas Ben de réagir : " Primal Scream ? Ils ont presque tout piqué aux Stones. Même le feeling de 'Gimme Shelter'. Enfin, nous ne sommes pas contre, surtout lorsque c'est bien fait. Leur dernier album m'a, en tout cas, beaucoup plu… " Et nous aussi !

L'identité.

Gomez est un nom qui colle bien à la formation. Parce qu'intrinsèquement, dans sa musique, on y ressent des influences latines, comme la bossa nova. Pourtant, aucun des musiciens n'a d'ancêtre espagnol, brésilien ou mexicain. En fait, Gomez est tout simplement le nom de famille d'un de leurs potes. Jason. Asiatique de surcroît. Mais alors, pourquoi diable, cette sensibilité latino ? Ben confesse : " Il n'y a rien de secret là-dessous. En fait, le rythme a beaucoup d'importance dans la structure de nos compositions ; et lorsque nous interprétons une chanson, un feeling latin domine instinctivement, naturellement, le tempo. Ce n'est pas le fruit du hasard. Ce sont des effets que nous recherchons. Et si c'est un hasard, c'est un hasard heureux. "

Une flopée de labels souhaitait signer le combo. Mais c'est finalement Hut, dont le catalogue épingle notamment Smashing Pumpkins, Verve et Placebo, qui a coiffé tous ses concurrents sur la ligne. (NDR : avec ou sans doping ?). Tom conteste l'idée reçue que le groupe aurait choisi cette firme de disques, en fonction de la notoriété de son catalogue : " Non, non, nous n'y avions pas pensé. Nous avons simplement signé ce contrat, parce que les gens qui travaillent dans cette boîte son sympas. Tout comme le boss, Dave Boyd, d'ailleurs. Et puis, nous sommes libres d'être aussi fous que nous le souhaitons, et aussi pop que nous le désirons… "

Merci à Vincent Devos.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 65 - Août 1998 - de Mofo)

 

Mogwai

La nature abstraite du bruit pur.

Compositeur/guitariste, mais surtout leader de Mogwai, Stuart Braithwaite parle peu. Mais lorsqu'il s'exprime, il le fait à bon escient, et avec beaucoup de bon sens. On comprend alors beaucoup mieux, pourquoi, les chansons de ce groupe écossais, de Glasgow très exactement, soient exsangues de vocaux. Pourtant, elles ne manquent ni d'attrait ni d'intérêt ; mais on a l'impression qu'elles ne savent pas toujours sur quel pied danser. Celui de la simplicité ou de la complexité…

En termes de " noisy ", des formations telles que Slint, Sonic Youth, My Bloody Valentine et Spacemen 3 ont-elles eu une influence majeure sur la musique de Mogwai ?

Nous apprécions ces groupes à leur juste valeur, mais notre principale inspiration " noise ", nous la puisons chez une formation de Philadelphie, Bardo Pond.

En peignant, à l'instar de Labradford, des paysages musicaux atmosphériques, peut-on dire que Mogwai émarge à l'école impressionniste? Avez-vous le sentiment d'avoir récupéré une partie de l'héritage abandonné par Joy Division ?

Impressionniste, oui. Mais surtout pointilliste. Un peu comme Schoenberg (NDR : compositeur américain d'origine autrichienne ; 1874-1951). De la même manière qu'un peintre cherche à traduire ses idées sur sa toile… Joy Division, constitue, à mes yeux, le meilleur groupe qui soit né au cours de ce siècle. C'est une source d'inspiration, je le concède. Et puis, être comparé à cette légende, est un véritable honneur. Cependant, je pense qu'on a encore du pain sur la planche avant de pouvoir espérer atteindre leur niveau…

Tu aimes la nature abstraite du bruit pur. Pour toi, l'explosion du bruit blanc t'apporte un état mental paisible. Pourquoi ?

C'est difficile à expliquer. Sonic Boom y parvenait. En reproduisant le bruit ultime, celui qui apporte la paix de l'âme. Pourtant, si la noise embrasse toutes les fréquences possibles et imaginables, elle a intérêt à atteindre un niveau transsonique, sans quoi, c'est de la merde…

En adoptant un tel style musical, n'as-tu pas peur d'être un jour taxé de revivaliste shoegazer ?

Pas vraiment, parce que les " shoegazers " appartiennent au mouvement pop. Nos sonorités sont beaucoup mieux définies, même si à premier abord, elles s'en rapprochent. Ce que nous interprétons, n'est pas vraiment de la pop, mais plutôt de la musique à l'état pur. En outre, à contrario des ensembles " shoegazzers, nous n'avons pas recours aux pédales de distorsion, telles que wah wah ou autres…

Penses-tu que dans la musique, la violence peur être esthétique et énergétique en même temps ?

Par définition, je suis une personne non violente. Mais il est vrai que la musique de My Bloody Valentine peut libérer une violence extrême. Un état d'esprit qui s'inspire de films comme " Rollerball " ou " Orange mécanique ". Bien qu'appréciant également ce type de long métrage, nous sommes conscients qu'ils ne sont pas réalistes…

Il existe très peu de place pour les parties vocales chez Mogwai. Est-ce parce que tu n'en vois pas la nécessité, ou tout simplement parce que tu n'as jamais déniché un chanteur à ton goût. A moins encore, qu'à l'instar de Tortoise, tu n'aies décidé de remplacer cette fonction par un xylophone ?…

En général, la musique n'a pas besoin de paroles. Elle se suffit à elle-même. Il n'est pas nécessaire d'ajouter des mots sur notre création. En fait, je pense que les parties vocales ont une fonction de remplissage mélodique. Parce que les mélodies sont plaquées sur les accords. Chez Mogwai, nous jouons la mélodie. C'est beaucoup mieux ainsi. Quant au xylophone, il a un meilleur son chez Tortoise, parce que c'est un " glockenspiel "…

Que représente la krautrock de Can et de Faust pour Mogwai ?

Un mouvement intéressant, mais qui ne nous obnubile pas particulièrement. Les rythmes répétitifs, hypnotiques de Can et de Neu ont inspiré Spacemen 3, et puis tous les autres. Nous aussi. Mais, nous ne sommes pas du tout obsédés par le krautrock…

Et les Chemical Brothers, auxquels une certaine presse vous prête une même perspective de la dynamique, une même capacité de libérer la tension optimale ?

Je n'aime pas trop les Chemical Brothers. Tout ce qu'ils arrivent à faire, c'est de la musique disco pour étudiants. Elle est trop fonctionnelle à mon goût pour vraiment m'intéresser. Ils sont certainement dynamiques, mais je déteste cette tendance " backbeat " ou " techno ". Je préfère la démarche entreprise par des formations comme Autechre, Aphex Twin ou Plastic Man…

Et la prog rock de King Crimson ? Circa " Lark's tongue in aspic ", pour être plus précis ?

Non, pas vraiment, Robert Fripp est un excellent guitariste ; mais hormis ses collaborations avec David Bowie et Brian Eno, je ne connais pas très bien l'œuvre de King Crimson…

Qui a eu l'idée de sortir l'album de remixes, " Kicking a dead pig " ?

Au départ, c'était une idée de la firme de disques. Mais comme nous avons eu la liberté de choisir ceux qui étaient intéressés par cet exercice de style, on peut dire que c'est également la nôtre… Je ne pense pas que ce soit un album incontournable, mais il donne une idée différente de notre création. Nous ne voulions pas de version house ou techno, mais plutôt une approche plus personnelle de la matière première. Et le résultat est parfois fort bon, comme celui opéré par Kevin Shields…

Que représentent les Gremlins pour Mogwai ?

Nous avons, en quelque sorte, volé l'idée du film pour choisir le nom du groupe, mais ce n'est pas notre film préféré. En fait, le nom sonnait bien, c'est tout. Nous sommes davantage attirés par des films de science fiction, de la trempe de " 2001 odyssée de l'espace " ; ils correspondent davantage à notre état d'esprit…

Merci à Vincent Devos

Version originale de l'interview parue dans le n° 68 (novembre 98) du magazine MOFO

 

Nada Surf

Militants pour la défense des droits de la femme...

Écrit par

Daniel Lorca est né à Madrid, mais a vécu presque toute son enfance à New York, où il est allé à l'école française, en compagnie de son ami de toujours, Matthew Caws. Vous ne serez donc pas étonnés d'apprendre qu'ils manient très bien la langue de Molière. Ce qui est assez exceptionnel pour des Américains. Ira Elliot, le troisième larron, est un New-yorkais de pure souche. Plus âgé que ses deux autres compères, il s'est forgé une solide réputation de drummer au cours des eighties. En jouant au sein de tas de formations de garage rock. Et notamment des légendaires Fuzztones. Le groupe vient d'enregistrer son deuxième album, " The proximity efect ". Mais, rien à faire, lorsqu'on évoque Nada Surf, on ne peut s'empêcher de penser à leur formidable hit, décroché en 1996, " Popular ". Et pourtant, cette popularité ne leur est pas monté à la tête, car Ira, Matthew et Daniel sont demeurés très simples, disponibles, tout en acceptant d'aborder des sujets parfois difficiles. Des types vraiment sympas !

Pourquoi avoir confié la production de votre deuxième album à Fred Maher ? N'étiez-vous pas satisfait des services de Ric Ocasek ?

D. : Il n'existe pas de raison bien particulière. Nous souhaitions tenter notre chance avec quelqu'un d'autre. Nous avions établi une liste de producteurs, auxquels nous aurions pu faire appel. Mais nous avons d'abord rencontré Fred. Il a écouté notre cassette et s'est montré très intéressé. Mais nous avons surtout opté pour lui, parce que le courant était bien passé entre nous, lors de notre première rencontre. En fait, nous voulions collaborer avec quelqu'un qui soit très proche de nous, quelqu'un avec lequel on puisse être capable de cohabiter en studio, pendant trois mois, sans se rentrer dedans. Et je crois que nous avons fait le bon choix. Parce qu'il est ouvert à toutes les alternatives. Que ce soit les loops, l'électronique, l'informatique ou le traitement des sonorités acoustiques.

M. : (en terminant son plat de pâtes). Il est très cool dans tous les styles, et il est même parvenu à nous faire admettre des trucs qu'on croyait ne pas être notre tasse de thé. Il ne faut pas oublier qu'il était membre de Scritti Politti, qu'il a produit l'album parfait de Matthew Sweet, et surtout de Lou Reed, avec lequel il a d'ailleurs joué. Et tout ce qu'il fait, il le fait à fond. Aussi, nous avons beaucoup de respect pour lui...

Y a-t-il une manière fondamentale de travailler entre Ric et Fred ?

M. : Oui, Ric est beaucoup plus rapide, tandis que Fred est plus soigné.

Donc Maher vous a coûté plus cher !

M. : (rires) Absolument ! Normal, puisque nous avons passé beaucoup plus de temps en studio pour mettre en forme " The proximity effect ". L'enregistrement de " High/low ", n'a pas été trop onéreux. Parce que Ric n'est pas obnubilé par le fric. Lorsqu'il nous a demandé de produire notre premier album, il nous a simplement dit de ne pas trop nous tracasser pour la facture. L'argent n'est pas au centre de ses préoccupations, pourvu qu'il en ait assez pour vivre. Produire est vraiment sa passion…

D. : On a ainsi compris, au fil des interviews, pourquoi Ric était souvent sollicité pour produire le premier album des nouveaux groupes…

Il paraît que le job d'ingénieur du son, n'est pas vraiment le truc de Matthew ?

M. : Tout a fait ! Parce que je suis loin d'être doué dans ce domaine. A vrai dire, après avoir végété au sein de plusieurs groupes sans récolter le moindre succès, j'ai commencé à me poser des questions. Qu'est ce que j'allais devenir dans cette putain d'existence. J'étais alors âgé de 25-26 ans, et j'étais pourtant bien contaminé par le virus de la musique. Alors, j'ai pensé devenir ingénieur du son, producteur. Un beau métier qui allait enfin m'ouvrir de nouvelles perspectives. J'ai donc suivi des cours, au sein d'une école spécialisée. Qui était, je m'en rends compte aujourd'hui, complètement nulle. Je suis alors entré comme stagiaire au sein d'un studio d'enregistrement. Et je me suis royalement planté. Parce que je n'avais pas les compétences techniques. Lorsqu'un appareil ne fonctionnait plus, j'en réclamais un autre. J'étais incapable de réparer la moindre panne, aussi bénigne fut elle. Déjà que je n'étais pas doué en maths et en physique à l'école, mais là, alors, je me suis senti nul, nul, nul. Pour quelqu'un qui aime écouter des disques, j'ai vraiment manqué ma cible. Ingénieur du son, c'était vraiment trop fort pour moi…

En signant chez Warner, étiez-vous conscients que, quelque part, vous devriez accepter des compromis ?

M. : Nous en sommes conscients. D'ailleurs, nous avons réfléchi longuement avant de prendre cette décision. Parce que cette situation n'était pas prévue. C'est à dire que depuis que nous jouons ensemble, nous en sommes à notre troisième groupe. En outre, celui-ci est celui pour lequel nous avions le moins d'ambitions. On espérait, quand même, finir par décrocher un contrat. Au sein d'un petit label indépendant, par exemple. Mais lorsque nous avons reçu une proposition d'un major, on s'est demandé ce qui nous arrivait. On ne s'y attendait vraiment pas !…

D. : On n'y pensait même pas ! On s'est cassé la tête pensant plusieurs mois avant de prendre une décision. Nous n'en dormions plus. Nous voulions protéger la formation, car nous savions qu'en acceptant cette proposition, nous prenions des risques. En fait, sur dix groupes signés par un major, je crois qu'au moins six d'entre eux sont obligés de splitter. A cause du contrat. Parce que lorsqu'on ne vend pas assez de disques, la seule raison de survivre, c'est de casser le groupe. C'est l'unique solution pour gommer la dette que te lie à ce type de label…

M. : Une telle aventure est toujours périlleuse. D'abord, parce nous aimons ce que nous faisons ; ensuite, parce que nous sommes très soucieux de préserver le capital confiance qui s'est instauré entre le public et nous-mêmes. C'était sans doute la seule raison de ne pas signer. Au bout du compte, on s'est dit que nos disques pouvaient se retrouver dans tous les bacs des disquaires. Que ce serait bien, car c'est une raison pour laquelle on se produit en concert. Evidemment, signer pour une grande firme, ce n'est pas très cool. Mais prendre des décisions à cause de quelque chose qui est cool ou pas cool, ce n'est pas très cool… (rires). Dans ces conditions, nous n'avions pas de raison de refuser cette offre.

Léonard Cohen, est-ce un symbole pour Nada Surf ?

M. : Si on veut. Nous apprécions beaucoup ses textes, sa voix, sa manière de jouer de la guitare. Mais surtout ses textes, souvent pervers et un peu sadiques. Et les mélodies également. Des mélodies folk méditerranéennes (NDR : difficile à prononcer pour un anglophone !)

D. : Ses lyrics sont tellement beaux et soignés. Il raconte des histoires personnelles ou des choses embarrassantes avec une facilité inouïe. Nous, lorsque nous écrivons une chanson, il nous arrive de rencontrer d'énormes difficultés pour la terminer. Parce que si je ressens au fond de moi-même ce que je souhaite exprimer, traduire cette sensation, sans trop relater des sentiments personnels ou trop embarrassants, m'est assez difficile. Je n'ai terminé ma chanson que lorsque je suis parvenu à cracher ce que j'ai vraiment à dire. Chez lui, il le fait si naturellement. Il est vraiment fantastique...

M. : J'ai récemment lu " Beautiful loser ", son roman. Il est très beau. Il explore, de la même manière que dans ses chansons, les coins les plus cachés des relations intimes, des relations charnelles. Il pousse très loin l'idée du désir, de la jalousie. Du désir amoureux, et du désir le plus intense. Et c'est très bien écrit…

L'autorité parentale, c'est une idée de l'éducation que vous contestez. Pourquoi ? Défendez-vous votre propre concept de l'éducation des enfants ou est-ce simplement le résultat de conflits rencontrés au cours de votre enfance ?

D. : Ma propre expérience vécue au cours de mon enfance se traduit aujourd'hui par un certain ressentiment à l'égard du monde adulte, en général. Entre 14 et 17 ans, j'ai passé des moments pénibles. Tout ceux qui m'entouraient, profs, parents, adultes, me tenaient le même discours. M'imposant une ligne de conduite pour devenir heureux dans la vie. Un mode de vie complètement absurde que j'ai dû chasser de mon esprit pour retrouver mon équilibre. Ma crise d'adolescence, je l'ai vécue à 16 ans. Pendant deux ans, j'ai souffert d'une grosse déprime. J'étais même complètement flippé. A cause de ces valeurs qu'on avait inculqué et que je ne parvenais pas à éliminer. Je ne voulais pas croire que le bonheur se résumait à trouver du boulot, gagner du fric, avoir une belle bagnole, se marier, avoir des enfants et un chien, divorcer, et bla bla bla… J'imaginais la vie autrement. Et pour corser le tout, je suis né catholique. Tu peux donc imaginer que ma conscience était moulée dans ce dogme religieux, avec toute cette merde qu'il charrie. Dieu est mort pour moi, le jour de ma confirmation. Lorsque je me suis confessé au prêtre, j'ai été incapable de lui cacher la vérité. Je lui ai donc avoué avoir menti à mes parents, me masturber… des actes tout à fait normaux, lorsqu'on est âgé de 14 ans. Alors, il m'a infligé 40 'notre père' et 60 'ave Maria'. Et pendant que je récitais toutes ces prières, dans l'église, à une vitesse supersonique, j'entendais mes copains qui jouaient dehors. Et je voulais les rejoindre. Eux, n'avaient pas dit toute la vérité, et quelque part, ils avaient été récompensés… Puis j'ai commencé à me poser des questions. Ce n'était pas possible que Dieu écoute des prières débitées à une telle cadence. C'était vraiment n'importe quoi. Quelle connerie ! J'en ai donc conclu que si je pouvais encore croire en Dieu, il me serait impossible d'encore faire confiance à l'Eglise. La religion travestit la vérité. Plus tard, je suis passé par le même type de crise, mais avec mes parents… là, j'ai vraiment trop parlé...

Non, non, c'est vraiment très intéressant…

I. : Pourtant, c'est déjà une vieille histoire (rires) !

Qu'est ce qui va si mal au sein de l'école supérieure américaine, pour la critiquer à ce point sur votre hit, " Popular " ?

I. : Je n'ai pas fréquenté les cours de l'école supérieure américaine. Mais j'aurais voulu y aller. Malheureusement, ma famille n'était pas dans une situation sociale favorable pour que je puisse y accéder. Aux States, des tas de gosses rencontrent ce type de frustration. En ce qui concerne " Popular ", nous ne visions pas tout particulièrement l'école supérieure, mais les gens en général. Leur comportement, leur conduite, les règles qu'ils ont édictées en matière d'éducation…

Pourtant, lorsque vous avez décroché un hit avec cette chanson, ne pensez-vous pas être passés à côté de votre objectif ? Lorsque le public chante des slogans engagés, sans se rendre compte de ce qu'il dit, n'est-ce pas manquer son but ?

M. : Je comprends ce que tu veux dire. Lorsqu'on écrit une chanson conceptuelle, on se dit que dans un monde parfait, elle deviendrait un tube énorme. Or le monde est loin d'être parfait. Ce qui explique pourquoi, on ne s'attendait pas que cette chanson devienne un hit. Mais je ne crois pas que nous ayons manqué notre cible. Parce que cette satire, en devenant un hit, a été portée à son degré le plus élevé.

D. : Et elle est devenue double. C'est très intéressant. Parce que ceux qui se sont rendu compte qu'il s'agissait d'une satire en ont fait leur hymne. Et un sujet de réflexion. Par contre les autres, qui ne sont attirés que par le confort, la banalité et le superficiel, en ont également fait leur hymne. Un peu comme cette pom pom girl de mon ancien lycée, qui imagine, chaque fois qu'elle entend la chanson, que c'est sa chanson. Et en tombe presque en pâmoison. Et là, on se marre tous. Et on a du mal à croire comment elle peut se laisser piéger ainsi. Tu comprends ainsi pourquoi je parle de double ironie…

Sur votre dernier album, deux de vos chansons " Mothers' day " et " Robert ", s'intéressent aux droits de la femme. Avez-vous quelques explications à fournir, au sujet de ce que je considère comme un message ?

M. : Il n'y a pas grand-chose de nouveau à ce niveau. Rien de révolutionnaire non plus. Mais on ne raconte pas n'importe quoi. Nous pensions qu'il était important de le dire, en tant que mecs, de groupe masculin. Parce que je pense que dans le monde, il y a encore des types qui sont aveuglés par leurs principes. Inutile de leur parler d'une manifestation réunissant des femmes, ils ne la voient pas, ils ne l'écoutent pas, ils ne l'entendent même pas. Pire, ils l'ignorent. Ils sont à côté de la plaque. Ils peuvent aimer leur mère, leur sœur, ou à la rigueur leur épouse, mais traitent la femme comme un objet quelconque. Nous sommes très sensibles à cette situation. Parce que je connais des femmes qui se sont fait violer. Et en particulier l'histoire d'une amie, qui m'a beaucoup marqué. Alors, tu comprends, pourquoi on s'est engagé personnellement dans cette lutte…

Ira, tu as joué au sein de plusieurs groupes avant de rejoindre Nada Surf. Notamment les Fuzztones. Une belle aventure ?

I. : Avec le recul, je reconnais que mon séjour chez les Fuzztones fut une belle aventure. Mais je dois avouer qu'au moment même, ce n'était pas toujours la joie. Il y avait une tension permanente entre les membres du groupe. M'enfin, c'est vrai que nous dégagions, surtout sur scène, énormément de fun. Cependant, le groupe au sein duquel j'ai connu les meilleurs moments demeure Dear of Discipline. Un petit combo new-yorkais, qui pratiquait un style à mi chemin entre les Cramps et ACDC, dont tu n'as sans doute jamais entendu parler…

Vous ne semblez pas très chauds de voir votre public s'adonner au stage-diving. Une raison ?

D. : Parce qu'on ne souhaite pas que nos concerts se soldent par des blessés. Nous nous soucions de l'intégrité physique de notre public. Nous avons ainsi un jour failli arrêter un concert, parce que de très jeunes ados se faisaient écraser contre les barrières de sécurité. Lorsque je vois quelqu'un qui se tord de douleur, je me sens responsable. Et je ne parviens plus à me concentrer, et encore moins à prendre mon pied. Maintenant, lorsque l'ambiance est positive, et que le public est capable d'autogestion, je ne suis pas opposé au stage-diving. J'en ai même fait à une certaine époque….

Version originale de l'interview parue dans le n° 69 (décembre 1998) du magazine MOFO

 

The Cramps

Du rêve à la réalité...

Écrit par

Inspirés à la fois du rockabilly, du psychédélisme, du punk sixties déjanté, du surf et des films d'horreur tournés au cours des fifties, les Cramps sont toujours parvenus à reproduire, dans la grande tradition du rock'n roll, leurs propres clichés jusqu'à l'outrance. C'est sans doute ce qui leur a certainement permis de conserver leur brevet d'intemporalité. Ils viennent donc d'enregistrer un nouvel album : " Big beat from Badsville ", et dans la foulée sont repartis en tournée. Qui transitait par l'Aéronef de Lille. Où nous avons eu la chance de rencontrer Poison Ivy et Lux Interior, au sommet de leur forme, alors que le couple avait d'abord décidé d'annuler toutes les interviews…

Vous avez quitté Creation, apparemment de méchante humeur. Pourquoi ?

Poison Ivy : Creation constitue, sans doute, un label idéal pour Oasis ; mais certainement pas pour nous. Le personnel de cette boîte nous détestait et nous a boycottés. Pour eux, nous n'existions pas. Alan Mc Gee était probablement le seul qui nous appréciait. C'est lui qui avait voulu nous signer. Mais il a été victime d'une overdose ; et on s'est retrouvé face aux comptables de la firme… Finalement, nous avions de bien meilleurs contacts avec Sony, qui était pourtant chargé de nous distribuer en Europe. Ce label s'est toujours montré correct et a toujours manifesté beaucoup d'enthousiasme à notre égard…

Pourtant, Jesus & Mary Chain vient de réintégrer Creation. Vous y comprenez quelque chose ?

P.I. : Non, je ne comprends pas leur décision. Mais ça les regarde !

Vous venez de rejoindre les Fleshtones chez Epitaph, formation avec laquelle vous partagez un record insolite ; celui d'avoir transité par le plus grand nombre de labels en vingt années d'existence. Une concurrence ou une coïncidence ?

Lux Interior : J'ignorais que les Fleshtones avaient connu autant de labels. Mais nous ne sommes pas des amis intimes, ni des concurrents. Nous les connaissons pour avoir partagé la même affiche de l'un ou l'autre concert. Et puis, nous respectons ce qu'ils font…

Il n'y a pas de cover sur " Big beat from Badsville ". Des regrets ?

P.I. : Non, non, pas du tout. Ce qui ne veut pas dire que nous n'allons plus en faire. Il y a tellement longtemps que nous pratiquons cet exercice. C'est quelque part notre mode de vie. Mais, pour cet album, nous n'en avions pas trouvé une qui nous plaise totalement. Et puis, finalement, nous nous exprimons beaucoup mieux à travers nos propres chansons qu'à l'aide de celles des autres…

L.I. : Lorsque nous avons fondé les Cramps, les albums de réédition n'existaient pas encore. Nous recherchions les 45 tours dans les marchés aux puces. Nous pensions même, à l'époque, que personne n'aurait jamais entendu parler de ces disques, si nous ne les jouions pas. Mais aujourd'hui, un tas de formations jouent ces morceaux. Aussi, je pense qu'il n'est plus aussi indispensable d'interpréter autant de covers que nous ne le pratiquions auparavant. Mais si dans le futur, une chanson en valait vraiment la peine, nous l'inclurions sur un album. Nous avons d'ailleurs gravé un single, il y a quelques mois, sur lequel figure une reprise en face B. Cela n'a jamais été et ce ne sera jamais une règle générale…

Quelle est la frontière entre l'imagination et la réalité pour les Cramps ?

L.I. : L'imagination génère la réalité. La réalité procède d'une pensée, d'une idée. Et l'intention de concrétiser cette idée correspond à ce que nous appelons la réalité. Si la réalité est un fait qui exige d'être reconnu par les autres, ma réalité est partagée. Dès lors, la définition de la réalité implique un consensus entre personnes. Mais elle est le fruit de l'imagination. Un exemple ? Les Cramps sont nés d'une idée. Or, aujourd'hui, ils sont une réalité, ils doivent donc être une réalité Ils ne peuvent être qu'une réalité et non pas rester au stade de l'imagination. Mais en fait, l'imagination est en amont de toute chose. La réalité sans l'imagination est inconcevable…

P.I. : Les êtres humains qui ont une vie ennuyeuse nous regardent, en pensant que nous ne représentons pas la réalité. Pour eux, notre création n'est pas la réalité. Mais ce que nous faisons est très réel. En fait, pour nous, ce sont tout ces gens portant des costumes/cravates et qui s'ennuient qui ne sont pas la réalité…

L.I. : Toutes les grandes découvertes scientifiques ont débuté par une idée. Einstein était capable d'imaginer ce qui allait devenir vrai. Il ressentait que son idée pouvait devenir réelle. Mais il lui a fallu des années et des années pour la démontrer. Mais s'il n'avait pas fait preuve d'imagination, il ne serait pas connu. Prend le cas d'un avion, il faut d'abord l'imaginer avant de pouvoir le construire…

P.I. : Cette philosophie est démontrée dans un grand livre qui s'intitule " A propos de l'art et de la physique ". Einstein ne serait jamais parvenu à imaginer la théorie de la relativité, s'il n'avait pas découvert une peinture cubiste consacrée au cosmos. La théorie de la relativité est postérieure au mouvement cubiste. Comme la fusion à froid est apparue après la naissance des Cramps (NDR : ! ? ! ? !)…

En extrapolant, vous pensez donc que sans les rêves, il est impossible de changer le monde ?

L.I. : En fait, le rêve vient d'abord. Ensuite, on tente de comprendre pourquoi on a rêvé, selon des théories scientifiques…

Lux, tu as un jour déclaré que les être humains avaient été créés par des extra-terrestres. Mais que pour nous garder sous leur contrôle, ils ont inventé des religions, des pays et des langages différents. Peux-tu préciser ta pensée ?

L.I. : Cette idée n'est pas neuve. Il existe toute une littérature philosophique qui prône cette hypothèse. Je suis, en outre, fort sensible à cette philosophie qui repose sur la transformation de singes en êtres humains par les aliens. Cependant, par erreur, les êtres humains sont devenus supérieurs à leurs créateurs. Particulièrement les femmes. Alors, les envahisseurs ont disséminé cette population aux quatre coins de la planète, leur ont inculqué différents langages, de sorte que leurs différences les poussent à se battre entre eux ; et en même temps, permette aux aliens de contrôler plus facilement les terriens. Et c'est ce qui se passe sous leurs yeux aujourd'hui…

Le 14 juin 1981, vous assuriez la première partie de Siouxsie & The Banshees à l'Ancienne Belgique de Bruxelles. Au cours du set, Lux a pris un crâne et a déclaré : " Ceci est ma mère!…" Pourquoi ne pas avoir également invité ton père ?

P.I. : Mince alors ! Ah ça fait vraiment longtemps. Je ne m'en souviens pas. Mais c'est possible. Est-ce qu'il était déjà mort ?

L.I. : Non, non, il n'était pas encore disparu. Mais aujourd'hui, il est bien décédé. Je me souviens seulement du spectacle. Siouxsie & The Banshees ne nous avait concédé qu'un mètre d'avant-scène. Ce qui devait représenter à peu près quinze mètres carré. Mais heureusement, à l'époque, nous n'avions pas besoin de beaucoup de place pour jouer…

Vous êtes fascinés par les vampires. Mais vous ne mangez pas de viande. Vous préférez peut-être le sang ou le boudin ? (rires)

P.I. : Effectivement, nous ne mangeons pas de viande. Ni ne buvons de sang. J'aime le concept des morts vivants, des vampires, parce qu'il y règne beaucoup de sexualité. C'est une sorte d' " addiction ", un peu comme lorsqu'un drogué est en manque ; il doit absolument prendre sa dose. Donc, ce comportement est pardonnable. Il existe une grande variété de vampires. Pas seulement ceux du sang. Des vampires astraux et puis des vampires qui ont une toute autre dimension. Des vampires de l'énergie. Le sang est seulement une forme. Il faut également tenir compte des mauvais vampires, intéressés par notre énergie. On doit alors se protéger…

L.I : Par exemple, des vampires qui sévissent dans le monde de la musique. (rires)

P.I. : Oui, mais nous, on est bien protégés face à ce type de vampires. Ce qui explique pourquoi on est toujours ici…

Les Cramps sont devenus un groupe culte. Mais, en général, les groupes culte n'ont de succès que lorsqu'ils sont morts. Comment allez-vous faire, lorsque défunts, vous décrocherez un " award " ? (rires)

P.I. : Je vais vous confier un secret. Nous sommes morts. Nous sommes des vampires. Et comme nous n'avons pas l'intention de quitter la scène…

L.I. : C'est dans l'esprit de cette chanson de Screamin' Jay Hawkins, " Je m'en fous pas mal si tu me veux, je suis à toi de toutes façons… ".

Pour les Cramps, les films de série B seraient du blues. Peux-tu préciser ta pensée ?

L.I. : Pas facile à expliquer. Tout d'abord, lorsqu'on parle de série B, il faut bien distinguer celles qui nécessitent d'énormes moyens, qui bénéficient de grands studios, comme tu peux le voir sur la TV ; et puis, les films à caractère artistique. Réalisés par quelques personnes, ils constituent, en quelque sorte, un art populaire. Ils sont authentiques. Très proches de la réalité. Alors qu'un film fabriqué en studio, nécessitant 1.000 participants, n'est qu'un produit, sans grand intérêt, par dessus le marché. En fait, il existe un parallélisme entre les " B movies " et le blues ou le rock'n roll, parce qu'on est en présence d'un art populaire. Ces gens qui racontent des choses à propos de leur propre vie. Il en va de même pour les séries B. Prend l'exemple d'Ed Wood. On remarquait immédiatement sa signature. Mais lorsque la réalisation d'un film réclame un grand studio, un réalisateur célèbre, met en scène des bagnoles Corvett qui explosent ou des hélicoptères qui s'écrasent, on est loin de la réalité…

Vous êtes des collectionneurs invétérés de disques vinyles, de cassettes vidéo, consacrées à ces séries B ; et puis également de bandes dessinées. En avez-vous, un jour dressé un inventaire ? Avez-vous encore le temps de les écouter, de les regarder ou de les lire ?

L.I. : En permanence ! Lors de nos tournées, nous emportons toujours une valise contenant une bonne vingtaine de cassettes vidéo. Nous les visionnons régulièrement. A New-York, nous appartenons à un club qui s'intéresse aux films rarissimes. Nous y découvrons des œuvres qui ne figurent même pas en cassette vidéo. Nous venons d'assister à la projection de " Légende de Leila Clare ". Stupéfiant ! Depuis notre enfance, nous collectionnons les BD des années 50. Elles sont rock'n roll, dans la mesure où elles sont réellement sataniques, hallucinantes (NDR : hallucinogènes ?), procurent des frissons aux adultes de cette génération. Par exemple, sur la couverture d'un magazine, on pouvait rencontrer un globe oculaire transpercé d'un poignard. Un art populaire très étrange ! A cette époque, ces bandes dessinées étaient considérées comme amorales ; et ont été censurées par la législation. C'est ce style de bouquins que nous collectionnons. On y retrouve, un peu, l'esprit rebelle de la jeunesse des années 50 et 60. Et nous disposons même d'exemplaires de ces BD qui remontent à une quinzaine d'années de plus, des BD à l'imagination malsaine, macabre…

Qui est ce Ghoulardi, à qui vous rendez hommage sur " Big beat from Badsville " ?

L.I . : Il avait réalisé la pochette de " Stay sick ". Un passionné de films d'horreur qui était régulièrement invité sur les plateaux de TV. Notamment à Cleveland. Il était très populaire, mais aussi maniaque. Il portait une perruque effrayante et des lunettes de soleil munies d'un seul verre. Il lui est même arrivé de jeter un pétard pirate en plein débat télévisé. Faut dire que l'occasion était belle, puisque pour la circonstance, le présentateur avait invité des scientifiques. Malheureusement, il est mort cette année…

Qu'est ce qui est répréhensible dans le rock'n roll ?

L.I. : Je ne supporte pas les gens qui sont incapables de faire la différence entre le rock'n roll et le rock. Le rock'n roll est un style de vie, un mode de vie. Vous êtes un rock'n roller ou vous n'en êtes pas un. C'est l'un ou l'autre. Ensuite, il y a la musique rock. Et dans ce domaine, on rencontre des gens qui jouent de la musique rock et qui sont jugés par leurs pairs. Et ils décrètent que telle musique est meilleure qu'une autre. Mais le rock'n roll est une musique simple. C'est supérieur au reste. Supérieur ! En fait, le problème, c'est que la plupart des gens ne connaissent toujours pas la définition du rock'n roll !…

Sans Jery Lee Lewis, Link Wray et Elvis Presley, il n'y aurait pas eu de rock'n roll ; mais pas de Cramps, non plus. Qu'en pensez-vous ?

P.I. : Difficile d'imaginer le rock'n roll sans eux. Ils en sont les architectes, les géniteurs…

L.I. : Si tu consultes le catalogue du label " Sun ", tu remarqueras qu'ils sont tous disparus, sauf Jerry Lee Lewis. Et pourtant, il y a vingt ans que tout le monde pense qu'il va passer l'arme à gauche…

P.I : Celui que tout le monde voyait rendre son dernier souffle le premier est toujours là. Il n'a jamais pris soin de lui, commis les pires excès, boit, fume ; mais il est toujours bien vivant. Incroyable !

L.I. : Longue vie à Jerry Lee Lewis ! On l'a un jour rencontré sur le parking d'un studio d'enregistrement. Je me suis précipité vers lui en lui annonçant que nous venions d'enregistrer notre disque aux studios " Sam Philipps " de Memphis, au même endroit qu'il avait commis les siens. Il m'a répondu que c'était bien, que c'était formidable, que j'étais un mec. Mais instinctivement, je me suis placé devant le pare-chocs de ma Dodge 1966, parce qu'il y est inscrit : " Honk if you like Elvis "… Je ne voulais pas que Jerry voie cette mention.

P.I. : En fait, elle est reproduite sur un autocollant…

L.I. : On t'aime bien Jerry !… Mais on se disait : " Surtout ne regarde pas le pare-chocs, Jerry, on t'aime bien tu sais… "

Espérez-vous, tant qu'il est encore de ce monde, pouvoir un jour jouer avec lui ?

L.I. : Jouer avec Jerry Lee Lewis ?

P.I. : Oh, oui ! J'attends ce moment avec impatience. Et je parie qu'il le ferait. Ce serait la concrétisation d'un rêve…

L.I. : Et le rêve devient réalité. C'est vrai que j'ai rêvé de cet instant. Mais je ne pense pas qu'il ait besoin de nous, autant que nous ayons besoin de lui…

Version originale de l'interview parue dans le n° 63 (mai/juin 98) du magazine MOFO

Merci à Vincent Devos ainsi qu'à Danièle (Aéronef), sans qui cette entrevue n'aurait pu avoir lieu.

 

 

 

 

 

The Dandy Warhols

Sex Drugs and Rock n roll

Écrit par

Originaires de Portland, dans l'Oregon , les Dandy Warhols sont considérés comme le groupe américain le plus anglais des nineties. Version britpop, bien sûr. Encore qu'en y regardant de plus loin (NDR : Pourquoi pas de plus près ?), cette pop britannique contemporaine doit également beaucoup au garage sixties américain… D'ailleurs, Courtney Taylor, chanteur et leader de la formation, ne croit pas (ou si peu) à l'originalité pure et dure, mais plutôt à l'originalité du recyclage…

L'enregistrement de votre deuxième album a nécessité 5 mois. Un accouchement apparemment laborieux ?

Si son enregistrement a duré si longtemps, c'est que nous avions besoin de tout ce temps pour le réaliser. En fait, nous disposions de 5 mois. Personne n'achève jamais tout à fait un album. En vérité, lorsque tu n'as plus de fric, l'enregistrement est terminé. Or, nous disposions de suffisamment de ressources pour y passer 5 mois. Si nous en avions eu pour le double de temps, nous serions resté 10 mois en studio. Notre premier opus, " Dandy's rule O.K. ", n'avait pris que deux semaines. Et nous n'étions pas en studio tous les jours. En fait, sur les 2 semaines, 3 jours avaient été consacrés à l'enregistrement, et 3 autres au mixing. Nous y étions contraints. Et le résultat fut superbe. Nous avons réalisé un grand album en 5 mois, parce que nous en avions les possibilités. C'est vrai que deux semaines, c'est peu, mais c'est toujours mieux que rien du tout…

A propos de ce premier album, vous semblez en être à la fois fiers et embarrassés. Une raison ?

Il est comme il est. Nous l'avons écouté, hier dans le bus. Et lorsqu'il est arrivé à la plage " Lou Weed ", j'ai regardé Pete en lui disant : " C'est ça notre premier album ? " Nous qui écumions les petites salles et les petits clubs depuis à peine une année étions déjà capables d'atteindre ce niveau de maturité. Incroyable ! Le mixing est un peu faible, mais ce disque est un témoignage de ce que nous étions alors capables de faire. En fait, je n'arrive pas à croire que nous étions déjà aussi bons à cette époque…

Tu as un jour déclaré que les Dandy Warhols étaient le produit d'un environnement. Lequel ? De Portland ? De la fin des nineties ? Et pourquoi ?

Simplement parce que nous sommes tous issus de cette région. Naître à Portland n'est pas ce qui pouvait m'arriver de mieux ! Tu parles d'un environnement, d'un décor ; de ce côté là, on n’est vraiment pas gâtés !

Courtney, tu as étudié la musique, la psychologie, la philosophie, la photographie et l'histoire de la civilisation américaine, à l'univ. Mais tu ne sembles guère branché par la politique. Or, suivant l'adage, si tu ne t'intéresses pas à la politique, la politique s'intéressera à toi. Ce n'est pas un problème pour toi ?

Non, pas encore. Pas la politique internationale en tout cas. Ca me dépasse. Elle ressemble à une toile d'araignée (NDR : il éternue.). Et je ne vois pas comment on pourrait s'en dépêtrer. C'est beaucoup trop compliqué d'harmoniser tous ces peuples qui éprouvent des envies et des désirs différents. Je m'intéresse davantage à la politique individuelle. Celle qui me permet de défendre mes propres intérêts face à mon label, face à mes employeurs. Mais je me débrouille plutôt bien dans ce domaine. Je n'insulte pas trop de monde. Et même personne, sauf ceux qui le méritent. Non, sincèrement, je préfère m'impliquer dans la musique. Parce qu'elle répond à un besoin du public. Et puis, c'est beaucoup plus facile.

Que représente Ian Dury pour les Dandy Warhols ?

Je ne comprends pas la question. (NDR : ou il feint de ne pas la comprendre).

La devise des Dandy Warhols, à l'instar de la célèbre chanson de Ian Dury, n'est-elle pas " Sex and drugs and rock'n roll " ?

(Plutôt embarrassé) Tu veux savoir ce que j'en pense ? Je n'ai pas trop envie d'en discuter, à cause du groupe… Pourquoi Ian Dury chantait " Sex and drugs and rock'n roll " ? En fait les trois thèmes sont étroitement liés. Enfin étaient très liés au cours des 80's. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins flagrant. En fait, les artistes qui n'abordaient pas la sexualité, étaient opposés à la drogue, jouaient du rock'n roll et s'impliquaient dans la lutte politique. U2, par exemple. Ce choix est personnel. Si tu fais du rock'n roll, tu peux le conjuguer avec le sexe et la drogue. Mais tu peux également associer le sexe et le rock'n roll sans toucher à la drogue. Enfin, tu peux t'abandonner au sexe et à la drogue, sans pratiquer du rock'n roll. Mes parents consomment du sexe, sans pour autant s'intéresser au rock'n roll et à la drogue. J'en suis pratiquement sûr. Il est vrai que s'il n'y avait pas de sexe, il n'y aurait pas de rock'n roll. Et probablement pas de drogue (NDR : ? ! ? ! ?). Aujourd'hui, les critères sont occupés de se modifier fondamentalement. La politique et le sexe sont beaucoup plus liés. Bill Clinton a remplacé la drogue par la politique. Il a ainsi inventé un nouveau concept : sexe, politique et rock'n roll. C'est son tiercé gagnant ! Mais je ne compte pas m'y lancer, parce que la politique est beaucoup plus imprévisible que la drogue. Ian Dury était un idéaliste. Lorsqu'il abordait le sexe, la drogue et le rock'n roll, il parlait de ce qu'il connaissait. Sans plus !

Il paraît que tu rêves de faire du cinéma. La musique n'est donc, pour toi, qu'un tremplin ?

Plutôt une thérapie. Chaque fois que vous écoutez votre chanson, vous affirmez votre identité, parce qu'elle vous ressemble. Je créerais de la musique, même si j'étais un robot. Je dois produire de la musique. Je me sens investi d'une mission. Après avoir accompli une tournée, je passe des journées entières à écouter de la musique, à composer. Des journées, que dis-je, des nuits à fumer des cigarettes, à boire des cocktails, à jouer de la guitare, à pousser mes amplis, le casque sur les oreilles. J'en oublie même d'en aller me coucher. Parfois, je travaille jusqu'au lever du soleil, pour créer, m'éclater. J'éprouve une sensation de chaleur intense, à l'intérieur de mon corps, rien qu'à y penser. Ce comportement reflète parfaitement ma manière de vivre. Ma personnalité. Je me suis toujours comporté de cette manière… Mais j'aimerais également, un jour, pouvoir interpréter un autre rôle que le mien. Au cinéma, par exemple. J'ai des tas d'idées dans ce domaine. J'adore le cinéma. Faire un film. Oui, mais pas seul. Avec mes amis et des tas de collaborateurs, des techniciens aussi. Ce serait drôle, mais bien, j'en suis sûr…

Quelle est ta définition du psychédélisme ?

C'est une question difficile. Quelque chose de profond. De difficile exprimer. Il me faudrait une bonne sieste pour pouvoir réfléchir à la question. Non, je préfère ne pas y répondre…

Avec un pied dans le rock américain des sixties et l'autre dans la britpop des nineties, vous n'avez pas peur de perdre votre équilibre ?

Pas du tout ! Il faut bien mettre les pieds quelque part. Ce qui compte c'est de savoir où on les met. Si notre prochain album devait renouer avec une certaine idée de ce qui se faisait en 1979, à Houston, dans le Texas, je m'en foutrais complètement.

Est-ce un plaisir pour vous de pasticher les autres groupes ?

En quelque sorte. Plus exactement un hommage éhonté. J'ai essayé de me fendre Neil Young. Mais n'y suis pas encore parvenu. En fait, je n'ai jamais rien trouvé de plus stupide que ces formations qui se contentent d'imiter les autres groupes en niant l'évidence. Comme si les influences n'existaient pas. Personne ne serait capable de concocter sa propre musique si quelqu'un ne l'avait pas pratiquée auparavant. Personne n'a inventé la musique. Elle a évolué. Il est impossible de progresser sans regarder dans son rétroviseur. Nous existons parce que d'autres ont existé avant nous. Ceux qui pensent le contraire sont des crétins. Et il en existe beaucoup dans le domaine du rock…

Je sais que tu apprécies beaucoup Neil Young. Mais en même temps, tu as un jour déclaré que les musiciens de Pearl Jam étaient une bande de poseurs stupides. Or ce groupe a joué avec Neil ; et ils ont même enregistré un album ensemble. N'est-ce pas paradoxal de tenir un tel discours ?

En fait, ma remarque s'adressait surtout à Eddie Vedder. C'est un type impersonnel, immature, et certainement pas un idéal. Il se crée un personnage plutôt que d'être lui-même. C'est sans doute dû à l'énorme pression qui pèse sur lui. Je reconnais que le fruit de la rencontre entre Pearl Jam et Neil Young était nickel. D'autant plus que les musiciens du groupe aiment beaucoup Neil Young. A une échelle moins importante, cela nous fait penser à une formation de Portland qui nous aime également très fort. Notre batteur, Eric, les a pris sous sa houlette, et est allé en studio pour produire une de leurs chansons. Il l'a ainsi rendue époustouflante. Ce travail lui a pris sept heures. Il l'a fait, pas parce qu'ils sont brillants, mais parce qu'ils sont sympas. Vraiment des chouettes gars. C'est superbe de pouvoir travailler avec des gens qui aiment ce que vous faites. Je suis convaincu que les musiciens de Pearl jam ont passé de bons moments en compagnie de Neil…

Quels sont les plus noceurs ? Oasis ou les Dandy Warhols ?

Oasis ! Parce qu'ils gagnent plus de fric. Ils sont des rebelles totalement insouciants et vivent à cent à l'heure. Ils se comportent comme des gosses sans scrupules qui auraient décidé de ne plus se rendre à l'école parce que leurs parents, décédés, leur auraient légué une fortune. Personne ne pourra les arrêter. Ils semblent vraiment hors de contrôle. Et leurs pitreries n'amusent plus personne. Ni eux, ni leur entourage. Nous sommes beaucoup plus conservateurs. Nous ne passons pas des nuits blanches à guindailler sous l'influence des drogues. Sauf lorsque le lendemain on peut dormir… Nous n'emmerdons pas les gens, sauf lorsqu'ils nous font chier. Là est toute la différence…

Tu as déclaré qu'il était utopique de croire que quelqu'un puisse encore réinventer la technique de la guitare. Tu n'as jamais cru en Sonic Youth ?

Ils sont formidables. Mais ils n'ont rien inventé ni réinventé de nouveau. En fait, ils régurgitent ce que d'autres, avant eux, avaient déjà fait. Tu peux tout disséquer si tu veux, tu retrouveras le canevas ou le beat de Can ou de Suicide. L'astuce est de capter des sources différentes et d'essayer de les brasser pour obtenir quelque chose de nouveau. Mais pas consciemment. Instinctivement, comme elles arrivent. On se fiche pas mal de l'origine ou de l'existence des influences. Inévitablement, il existe toujours un moment où vous avez l'impression de gratter quelque part dans le passé. Mais pourvu que cette sensation ne vous envahisse pas au point de vous agacer, et qu'elle soit suffisante pour que vous aimiez. Ce qui est important, c'est d'imaginer quelque chose qu’on n’entende pas, mais qui ressort. Sans quoi, on penserait trop, et on ne créerait plus rien…

Merci à Vincent Devos.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 62 - avril/mai 1998 du magazine Mofo)

Drugstore

La vérité toute nue...

Écrit par

Isabel Monteiro est brésilienne. Elle chante et joue de la basse. Mike Chilysnki, américain. Il se charge des drums. Enfin, le britannique Daron Robinson assure les parties de guitare. Le trio cosmopolite vient d'enregistrer un deuxième album, " White magic for lovers ", dans la foulée d'un single, pardon d'un hit single, sur lequel, Thom Yorke est venu donner de la voix. " El president ", pour ne rien vous cacher. Isabel n'a pas sa langue en poche, pas seulement parce qu'elle a beaucoup de choses à raconter, mais parce qu'elle possède une vision de la vie très personnelle, profonde aussi, mais le plus souvent déconcertante…

Thom Yorke, le leader de Radiohead, chante sur votre hit single, " El president ". Comment s'est passé votre rencontre en studio ? N'est-il pas trop difficile à vivre ?

D.R : On s'est vraiment fait chier... Il n'avait pas grand-chose à nous raconter.

M.C. : C'est vrai qu'il n'était pas du tout marrant.

D.R. : Et en plus, c'est un gay !

I.M. : Non, c'est tout à fait faux (rires), il a vraiment été génial, très très bien. Nous avons chanté " live ", tous les deux, trois ou quatre de nos chansons. Il possède une voix étonnante, fantastique. Lorsqu'on le regarde chanter, son expression est très douce, très pure. Cette rencontre a été un véritable plaisir. Je pense qu'il était beaucoup plus difficile pour moi d'atteindre son niveau de qualité. Il enchaîne chanson après chanson sans jamais faiblir. Sa voix est imperturbable, ne perd jamais en intensité. La mienne se fatigue progressivement, car je fume un peu trop. Mais cette rencontre était à la fois très amusante et enrichissante, car nous devions chanter face à face. C'était comme si il voulait essayer de gagner un concours. Finalement, il y avait une sorte de compétition entre nous, mais dans le bon sens du terme…

Mais pourquoi a-t-il accepté de chanter en duo avec toi ? Parce que vous repreniez, " Blackstar ", 'live'?

I.M. : C'était il y a deux ans, lors d'un festival. Radiohead occupait la tête d'affiche, mais ils étaient tous extrêmement nerveux. Nous n'avions jamais imaginé qu'un groupe pareil puisse se sentir aussi tendu, à l'idée de devoir se produire comme tête d'affiche d'un festival. Nous les avons rencontrés en coulisses et nous les avons invités à rejoindre notre loge. Là, nous avons joué " Blackstar " ; et puis nous avons beaucoup discuté ensemble. Nous leur avons répété qu'ils méritaient cette tête d'affiche, parce qu'ils étaient géniaux sur scène. Depuis, ils nous ont toujours voué une profonde gratitude. Et puis, nous avons tourné aux States avec eux, et nous sommes devenus des amis. Avec le recul, je comprends mieux, que le succès d'un groupe puisse causer une telle pression ; mais d'autre part, je pense qu'ils nous observent en pensant que nous sommes toujours capables de nous amuser sur scène. Eux ne peuvent plus. Sur les planches ils doivent délivrer un set très professionnel. Mais, en nous regardant, ils se rappellent que quelques années plus tôt, ils disposaient toujours de la liberté d'oser faire les choses qu'ils souhaitaient…

Pour en revenir à " El president ", il appert que cette chanson traite de l'interventionnisme des Yankees à El Salvador, au Chili et à Cuba. Vous détestez l'impérialisme ? Ne pensez-vous pas que le communisme comme le néo libéralisme, sont d'autres formes d'impérialisme ?

I.M. : Je ne pense pas que tous ces systèmes soient fondamentalement mauvais. Mais il est absurde de penser qu'il soit possible d'établir un système qui plaise à tout le monde, parce que tout le monde a des objectifs différents, dans la vie. Bien sûr, nous sommes contre l'impérialisme américain, mais c'est un mouvement inévitable, un développement inéluctable de l'humanité. Il existe des étapes différentes dans le progrès. C'est parfois moche, mais il ne faut pas seulement regarder le mauvais côté de la médaille. Il y a aussi des choses positives. Cependant, je ne me sens pas suffisamment experte pour mener un tel débat. Je ne souhaite pas que cette chanson se limite à montrer du doigt la CIA des Etats-Unis, mais qu'elle prenne une dimension humaine. Nous rappelle qu'il existe des gens, des être humains qui ont souffert et souffrent encore, qui se sont battus et qui se battent encore pour défendre ou arracher leur liberté….

Lors d'une interview, tu as proclamé que le patriotisme pouvait s'avérer dangereux. Ne penses-tu pas que tu aurais dû parler de nationalisme ?

I.M. : Tu as tout à fait raison. Je pense qu'il est important de se reconnaître à travers une culture, de développer sa propre identité en retenant les bonnes choses qui appartiennent à ton pays. Je pense que les humains sont divisés en tribus ; et c'est naturel, mais cette situation peut devenir franchement dangereuse…

Pourtant, tu as déclaré que les choses dangereuses peuvent se présenter aux humains sous une forme magnifique?

M.C. : Bonne question ! Pourquoi ? Dis le nous !

I.M. : La chose la plus dangereuse que tu puisses faire, c'est de dire aux gens ce que tu penses vraiment. Mais telle est notre manière de vivre que nous essayions de faire passer à travers nos compositions. Il est important pour nous de dire ce qu'on pense vraiment.

Pourquoi la vie est un choix entre l'amour ou la liberté, mais jamais une association ?

I.M. : Quel terrible poids ! Pourquoi ne peut-on jamais avoir les deux. Nous vivons tous cela. C'est notre idée d'atteindre l'amour et d'être libre, mais ils ne viennent pas facilement ensemble. L'amour est une prison, qui emprisonne les émotions…

Drugstore est un groupe mélancolique. Mais pourquoi essayez-vous de traduire la dépression en douce mélancolie. Parce que vous êtes vraiment mélancoliques, ou par simple exercice de style ? Que pensez-vous de la mélancolie cultivée par des groupes tels que Cowboy Junkies, Mazzy Star et Jesus & Mary Chain ?

I.M. : J'ai l'impression que ces groupes sont un peu plus intelligents, plus doués que Drugstore. Je ne pense pas que nous ayons l'idée, ni la patience d'essayer d'atteindre leur statut. Nous ne sommes pas davantage académiques. Lorsque j'écris, c'est très naïf, très pur. Pour moi, c'est le seul moment vrai, l'écriture spontanée. Tout ce qui arrive après, c'est de la merde.

D.R. : C'est absolument vrai !

I.M. : Il y a un long voyage entre le moment où tu écris une chanson, dans ta chambre, jusqu'au moment où tu la joues devant 25.000 personnes, et puis encore un autre avant d'être capable de faire face aux interviews. Je pense qu'il y a un côté de mon cœur qui est mélancolique. Je pense que ce côté existe dans le cœur de chacun ; si vous êtes une personne sensible, on ne peut rien faire contre la peine, les sentiments, pas seulement les siens, la vie en elle même…

Entre les enregistrements de vos deux albums, vous avez vécu des moments difficiles. Est-il exact que vous étiez sur le point de splitter ?

I.M. : Je ne pense pas que nous étions sur le point de nous séparer, mais nous étions parvenus à une sorte de panne, en tout cas une panne financière, parce lorsque notre label a été racheté par Polygram, nous nous sommes dit que nous allions connaître les vacances. Cependant, au bout d'un certain temps, nous avons dépensé tout notre argent, et puis on a dû vendre tous nos biens. Nous avons alors vécu des moments difficiles, et franchement, nous n'avions vraiment pas l'idée de ce qui allait pu nous arriver.

D.R. : Nous étions liés à ce label, et nous avons dû attendre plus d'un an avant qu'ils ne décident ce qu'ils allaient faire de nous…

I.M. : Ces moments ont été pénibles, mais nous ne voulions pas nous séparer, car d'une certaine manière, cette épreuve nous avait rapprochés. On ne fout pas un groupe en l'air, juste pour une question de droit…

Isabel, tu chantes et tu joues de la basse, en même temps. Lorsque nous avons rencontré Kevin Ayers, il nous a raconté, que c'était difficile de faire les deux en même temps, parce que la voix doit passer à travers. Partages-tu son point de vue ?

I.M. : Je pense que si c'était difficile, je ne le ferai pas. Je joue de la basse très simplement. Cet instrument est d'ailleurs une antiquité. Je ne pense pas que ce soit si difficile. Il est amusant de constater que certaines personnes peuvent faire des choses différentes en même temps. Je suis incapable de conduire une voiture, parce que je trouve cet exercice extrêmement difficile : coordonner ses pieds, sa main gauche et les yeux, ainsi que les feux de signalisation, sans oublier les piétons. C'est beaucoup trop ! Je n'arrive pas à imaginer une vielle damne de 85 ans au volant de da voiture… mais je parviens à jouer de la basse tout en chantant; et cet exercice ne me demande aucun effort…..

Tu préfères le vélo ?

I.M. : Je ne suis pas plus brillante sur une bicyclette !…

Tu as un jour avoué que lorsque tu dormais, tu avais des rêves vivifiants, psychiques, complètement fous. Mais qu'ils étaient une des tes principales sources d'inspiration. Exact ?

I.M. : Parfois, il m'arrive de vivre des rêves sexuels…c'est vraiment génial…je pense que les rêve sont liés à ce qui nous arrive dans la vie. Il m'arrive de rêver que je me produis nue sur scène, et que tout le monde se barre… (NDR : Pourquoi, pourquoi ? Y a pas de raison !)

Quelque part dans les chansons de Drugstore, on retrouve une atmosphère carnavalesque ; et en particulier sur la composition " Funeral song ". Est ce que l'esprit du carnaval est éternel dans l'âme d'une femme brésilienne ?

I.M. : Je pense que Daron et Mike peuvent répondre.

M.C. : Tout ce qu'elle fait en est imprégné…

I.M. : Parce que les funérailles sont une célébration de la vie, vraiment. Nous sommes complètement désensibilisés par rapport à la mort…

Pourquoi la tragédie de la vie est un thème récurrent dans vos chansons ?

I.M : Quelle question difficile ! Nous sommes à l'affiche d'un festival, et il y a du soleil ! Mais soit, parlons un peu de la souffrance. Je pense qu'être conscient de la mort, de la tragédie de tout le monde, est une chose importante. Ainsi, tu peux te mettre sur la bonne voie, c'est-à-dire apprécier la vie, faire le maximum dans ta vie, parce qu'inévitablement, cela se terminera un jour. C'est sûr !

Pourtant, tu as affirmé qu'il n'y avait pas de Dieu, d'espoir, et probablement pas de but, dans la vie. Penses-tu que ce soit une vision positive des choses ? Personnellement, nous ne partageons pas ce point de vue. Pourquoi ce nihilisme ?

I.M. : Ce n'est pas un nihilisme intégral. Je pense que c'est parce qu'il y a un côté positif à notre attitude. Nous vivons tellement étroitement, tellement inquiets de ce que les gens pensent. Chaque fois que l'on quitte sa maison, on a ce poids de savoir comment vivre, parler, comment on devrait être ou ne pas être. Penser qu'il n'y a pas de raison d'être pour cette raison. Cela vous libère en quelque sorte. Tu peux être toi même, sans avoir peur. Ce qui compte, c'est toi, tes amis, tes relations, les choses que tu aimes faire dans la vie. Le reste n'a pas beaucoup d'importance. C'est donc bien une forme de nihilisme qui n'est pas complet, qui ne va pas jusqu'au suicide. La vie est quand même chouette…

Merci à Jean-Baptiste Ducrotois.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 67 - Octobre 1998 - de Mofo)

16 Horsepower

L'envers du décor

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16 Horsepower s'est produit en public, au dernier Torhout/Werchter, ainsi que lors de la dernière édition du Pukkelpop. Et dans la foulée vient d'enregistrer un nouvel album. Dans leur style, la formation est unique en son genre. Enfin, à notre connaissance. Et pas seulement à cause de leur country/folk/punk/cajun hanté par des textes qui font référence à l'Ancien Testament ; mais aussi parce qu'au sein du line up, on y trouve un Français. Jean-Yves Tolo. Un Parisien, pour être plus précis. Flûtiste de formation classique qui s'est converti à la batterie. A sévi au sein de Passion Fodder. S'est exilé aux States. Y est resté. Et y a fondé 16 Horsepower en compagnie de son ami David Eugene Edwards. Une belle aventure qui méritait quelques explications...

Tout comme pour comme le précédent album, " Low estate " comporte 13 morceaux. Intentionnel ?

Non, non. Nous ne sommes pas superstitieux ! Mais lorsque tu disposes de 17 ou 18 titres, il est parfois difficile de faire le tri. Nous en voulions douze. Il y en a treize...

Quand a-t-il été enregistré ? Où ? Avec qui ? Combien de temps êtes-vous restés en studio ?

Il a été enregistré en mars dernier. Dans un superbe studio situé au bord d'une rivière. En Louisiane francophone. Près de La Fayette, capitale du pays cajun. Nous y sommes restés 4 semaines. C'était très étrange. Je n'imaginais pas que dans cet endroit un peu paumé, tout le monde parlait français. Les enfants l'apprennent à l'école. Incroyable ! " Low estate " a été produit par John Parrish. Pas d'autres invités ! Les musiciens du groupe et John qui, en outre, joue sur toutes les chansons.

Quatre semaines, c'est un laps de temps encore raisonnable pour des musiciens réputés pour leur perfectionnisme. On a d'ailleurs pu le constater lors de votre dernier passage en Belgique, à T/W et puis au Pukkelpop, où vous accordez, ou faites accorder, vos instruments entre chaque morceau. David a même déclaré un jour, aimer la difficulté. Or, je suppose, qu'en studio, vous devez encore être plus exigeants. Ca n'a pas dû être drôle tous les jours, vos sessions d'enregistrements ?

Pour moi, c'était super. Ca ne me dérange pas. Les autres membres du groupe ont peut-être un autre point de vue. Mais David et moi avons en commun la même optique de travail. Perfectionnistes ? Nous le sommes, c'est certain. Je ne sais pas si David recherche les difficultés, mais il a constamment l'envie d'aller voir à l'envers du décor. Une conception qui peut paraître difficile, mais que David et moi-même avons définitivement adoptée. Et nous ne sommes pas prêts de l'abandonner...

Une attitude qui n'est plus tellement d'actualité?

Oui, de ce côté là, on est un peu vieux jeu. Mais on accorde autant, si pas plus d'importance, à l'émotion.

Une raison supplémentaire de préférer l'intimité d'un club à la démesure d'un festival ?

Je pense que n'importe quel groupe préfère jouer dans une salle de 1000 personnes plutôt que dans un stade. Plus la dimension d'un spectacle croît, plus tu perds le contact avec le public. Les spectateurs deviennent tout petits. La qualité sonore en prend un coup.

Pour un musicien comme Neil Young, c'est plutôt le contraire, non ?

Le phénomène se produit en fonction de la notoriété de l'artiste. Mais je pense que tu as raison. Pour un groupe comme le nôtre, un club serait plus adapté, plus intime, plus personnel. Même s'il y a des gens qui ont déclaré nous avoir beaucoup apprécié sur une grosse scène...

Est-il exact que 16 Horsepower s'identifie au symbolisme de la fin du 19ème siècle pour mieux échapper au chaos du 20ème ?

Le 19ème siècle est une époque, une période de l'histoire, qui véhicule des images que nous aimons. Nous ne l'avons jamais caché. C'est cependant plus par curiosité que pour autre chose. Nous ne sommes pas des passéistes ; nous roulons en voiture !...

Comment un Parisien a-t-il pu atterrir aux States au sein d'un groupe comme 16 Horsepower ?

C'est une longue histoire, qui a commencé à Paris. A l'époque, je jouais dans un groupe qui s'appelait Passion Fodder. Dont le chanteur était américain. Nous avons signé un contrat mondial avec une maison de disques anglaise. Nous sommes partis en tournée aux Etats-Unis. Et on y est restés (rires). C'était, il y a déjà 9 ans. Nous nous sommes installés à Los Angeles où j'ai rencontré David. Il travaillait sur des décors de cinéma. Nous avons constaté que nous avions des affinités musicales. Nous nous sommes liés d'amitié. On s'est mis alors à jouer un peu ensemble ; et de fil en aiguille, nous avons monté un groupe...

Tu vis encore à Denver ?

Non. Après être resté un peu plus de 4 ans à Los Angeles, j'ai déménagé à Denver lorsque la formation s'est formée. En fait, c'est tout le groupe qui s'y est installé. Mais en fait, là, je viens de repartir pour la Californie centrale. A deux heures de San Francisco...

Partages-tu les mêmes convictions philosophiques que David ? Parlez-vous souvent de la Bible entre vous ? Est-ce que ses convictions religieuses ne te pèsent pas trop ? A moins qu'elles ne t'interpellent ?

On en parle, évidemment. Mais ce n'est pas le principal sujet de nos conversations. Pour expliquer la situation en quelques mots, je pense que nous avons des intentions un peu similaires. On a juste une façon différente de les exprimer. Comme tu le sais, David se réfère souvent à la Bible. Ce n'est pas mon cas, même si je pense sincèrement que c'est un ouvrage fantastique. Je dispose d'autres moyens pour m'exprimer. De savoir ce qui est bien ou mal, sans devoir me référer à une idéologie bien précise. Disons que pour aller à la recherche de la vérité, j'ai pris un autre chemin. Pourtant, c'est vrai, lorsque j'ai rencontré David, j'étais assez troublé par sa ferveur religieuse. Aujourd'hui, depuis que je le connais beaucoup mieux, cela ne me préoccupe plus du tout. Parfois, j'étais même mal à l'aise. Parce que je pensais qu'il serait difficile de communiquer avec lui, si je ne partageais pas vraiment les mêmes sujets de conversation. Tu vois ce que je veux dire. En fait, les être humains sont tous tellement différents, que tu cours toujours le risque de te trouver devant un mur d'incompréhension ; mais avec David, ce n'est pas le cas. Il fait son truc. Je fais mon truc. Les autres font leur truc ; et finalement cette forme de respect mutuel permet de bien nous entendre. Nous avons des idées fort proches, mais nous les exprimons de manière différente...

Religions et sectes ont pris un essor considérable aux States, ces dernières années. Certaines sont même devenues de véritables leviers du monde politique. Et je pense ici plus précisément aux fondamentalistes et télévangélistes. D'autres présentent carrément un danger pour la société. Comment expliques-tu ce phénomène ?

C'est une question de fric. Il y a beaucoup de fric dans la religion aux Etats-Unis. Il existe des gens là-bas qui disposent de moyens financiers gigantesques pour faire passer leurs idées. Ils se servent de ces moyens. Médiatiques, le plus souvent. Et ça marche ! Malheureusement. Un peu comme le consommateur tombe dans le panneau de la pub pour choisir sa poudre à lessiver. Mais cette situation ne se produit pas seulement aux States. Elle existe également en Europe. A une moindre échelle, mais elle existe. Est-ce dangereux? Je l'ignore! Certaines sectes le sont manifestement. Mais personne n'est jamais forcé d'adhérer à ces mouvements religieux. Tu as le choix. Tu peux refuser. Mais sans doute, par faiblesse ou par besoin de trouver quelque chose qui te permette d'être reconnu par les autres, tu acceptes. A mon avis, il y a des hommes et des femmes pour qui cette situation est bénéfique. Plutôt que de se foutre en l'air ou de foutre en l'air d'autres personnes, ils parviennent ainsi à s'en sortir. Tant mieux pour eux. A partir du moment où ce phénomène élude la violence et les meurtres, c'est sans doute une bonne solution...

Tu as suivi des cours de batterie dans une école de jazz, exact ?

J'ai suivi des cours de batterie dans une école réputée pour ses formations de jazz. J'ai aussi joué un peu de jazz au sein d'un groupe. Mais, ce n'est pas mon truc. J'aime le jazz, je travaille le jazz. Mais je ne veux plus faire partie d'une formation de jazz. Je déteste son côté rigide...

Cristian Vander, ce n'est pas un symbole, pour toi, dès lors ?

Pffft... (long silence). Non, non, c'est une batteur exceptionnel, mais c'est surtout un athlète performant. Je le comparerai volontiers avec un coureur à pied qui s'aligne sur le 100 mètres plat. A mon avis, tu perds un peu de feeling, de musique, etc.

Sais-tu qu'il a remonté Magma ?

Ah non, là, j'ignorais... Ca m'est égal qu'un musicien soit un virtuose. Pourvu qu'il ne joue pas seulement pour lui même. J'ai vu des groupes composés de piètres musiciens, mais qui parvenaient à te communiquer le frisson. Par contre, j'ai aussi assisté à des prestations d'artistes à la technique irréprochable, mais dont les sets m'ont véritablement fait chier...

Y a-t-il des musiciens qui t'ont particulièrement influencés ? Jeffrey Lee Pierce ? Nick Cave ? Gordon Gano ?

Non, pas précisément. Plutôt des atmosphères créées par des groupes, pas par des musiciens. Et notamment celles qui ont prévalu chez Gun Club, Birthday Party et Violent Femmes...

Peut on affirmer que 16 Horsepower est traditionnel dans le sens le plus folk, country et cajun du terme ?

Oui et non. Dans le sens le plus pur du terme, pas puriste du terme. Nous aimons la musique traditionnelle, folk, country et cajun, mais aussi celtique, bretonne, hongroise, tsigane, etc. Mais les folkeux, je n'aime pas particulièrement...

Tu n'aimes pas les Pogues ?

Oh, si ! Mais ce ne sont pas des folkeux. Si, mais enfin, je veux dire... Tu sais aux Etats-Unis, il existe une clique de folkeux qui sont demeurés très puristes. Avec des règles très strictes. Si tu n'utilises pas telle guitare avec telles cordes et que tu ne fais pas tels accords, tu n'es pas admis au sein du cercle. Nous on ne marche pas dans cette combine. Mais on aime bien les Pogues. On a tourné avec eux. Enfin avec Shane Mc Gowan et ses Popes. C'était formidable!

Johnny Cash et Léonard Cohen t'ont quand même marqué ?

Léonard Cohen ? Certainement ! Mes frères aînés écoutaient sans cesse Cohen, et par la force des choses, moi aussi. Ce qui explique sans doute pourquoi sa musique me touche particulièrement. Comme elle touche également David. Johnny Cash ? Je l'ai découvert un peu plus tard avec les musiciens de Passion Fodder. Et puis, surtout, grâce à David. Ses textes sont si denses, intenses, imagés. Il compose de la poésie sur une musique tellement simple, mais tellement belle. Un peu comme Brel. C'est le même genre. La culture est un peu différente. Mais je les apprécie autant...

Parfois la musique de 16 Horsepower me fait penser à celle que pratiquait James à ses débuts. Une objection ?

Je ne connais pas ce groupe. Comment tu dis ? James ? Non, ça ne me dit rien du tout ! Sorry ! Mais puisque tu m'en parles, je vais m'inquiéter de l'existence de ce groupe et essayer de me procurer leurs premiers albums...

(Version originale de l'interview parue dans le n°57 - octobre 1997 - de Mofo)

 

Cake

Cake entartre la radio...

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Bien que fondé en 1991, Cake n'a enregistré, à ce jour, que deux albums. Mais il faut reconnaître que son deuxième, " Fashion nuggets " a fait un véritable tabac. En touchant un peu à tous les styles. Metal, jazz, country, gospel, hip hop, pop, rock, etc. Un peu à la manière de Beck et de Fun Lovin' Criminals. Mais en moins funk. Un disque dont le standard intemporel, " Perhaps, perhaps, perhaps ", la reprise de Gloria Gaynor, " I will survive " et puis cet étonnant, mieux encore, brillant " Frank Sinatra ", doivent encore vous trotter dans la tête. C'est le guitariste Greg Brown, antithèse de la rock star, mais complément indispensable au chanteur/songwriter John Mc Crea, qui s'est plié, de bonne grâce, à cette interview…

Vous vivez tous les cinq à Sacramento, une ville que vous avez déclarée, rongée par la corruption. Pensez-vous que vous auriez conçu le même style de musique si vous étiez nés à Seattle ?

Non, sincèrement je ne crois pas. Sacramento est une ville californienne de taille moyenne. Ni trop grande, ni trop petite. Plutôt ordinaire et surtout conservatrice.

Oui, mais tu ne réponds pas à la question relative à la corruption. La chanson " Frank Sinatra " y fait quand même allusion ?

" Frank Sinatra " ? Cette chanson a été composée par John, et je suis incapable d'expliquer ce qu'il a voulu exprimer (NDR : ou il ne veut pas le dire). Mais tout ce que je peux préciser, c'est qu'elle ne concerne pas directement Sinatra, mais plutôt un état d'esprit que sa personnalité suggère. Pour le reste, j'ignore si John a voulu faire passer un message (NDR : il ne s'appelle pas Pierre, pourtant !).

John a pourtant déclaré que le rock était un cirque. Une révolution simulée par des jeunes blancs qui se battent entre eux pour être les premiers sur le marché. A notre humble avis, lorsqu'on parle de cirque dans le rock, on pense plutôt aux vautours du business qui gravitent autour du rock. C'est un problème de société, pas d'individus. Pas d'accord ?

Non, pas du tout ! La presse a tantôt simplifié, tantôt exagéré les déclarations de John. Quelque part, ce n'était qu'un jeu, une provocation… Etre premiers sur le marché ? Je ne sais pas. Je suis né et j'ai été éduqué en Amérique. Et les institutions m'ont inculqué et continuent d'inculquer aux jeunes la nécessité d'avoir un job et le devoir de payer leurs impôts, comme tout le monde. Je n'ai rien d'autre à ajouter sur ce sujet…

Vous êtes régulièrement comparés à Beck, Fun Lovin' Criminals et à Soul Coughing. Ennuyeux ?

Ces comparaisons sont fréquentes, c'est vrai, avec Beck et Soul Coughing. Je l'ignorais pour Fun Lovin' Criminals. Je peux comprendre cette situation, même si Soul Coughing ne nous aime pas beaucoup. Nous n'avons d'ailleurs aucun contact avec eux. Toutes ces formations se situent, en quelque sorte, à gauche du centre. Mais je pense que nous sommes les moins choyés par la critique aux States, parmi ces groupes. Si je devais établir une hiérarchie dans la popularité, je citerais dans l'ordre Beck, ensuite Soul Coughing, Fun Lovin Criminals, et enfin Cake, comme une sorte d''après pensée'… Mais c'est Beck qui a montré le chemin. Ses investigations ont marqué de nombreuses formations. Il est devenu un symbole pour tout ceux qui incorporent ou mélangent des tas de styles musicaux… D'un autre côté, les Violent Femmes ont également eu une influence sur certains musiciens de Cake, et moi en particulier…

Dans un article des 'Inrocks', j'ai appris que Captain Beefheart aimait beaucoup votre musique. Pas l'intention de collaborer avec lui ?

Vous avez lu cette déclaration dans la presse ? C'est un mensonge ! Nous ne l'avons jamais rencontré et j'ignore totalement s'il a un jour émis une telle réflexion…

Vous appréciez un tas de styles musicaux. Folk, blues, rhythm and blues, etc. Etes-vous intéressés par l'histoire du rock ? Préférez-vous la pop ou la soul ?

L'histoire du rock'n'roll est relativement récente, mais son développement nous a toujours passionné. Son passé est une source d'inspiration. Et nous nous y régénérons de temps en temps. Sa simplicité n'exclut pas une certaine forme de richesse, ce qui explique sans doute pourquoi, il peut se révéler brillant. Maintenant, est-ce que Cake est plus pop que rock ? J'aime la pop autant que le rock, et je ne suis pas sûr que Cake puisse opter définitivement pour l'un ou l'autre genre musical. Parce que nous nous référons à beaucoup de styles musicaux. Tu sais aux States, il existe une certaine forme de ségrégation dans la musique. Certaines stations de radio ne diffusent que du rock. D'autres de la soul. D'autres encore uniquement de la musique des sixties. Je ne connais pas vraiment de radio qui parvient à programmer un mélange de styles comme cela existe en Europe. Mais lorsqu'on affirme que nous sommes un groupe intégralement rock, nous n'avons même plus envie de réagir, à cause de ces ségrégations…

Apparemment, vous aimez beaucoup les reprises. " Most likely ", " Perhaps, perhaps, perhaps ", " I will survive ". On suppose qu'il en existe d'autres. A ce régime, vous allez bientôt pouvoir sortir un album de covers, non ?

Ce n'est pas du tout notre intention. Nous avons toujours eu recours aux reprises comme des outils destinés à apprendre, mais aussi pour nous aider à comprendre les gens que nous admirons. Et puis, tu sais, nous avons beaucoup tourné dans les bars. Après avoir joué pendant quatre heures au même endroit, le répertoire est fatalement épuisé. Donc, si tu ne veux pas te répéter, tu as intérêt à trouver une solution. Et comme nous aimons tous cet exercice de style, il n'y a pas de raison de s'en priver.

Cake parvient à faire le maximum avec le minimum. Etes-vous quelque part lo-fi ?

Lorsque nous avons gravé notre premier album, la lo-fi était un concept populaire, un mot qui revenait dans de nombreux magazines. Mais ce concept a vieilli très rapidement. En fait, les gens qui nous ont définis comme formation lo-fi ignoraient que nous n'avions pas d'argent. Ce n'était donc pas un choix ! Et pour la plupart des musiciens du groupe, ce concept n'existait pas au moment de l'enregistrement du disque…

Est-ce Cake joue du rock par défaut ?

Je ne crois pas que ce soit une bonne définition. Notre concept est très complexe et nous souhaitons, à l'avenir, le faire évoluer le plus loin possible. Enfin, seul l'avenir nous dira si nous n'avons pas fait fausse route. Mais je pense que tôt ou tard, nous atteindrons un juste équilibre entre les différentes composantes de notre musique. Cependant, quelqu'un comme moi qui écoute du rock depuis sa tendre enfance connaît d'énormes difficultés à faire abstraction de ses propres goûts, de ses propres influences, de son propre passé…

Vous n'utilisez pas de samplings, ni en studio, ni sur scène. Allergiques à la technologie moderne ?

Non, non. Nous n'avons jamais exclu la possibilité d'incorporer des samplings dans notre musique. Dans le futur nous y recourrons certainement. Mais pour l'instant, nous sommes probablement un peu trop stupides pour avoir recours à cette technologie de pointe. Il faudra peut-être prendre des cours pour nous familiariser avec elle

John a déclaré qu'il n'y avait rien de mauvais à explorer la complexité, pourvu que le musicien n'essaie pas de démontrer sa virtuosité. Vous n'êtes pas trop attirés par le jazz, alors ?

Je ne peux pas parler pour tout le monde. Mais ce n'est pas tout à fait exact. J'aime le jazz. J'aime beaucoup le jazz. Pas le jazz fusion. Je pense d'ailleurs qu'aucun d'entre nous ne s'en préoccupe. Mais aucun de nous n'est bon musicien, alors, il est évident que pour nous le concept de la virtuosité n'a strictement rien de primordial…

Savais-tu qu'il existait un autre groupe qui répondait au nom de Cake ?

Oui, un à Los Angeles, et puis celui du fils de Ringo Starr, Cake in San Francisco. Il en existe un autre ?

Apparemment, au sein duquel on retrouve un ancien membre de Terminator…

Un de plus…

Merci à Jean-Baptiste Ducrotois.

Version originale de l'interview parue dans le n° 60 (février/mars 97) du magazine MOFO

  

 

Stereolab

Vite fait, bien fait...

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Un peu moins de dix minutes! C'est le temps qui m'a été accordé pour recueillir les propos de Laetitia Sadier et de Duncan Brown, respectivement chanteur et bassiste de Stereolab. L'improvisation la plus totale! A ce régime, faudra peut-être me réserver les cinq prochaines interviews du groupe. Question d'épuiser le questionnaire. Et pourtant, l'article semble tenir la route correctement. Jugez vous-mêmes!

Sterolab correspond-t-il toujours à un duo, élargi pour les besoins de la scène ou est-il devenu un véritable groupe?

Laetitia : Maintenant, c'est un groupe. Katherine, dernier membre recruté, a complété le line-up voici neuf mois. Il est cependant exact qu'à l'époque de "Peng", Stereolab se résumait à Tim et à moi-même. Joe jouait bien de la batterie, mais il fonctionnait encore chez les Chills. Je puis toutefois te confirmer que Stereolab correspond bien aujourd'hui à un véritable groupe...

Vous avez un jour déclaré que vous ne vouliez pas devenir des stars. Or vous venez de signer chez un major, Warner en l'occurrence. N'est-ce pas contradictoire?

L. : Non! Devenir star et relever d'un label major ne sont pas incompatibles. L'un ne veut pas nécessairement dire l'autre. En fait, nous sommes passés chez Elektra pour des raisons financières. Nous avions besoin d'argent. En tournée, un concert ne nous rapporte que 1.000 à 2.000 francs (NDR: français!). Nous avions donc intérêt à nous procurer des sous pour mettre du carburant dans la machine. Nous n'avons pas signé chez Elektra pour devenir des stars, mais pour disposer de ressources nécessaires et suffisantes à la survie du groupe.

Pas de pressions?

L. : Non! Nous avons décroché un bon contrat. Nous n'aurions jamais accepté de le signer s'il avait impliqué des clauses contraignantes. Nous l'avons bien épluché avant de le souscrire. Nous sommes donc très satisfaits. Nous sommes rétribués tout en conservant le contrôle de notre création. Que demander de plus?

Et cette situation vous permettra sans doute de financer Duophonic, label sur lequel vous n'avez, à ce jour, que gravé trois singles?

L. : Non. Il existe deux "Duophonic". Le plus petit est demeuré indépendant. Mais nous n'y enregistrons que des quarante-cinq tours. Nous en assurons seuls la gestion. En Angleterre, Elektra n'y a aucune délégation, même au niveau de la distribution...

Est-ce que les expérimentations post-industrielles, comme celles que vous avez menées avec Nurse With Wound, vous tentent encore?

L. : En fait, pour Nurse With Wound, c'est toute une histoire. Gallon Drunk allait entrer en studio avec Steve Stapleton. Et comme nous connaissions bien les musiciens de cette formation, Tim leur a demandé ses coordonnées pour prendre contact avec lui. Steve est ainsi venu nous voir en concert. Bien qu'intéressé, il estimait que notre musique était trop rock pour lui. Mais au bout d'un laps de temps, il nous a recontactés, révisant sans doute son jugement, et puis pensant peut-être que le jeu en valait la chandelle.

Duncan : Nous avons d'abord enregistré les titres, puis nous lui avons fait parvenir les bandes. Il a réalisé le mixing sans nous. Le résultat, nous ne l'avons découvert que sur le disque. Nous n'avons pas eu l'occasion d'intervenir à quel que moment que ce soit.

L. : Et la surprise fut totale... Il n'est pas exclu que nous menions d'autres tentatives aussi expérimentales, mais nous les réserverons surtout à "Duophonic". Je pense que nous allons nous diversifier. Et chaque disque aura sa couleur, sa connotation particulière. Même des chansons plus pop et plus accessibles. Nous sommes décidés à prospecter un peu dans toutes les directions... Déjà un peu balisées, il est vrai. Et les approfondir, les développer. Et puis, pourquoi ne pas encore les diversifier ?

Comme par exemple en s’inspirant du rock allemand du début des seventies, en en particulier celui de Faust et de Neu?

L. : Tout à fait!

D. : C'est surtout la passion de Tim!... Mais qu'est-ce qui te pousse à émettre une semblable réflexion?

L'aspect hypnotique, répétitif des compositions. Voire conceptuel comme sur "Jenny Ondioline", titre issu de votre dernier album qui dépasse les dix-huit minutes!...

L. : C'est du vol! On l'a fait exprès!

D. : Pas dans le sens d'un concept album. Mais nous avouons certaines similitudes avec la musique de Neu sur cette chanson. Coupable!

Lors de votre dernière tournée européenne, une certaine presse d'expression française vous a complètement descendu en flammes. Sachant que Laetitia est née en France, et y a vécu une bonne partie de sa jeunesse, n'est-ce pas encore plus difficile à avaler?

L. : Cette histoire date déjà de deux ans. Nous avions accordé un excellent concert à l'Espace Européen de Paris. Au départ, le public était resté assis. Puis au fil du set, il s'est mis à bouger, à se lever, et puis à s'éclater. Nous aussi on s'était éclaté. Nous avions le sentiment d'avoir vécu un moment très intense. Et puis, nous avons lu un article décrétant que ce soir là, nous avions été nuls. Au début, on n'a pas très bien compris. Et personnellement, cette réaction m'avait littéralement cassée. Mais ce fut la première et dernière fois q'une telle mésaventure me déchirait. Parce que je me suis dit que la réaction des spectateurs était finalement beaucoup plus importante que celle d'un journaliste. Si les gens n'ont toujours pas réalisé que ce 'canard' ne raconte que des conneries, c'est vraiment grave. Je dois avouer que ce sont d'excellents écrivains. Enfin, qu'ils écrivent très bien. Mais ils délirent la plupart du temps. Je pense que les gens ne sont quand même pas assez idiots pour avaler tout ce qu'ils fantasment. Lorsqu'une personne achète un disque, l'écoute, l'apprécie, puis découvre son analyse dans ce magazine, elle se demande s'il s'agit du même album. C'est complètement débile, mais surtout très bas...